Réponse de Mohamed OULD SALECK à Cheikh SIDATI HAMADY

Ce texte est une réponse à l’article de Cheikh Sidati Hamady datant du 10 novembre.

Comme je l’ai exprimé dans mon précédent texte, mon intention n’est pas de polémiquer, ni étaler des cours magistraux ou attester d’une quelconque érudition. J’ai tout simplement voulu rétablir certaines vérités historiques par rapport à l’attaque outrancière à l’endroit des kadihines de Mauritanie, du MND, de l’Ufp et son président Mohamed ould Maouloud.

Qualifier cette attitude de : « plaidoyer pour la défense d’un héritage idéologique dicté par la fidélité politique » , ne constitue pas, à mes yeux, un indice marqueur de mauvaise foi intellectuelle. En politique, comme vous savez, il ya des choix à faire. Et assumer son choix tout en étant fidèle à ses principes n’est pas un défaut qui mérite qu’on s’y attarde. D’ailleurs je me félicite d’être parmi ceux, qui croient encore en la constance de leurs positions et qui défendent leurs principes contre toute adversité… Et l’héritage dont vous parlez, que je défends, en toute conscience et conviction, mérite bien ce sacrifice. Notre sacrifice pour le peuple Mauritanien, toutes nationalites confondues, demeurera autant que dureront les contradictions antagoniques au sein de la société .
A l’Ufp, le combat politique que nous menons ne vise pas, exclusivement, une caste ou groupe ethnique en particulier . Nous nous battons pour faire changer tout le système en place grâce aux luttes démocratiques de toutes les composantes du peuple. Nous accuser « d’instrumentaliser l’histoire pour des fins politiques » c’est soit nous méconnaître, soit être mal intentionné . Sincèrement, entre nous, qui cherche à instrumentaliser la question des haratines ?
Qui parmi nous fait de la condition des haratines un fond de commerce extérieur ? Qui parmi nous accepte, contre une vie dorée en Europe, de stigmatiser une partie de sa société, les « bidhanes » rien que pour être en phase avec une certaine opinion excentrique ?

Revenons à la question haratine. Je ne me souviens pas avoir dit ni soutenu des propos qui encouragent l’injustice contre mes semblables. Ce serait utopique de penser ainsi. D’ailleurs, vous et moi et tant d’autres, nous sommes d’accord sur le fait que les haratines sont opprimés, qu’ils vivent encore les séquelles d’un esclavage d’un autre âge. Qu’ils ont besoin de justice et d’équité. Que c’est le devoir de l’état de les prendre en charge. Que les haratines doivent lutter pour s’émanciper et se libérer. Par contre, je m’oppose à vous sur la démarche à prendre pour qu’ils puissent parvenir à cet objectif .

Pour vous, les haratines, de par leur origine nègre, leur histoire commune de descendants d’esclaves «  colonisés par les maures blancs   » doivent, pour se libérer, prendre conscience de leur origine, opérer un retour en arrière, au fil du temps, pour se forger une identité personnelle et culturelle autonome, différente des maures « arabo-berberes ».
Sur ce, permettez – moi de vous interroger sans arrieres pensées :

– en retournant aux origines, tant revendiquées, qu’elle langue permettrait aux haratines de pouvoir s’exprimer entre eux en particulier ?

– à quelle communauté socio-linguistique negro-africaine de Mauritanie va t- on les intégrer ?

Contrairement à vous, je pense que les haratines gagneraient mieux d’ assumer, sans complexes, leur identité culturelle arabe, au lieu de se perdre en conjectures, dans les méandres de l’histoire, à la quête d’une identité diluée, par la force des conjonctures. Le cour de l’histoire nous enseigne que l’ensemble des peuples du monde ont connu des transmutations systémiques semblables, telles qu’il serait utopique, aujourd’hui même, de se creuser la cervelle, en rampant à contre courant, au fond des tenebres de l’histoire à la quête d’une quelconque identité .

Il semble que vous vous êtes un peu énervé du fait que j’ai, selon vous, «  ramené le débat à l’unité arabo- berbère   » . Choquant à ce stade … !? Tout doux ! Pour vous, ma démarche n’est autre qu’une tentative, déguisée, «  d’esquiver le cœur du problème » . Pour moi, le «  cœur du problème » c’est : l’unité, la démocratie et la justice sociale pour tous . Et je ne vois pas en quoi replacer la question haratine dans le cadre de l’unité de la nationalité arabe constue – t- il une « déviation » du débat .

En conclusion, je pense que le brouillard commence à se dissiper légèrement du champ de nos visions croisées sur la question haratine. Pour vous, si je ne me trompe, l’on doit se mobiliser pour revendiquer l’autonomie des haratines. Même si, par ailleurs, vous ne justifiez pas, avec la clarté qu’il faut, votre démarche .

Pour y arriver, vous avez invoqué l’anthropologie, comme pour donner à votre analyse de la question haratine un caractère scientifique . Ce qui est, du reste, raisonnable. Mais, à ce propos, dois-je encore vous rappeler, au bénéfice de la vérité, ce que dit l’anthropologie en l’occurrence ?

« la couleur de la peau n’est pas une manière fiable de définir un individu, car c’est un caractère biologique qui varie en continuité et dépend de la quantité et du type de mélanine, pigment qui protège des rayons UV . Les différences de pigmentation résultent d’adaptations à différents environnements solaires au cours de l’évolution humaine, et non de distinctions biologiques fondamentales entre les groupes  » .

« La couleur de la peau est une adaptation évolutive à l’exposition au soleil » .
Donc « toute classification en catégories rigides ( blanc, noir, jaune etc…) est une simplification qui ne reflète pas la réalité » . Puisque « le consensus scientifique actuel rejette l’existence de « races » biologiques chez l’homme».
« le terme  » race  » est un construit social et historique, souvent utilisé à des fins discriminatoires et non une catégorie biologique   » .

Maintenant, examinons de près l’aspect linguistique par rapport à la définition d’un groupe social donné, du point de vue anthropologique :

«  Il n’est pas scientifiquement rigoureux de rattacher un groupe social à un autre qui ne partage pas avec lui la même langue, car la langue est intrinsèquement liée à la culture et à l’identité sociale . La langue est un symbole puissant de l’identité sociale et culturelle d’un groupe donné. Transmise de génération en génération, elle contribue à forger la perception qu’on les individus d’eux- mêmes et de leur communauté. La langue façonne la pensée et influence la manière dont un groupe perçoit et interagit avec le monde, ce qui est une composante essentielle de sa culture.   »

En résumé, il ressort clairement de ce qui vient d’être dit que, rattacher deux groupes sociaux, uniquement sur la base de «  la pigmentation de leur peau, est une simplification qui ignore le rôle structurant de la langue dans l’identité et la culture   » . Partant de tout ce qui précède, je considère que les haratines font partie intégrante de la communauté arabe, avec laquelle ils partagent la même langue ( le hassanya qui est dérivé de l’arabe), la même culture, le même mode vie .

Croyez -moi, Cheikh Sidaty, vraiment je doute fort en la capacité de votre discours à pouvoir renverser la tendance.

En tout cas, merci pour l’intérêt que vous avez accordé à ma modeste contribution pour éclairer l’opinion sur une question cruciale et préoccupante : place des haratines au sein de la société . Question centrale qui mérite notre attention tous.

Mohamed ould Saleck
Président du conseil national de L’UFP
Professeur à Aioun