L’esclavage en Mauritanie, mode de vie, code d’honneur, arme politique et économique
La République Islamique de Mauritanie, dernière contrée à avoir abolit l’esclavage, en 1981, avant sa criminalisation tardive à partir de 2007, aura cependant poursuivi la persécution les militants abolitionnistes, du début des années 1970 à nos jours. 62 ans après l’indépendance et en dépit de progrès remarquables dans le domaine de la loi, la réalité reste empreinte de déni et d’indifférence des pouvoirs publics, au sort des victimes, d’où l’obligation, pour elles, de savoir se défendre, par leurs moyens modestes, sans le secours d’un Etat voué, in fine, à reproduire les inégalités de naissance, au travers d’un appareil de sécurité et de justice, très peu réceptif à la valeur égalité.
Classée en tête des pays abritant le taux le plus élevé de servitude selon la naissance, la Mauritanie de 2022, sous l’égide du Président Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, refuse toujours de satisfaire aux recommandations des rapporteurs spéciaux des Nations-Unies sur les formes contemporaines d’esclavage, notamment le recensement des victimes immédiates ou périphériques. L’élite réactionnaire au pouvoir depuis 1978 poursuit sa guerre larvée contre les militants de l’équité, comme en attestent la fréquence des arrestations, la torture et l’exclusion statutaire, à tous les échelons de l’économie et de l’administration publique. Il y a, là, une inhumanité structurelle qui dépasse, en durée et intensité, l’essor de l’extrémisme religieux ; d’ailleurs, elle recoupe, quand il s’agit de justifier l’exploitation de l’homme par l’homme, au motif de la religion. Les deux impostures participent du même mépris envers les autochtones d’ascendance subsaharienne, à cette nuance près que la mentalité et la pratique de l’exclusion de caste n’épargne aucune composante du peuplement actuel de la Mauritanie. Ses traces ne cessent d’imprégner le présent des relations sociales, au sein des communautés Pulaarophone, Soninké, Wolof et Bambara. J’ai dû le constater, sur le terrain, lors de mes récents déplacements à l’intérieur du territoire, surtout au Guidimakha.
Malgré l’éveil de cette majorité démographique, longtemps sous l’étouffoir d’un pseudo- sacré qui promet le paradis aux serviteurs dociles, la majorité, voire la quasi-totalité des communes, départements et circonscriptions législatives de la Mauritanie, consacrent la prééminence du leadership nobiliaire, au détriment de la citoyenneté. Le tamis de l’état-civil discriminatoire, le défaut d’accès à la propriété des terres de culture, le poids de la misère et de la déscolarisation massive retardent le moment de la vérité des urnes. Les Hratin, descendants d’esclaves, en sont réduits, sur le sol de leurs ancêtres, à servir de force d’appoint au système séculaire qui les subjugue. Une population, dépourvue d’alternative en dehors de la soumission aux normes d’antan, espère, s’impatiente et finira par se défaire de ses prédispositions à endurer l’injustice. Ce moment-là, le temps de la rupture morale, nous le souhaitons, l’attendons et nous y préparons, armés de nos idées et de notre ancrage viscéral dans la non-violence. Ni les intimidations ni l’exclusion matérielle, encore moins l’interdiction des partis de la renaissance africaine – à l’image de Radical pour une action globale (Rag) – ne parviendront à différer le jour de la grande explication.
Ainsi confortés grâce aux fatalités de l’histoire en mouvement, nous célébrons, aujourd’hui, la Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage, dans un esprit, à la fois de combativité et de persuasion. Nous restons attachés au dialogue mais tout autant persuadés que la conquête des droits humains relève, d’abord, de la lutte et de sa constance.