Le fait social haratine ne mérite pas d’être instrumentalisé à des fins ambiguës !

Eclairages pour l'opinion publique nationale et pour ceux qui sont épris de  transparence et de justiceJ’ai lu patiemment deux articles écrits par des concitoyens (Mohamed Daoud Imigine et Cheikh Sidati Hamady) qui abordent ce qu’ils appellent « la question haratine », exercice qui m’a permis de constater que l’essentiel des idées qu’ils livrent aux lecteurs recoupe des points de vue qui circulent largement dans les réseaux sociaux. La thèse principale au coeur de ces raisonnements est l’inéluctable « évolution de la question haratine d’une revendication sociale à une ambition politique », à la recherche d’une « autonomie politique » dont la compréhension demeure encore floue. A part cette thèse, le reste des développements exposé se laisse aller dans une rhétorique véhiculant des subjectivités au lieu de se fonder sur les faits, s’évertuant à critiquer, suivant un style peu souple,  l’héritage des kadihines en s’attaquant aux positions défendues, lors d’une conférence de presse le 20 octobre dernier, par le Président Mohamed ould Maouloud, un symbole vivant des combats menés par cette famille politique contre toutes les injustices sociales depuis la fin des années 60, dans un contexte particulièrement hostile.

A la fin de mes lectures je n’ai pu que faire les observations suivantes :
– Mohamed Imigine et Sidati n’ont pas traité la problématique soulevée par Maouloud, à savoir quelle est la nature de la question haratine ? est-elle sociale ou ethnique ? Cette importante composante de la population mauritanienne est-elle une partie de l’ensemble maure ou constitue-t-elle une communauté ou un peuple à part ?
– Les deux textes témoignent d’une méconnaissance des luttes supportées par les Kadihines et le MND contre l’ordre social féodaloesclavagiste, obstacle structurel sur le chemin de la liberté et de l’émancipation de toutes les couches opprimées dont les Haratines ; ces mouvances s’inscrivaient dans le cadre d’une approche politique globale de libération de tout le peuple mauritanien dans l’unité et l’égalité.
– Malgré la qualité rédactionnelle des textes, l’absence d’un diagnostic systémique de « la question haratine » et de conclusions claires tirées en conséquence m’a laissé sur ma faim.

Un débat ouvert

En revanche, les écrits de mes deux concitoyens ont le mérite d’ouvrir un débat  idéologique, que j’espère responsable et apaisé, sur une question de grande portée nationale dont les solutions exigent une entente conduisant à une synergie d’acteurs dans le pays. Un tel débat devrait éviter l’amalgame et ne pas convoquer des concepts pour les plaquer sur des réalités auxquelles ils ne s’adaptent pas. Comment peut-on qualifier scientifiquement les haratines de communauté ou d’un peuple distinct ? Cette catégorie sociale a-t-elle en commun une langue, ou une religion ou d’autres  caractéristiques culturelles fondamentales et spécifiques ? Vit-elle sur un territoire qui lui est propre ? Les différentes classes sociales qui s’y trouvent (bourgeoisie petite ou moyenne, paysannerie riche qui reproduit le féodalisme, paysannerie pauvre et ouvriers) partagent-elles les mêmes intérêts ?

D’un point de vue anthropologique et géographique, les faits démontrent que les haratines partagent avec l’ensemble maure les mêmes attributs qui définissent et unissent une communauté : la langue, les coutumes, le territoire, etc… Bien entendu, cet ensemble maure est une société hiérarchisée à l’instar de ses consoeurs négroafricaines, cette hiérarchie produit des particularités groupusculaires de caste ou liées à d’autres données historiques, géographiques ou statutaires. L’histoire de l’humanité démontre un axiome : toute société présente des diversités dans l’unité selon une dialectique vitale entre le général et le particulier. Or l’approche qui utilise une grille de lecture ethniciste visant à  détacher artificiellement les haratines de l’ensemble maure passe à côté des analyses objectives et sérieuses capables d’aboutir à des résultats positifs pour le pays. A ce niveau, la mise en garde faite par Maouloud, loin de tout alarmisme mais en toute lucidité, s’insurge contre le risque de reproduire les mêmes schémas qui ont conduit entre 1957 et 1994 à la catastrophe rwandaise causée par la guerre civile génocidaire entre hutus et tutsis appartenant pourtant à un seul peuple mais qui a fini, au fil du temps, par se diviser suite à la construction par la colonisation européenne d’une différence « raciale » entre les deux groupes avant le génocide. Sur la base des particularités sociales (hutus paysans et tutsis éleveurs) un modèle identitaire, inventant des ethnies, a créé un fossé entre les deux composantes devenues mortellement ennemies. Une partie d’un peuple a été montée contre l’autre ! Evitons de transposer dans notre pays ces mêmes grilles d’analyse au mépris des réalités sociales et culturelles d’une grande subtilité sur le terrain. Dès lors, le parallèle entre cette démarche fragmentaire et celle de ceux qui défendent « l’autonomie politique des haratines », forts de leur légitimité démographique pour contrôler l’Etat, est compréhensif. Le potentiel centrifuge de cette dernière est patent.

La solution, un système démocratique

Les Kadihines, le MND et aujourd’hui l’UFP, ont toujours évité de tomber dans de tels travers en faisant de l’unité nationale et de la cohésion sociale un crédo constant. Ces formations politiques n’ont cessé de batailler contre le féodalisme et son allié néocolonial, considérés comme responsables des inégalités, discriminations et injustices sociales qui s’abattent sur la majorité du peuple. Ils ont ciblé le cadre politique à changer par l’instauration d’un système national démocratique et souverain en capacité de faire régner la liberté, l’égalité et la justice au sein d’une société de citoyens jouissant des mêmes droits et ayant les mêmes devoirs, et libérée du clientélisme, du népotisme et de la corruption. Si donc la frilosité politique n’est pas dans le positionnement sur un repli identitaire étroit, elle n’est certainement pas dans le camp qui prône l’ouverture sur autrui. N’est-il pas plus logique que tous ceux qui sont engagés contre toute forme d’oppression fédèrent leur militantisme et se mobilisent à l’unisson pour battre les oppresseurs et rendre à chaque citoyen ses droits ? L’unité du peuple fait sa force pour réaliser ses aspirations légitimes contrairement à sa division qui le mènera inéluctablement au chaos. Que signifie le slogan « d’autonomie politique des haratines » ? Vers quel horizon vat- il pousser le peuple mauritanien ? Pourquoi tenir à conserver les « étiquettes » identitaires que le système traditionnel archaïque impose, dans la division et la ségrégation, à chaque catégorie du peuple ? Pourquoi se cantonner à figer la hiérarchisation sociale arbitraire héritée du passé au lieu de chercher les voies et les moyens de les transcender vers l’émergence d’un projet de société unie, démocratique et prospère ?

En conclusion, disons que les sociétés traditionnelles mauritaniennes ont organisé les populations dans des structures de castes hiérarchisées arbitrairement et la  composante haratine dans l’ensemble maure a eu sa part d’injustice découlant de cette réalité socio-politique surannée. Cependant, ces sociétés traversent au XXIe siècle une  transition structurelle : les campagnes se meurent au profit des centres urbains, les activités économiques des secteurs secondaire et tertiaire dessinent les contours de nouveaux rapports de travail de type capitaliste. Les intérêts de la composante haratine qui constitue la principale force de travail, ouvrier ou paysan, sont dans l’action pour la démocratie, pour la justice, contre la pauvreté et toutes les formes de discrimination. Les alliances ou regroupements conscients et rationnels devraient être bâtis sur des considérations patriotique et /ou sur des intérêts de classe et non pas sur la couleur de la peau ou l’origine sociale. Unir tout le peuple autour de la défense de chaque  composante est la seule voie viable pour les Mauritaniens.

12 novembre 2025
Par Khalilou O/ Dedde
Universitaire et Vice-président de l’UFP

Source : Le Calame