10 Juillet 1978 & élection présidentielle de 2019 : 40ème anniversaire & Avenir putschiste ?

Le 2 Juillet 2018, sous la tente à l’écart des invités du grand méchoui concluant la journée d’entretiens et de réunions de tant de chefs d’État (« sommet » du G 5 pour la sécurité au Sahel… « sommet » de l’Union Africaine… ), Mohamed Ould Abdel Aziz et Emmanuel Macron affrontent l’avenir mauritanien. Longuement, plus de deux heures… La si improbable République Islamique de Mauritanie, sans chef-lieu en propre, le 20 Mai 1957, devenue vingt ans après une réalité internationale telle qu’elle avait pu faire organiser, pour la seule fois de l’Histoire, une réunion du Conseil de sécurité des Nations-Unies, en Afrique et sur un sujet décisif : le racisme synonyme de l’apartheid et du sionisme…, va-t-elle choisir dans moins d’un an ce qui l’a fondée ? Ou ce qui l’a faussée ? Le « putschisme », aujourd’hui fêtant ses quarante ans ? Moins quinze mois d’intérim démocratique.

Le 25 Juin 2006, à l’initiative d’une quatrième équipe de putschistes, les Mauritaniens révisent par referendum la Constitution du 20 Juillet 1991, elle-même écrite par les putschistes de la troisième composition.

ARTICLE 28 (nouveau): Le Président de la République est rééligible une seule fois.

ARTICLE 29 (nouveau): Le Président nouvellement élu entre en fonction à l’expiration du mandat de son prédécesseur.

Avant d’entrer en fonction, le Président de la République prête serment en ces termes :

« Je jure par Allah l’Unique de bien et fidèlement remplir mes fonctions, dans le respect de la Constitution et des lois, de veiller à l’intérêt du peuple mauritanien, de sauvegarder l’indépendance et la souveraineté du pays, l’unité de la patrie et l’intégrité du territoire national.

Je jure par Allah l’Unique de ne point prendre ni soutenir, directement ou indirectement, une initiative qui pourrait conduire à la révision des dispositions constitutionnelles relatives aux conditions de la durée et du renouvellement du mandat du Président de la République, prévues aux articles 26 et 28 de la présente Constitution ». Le serment présidentiel est rétabli et désormais nul ne sera réélu plus d’une fois à la majorité suprême.

Le 5 Août 2017, nouveau referendum (et à une date anniversaire pour le putschiste au pouvoir). Il supprime le sénat parce que celui-ci s’opposant à une nouvelle révision de la Constitution : elle permettrait un troisième mandat à celui qui a renversé – neuf ans auparavant – le seul président élu au second tour d’un scrutin pluraliste, préparé matériellement pendant un an et observé par des concours et des expertises du monde entier : Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Le prochain renouvellement de l’Assemblée nationale, prévu pour se tenir le 1er Septembre prochain, va-t-il faire voter la suppression de l’article 28 ? Nonobstant le serment constitutionnel de l’élu de 2009, nonobstant les dénégations du général Mohamed Ould Abdel Aziz qui ont convaincu les autorités françaises, mais pas l’opinion publique mauritanienne.

Quoique mis en garde, le jeune président de la République française (il avait six mois au moment du premier putsch, celui de 1978 renversant le « père fondateur ») a réitéré, le 2 Juillet, la caution donnée par deux de ses prédécesseurs à ce mode de prise du pouvoir et de perpétuation des putschistes. Alors que tous les démocrates, et l’ancien président Moktar Ould Daddah, appellent au boycott de la réélection du colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, organisée pour le 12 Décembre (aussi un anniversaire de putschiste : le « 12-12 »), Jacques Chirac, président de la République française, accompagné de Pierre Messmer qui commanda le cercle de l’Adrar et fut le gouverneur du Territoire plus de quarante ans auparavant, vint parader aux côtés du candidat, les 6 et 7 Septembre 1997. Naturellement, dans les trois mois, celui-ci fut réélu (soi-disant à 90,25 %, mais si le taux de la participation officielle est de 74,72%, celle-ci est très faible dans les villes : 36,21 % à Nouakchott, 47,7% à Nouadhibou, 57% à Zouerate, 53% à Kaédi). La journée des sommets, le 2 Juillet, enregistre, dès l’échange d’allocutions à un aéroport dont le nom justifie l’ensanglantement du drapeau national (1), des paroles décisives d’amitié et de soutien de la part d’Emmanuel Macron pour son hôte mauritanien. « Le président AZIZ est pour moi un partenaire incontournable dans le lien que la France construit avec le continent africain et tout particulièrement dans cette région du Sahel lourdement frappée par le terrorisme… Merci cher ami, Monsieur le président pour votre invitation et merci pour ces actions communes. » A son chevet dans un hôpital militaire francilien, il y aura six ans bientôt, le grand blessé « par une balle amie » avait déjà reçu la visite du ministre français de la Défense, celui de François Hollande et de la décision de sauver Bamako du Daech, Jean-Yves Le Drian, maintenant ministre des Affaires Etrangères.

 

Le tête-à-tête des deux chefs d’État porte-t-il sur la rumeur qui, faute d’un troisième mandat présidentiel, accorderait au général Mohamed Ould Abdel Aziz que lui succède son alter ego, le général El Ghazouani, chef d’état-major de l’armée nationale : celui-là même qui, peu après le coup du 6 Août 2008, condamné par la France et son président d’alors, Nicolas Sarkozy, transporta de Nouakchott à Paris, de quoi acheter (un million d’euros en billets) le revirement français. Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée, est en examen devant la justice française pour justifier ces sommes trouvées en sa possession.

Le débat est simple. Un troisième mandat ou une succession intérimaire – selon le système pratiqué en Russie par Wladimir Poutine – légitimera ou maintiendra une prétention affichée depuis le 10 Juillet 1978. Pas moins de sept « chartes constitutionnelles » ont affirmé que « conscientes de leurs responsabilités devant le peuple, les Forces armées ont pris le pouvoir, le 10 Juillet 1978, pour sauver le pays et la nation de la ruine et du démembrement, et pour sauvegarder l’unité nationale et l’existence de l’Etat » (20 Juillet 1978 modifiée le 19 Mars 1979 – 6 Avril 1979 – 4 Janvier 1980 – 12 Décembre 1980 – 25 Avril 1981 – 12 Décembre 1981 – 9 Février 1985…). C’est bien le concept de légitimité, qui, de 1978 jusqu’à 2008, a donne le motif explicite des prises militaires du pouvoir. Le propre aide-de-camp de Moktar Ould Daddah eut le douteux privilège d’énoncer le premier ce motif. « L’armée vous retire sa confiance » et c’est le même qui a fait le coup de 2008. « Confiantes en la toute-puissance d’Allah (les Forces armées s’affirment) dépositaires en dernier recours de la légitimité nationale. ».  Les règlements intérieurs du Comité pendant la première période militaire (1978 à 1991) affirmaient même que celui-ci « est, par la volonté des forces armées dont il est l’émanation, le seul dépositaire de la souveraineté et de la légitimité nationale » Cette logique – conduisant à une conception inusuelle de l’ordre constitutionnel – n’a pas été confirmée par la Constitution de 1991, toujours en vigueur (son article 2 dispose en effet que « le peuple est la source de tout pouvoir ») mais elle a inspiré le putschiste de 2008 puisque le président de la République, démocratiquement élu, fut réputé avoir « tenté de faire un coup d’Etat contre la démocratie » du seul fait qu’il pourvoyait aux commandements principaux de l’armée et à la direction de son état-major particulier… L’intervention pour éviter « le démantèlement du pays » en 2008 faisait écho à celle de 1978 « pour sauver le pays du démembrement ». La guerre de maintenant au Sahel ne fait-elle pas courir le même danger au pays ? C’est pourtant l’usurpation des militaires en 1978 qui fit perdre à la Mauritanie cette partie d’elle-même que les partages entre colonisateurs avaient attribuée aux Espagnols, divisant contre nature le pays, perdre aussi le condominium sur l’économie, les phosphates, le tourisme prospères sur la façade atlantique du Sahara.

Le sacrifice conscient de Moktar Ould Daddah sera-t-il une nouvelle fois inutile ? Au courant depuis le samedi 8 Juillet, de ce qui se prépare – l’arrestation en séance des quelques quarante membres du Bureau politique national, inopinément reportée par les comploteurs, parce que l’un d’eux est souffrant(2)– le Président décide de ne pas s’opposer aux traîtres : «  Le samedi 8 Juillet 1978, pendant la réunion du B.P.N., Ahmed Ould Zeïne, membre de cette instance, me rend compte d’une conversation qu’il a eue la veille au soir avec Sid’Ahmed Ould Bnéïjara. D’après ce dernier, un coup d’Etat est imminent. Il est préparé avec la complicité de tous les responsables de l’armée et de ceux des forces de sécurité : chef d’état-major national, commandants des régions militaires, ceux de la gendarmerie et de la garde nationale. Je mets Ahmed Ould Zeïne en rapport avec le ministre de la Défense Nationale, Mohamedhen Ould Babbah, qui assiste, lui aussi, à la réunion du B.P.N. puisqu’il en est également membre. Je n’avise personne d’autre, pas même le ministre de l’Intérieur, Mamadou Sakho.

Pourquoi ai-je agi de la sorte ? Parce que, me suis-je dit, de deux choses l’une :

– ou il s’agit d’une fausse alerte, auquel cas, ce n’est pas le moment de démoraliser nos forces combattantes en manifestant à leur égard la moindre suspicion alors qu’elles ont besoin du maximum d’encouragement pour les aider à accomplir leur mission sacrée qui est de défendre la Patrie en danger.

– ou l’information est exacte. Alors, je dois mûrement réfléchir à la meilleure façon d’affronter la situation nouvelle. L’information étant vraisemblable, je dois la prendre en compte et envisager diverses hypothèses pour y faire face. La première idée qui me vient à l’esprit est, tout naturellement, de chercher à déjouer le plan des putschistes. Comment ? En réunissant le jour-même un Conseil des Ministres extraordinaire pour y procéder, conformément à la procédure légale en vigueur, au remplacement de ceux des responsables militaires dont la nomination en relève : le ministre de la Défense Nationale se chargeant du cas de ceux qui relèvent de sa compétence. La diffusion à la radio de la liste des officiers relevés et de celle de leurs remplaçants aurait probablement suffi à prendre de vitesse les putschistes et donc à déjouer leur plan. De prime abord, une telle solution me tente. Mais, finalement, je ne la retiens pas car je ne puis pas être complètement sûr de ses résultats. Cette absence de certitude – manque de détermination, diraient certains – m’y fait renoncer. Pour deux raisons du reste voisines :

– le risque d’affrontement et, donc, d’effusion de sang au sein de notre armée et de nos forces de sécurité entre loyalistes et putschistes.

– les répercussions négatives graves d’une telle conjoncture sur nos combattants au front. En effet, privées – même très brièvement – de commandements locaux et de répondants au niveau de l’état-major à Nouakchott, nos forces risqueraient la désorganisation, la panique et même l’anarchie. Dans un tel contexte, elles deviendraient plus vulnérables, donc plus faibles face à l’ennemi. C’est pour éviter de telles perspectives que, après mûres réflexions, je décide, en âme et conscience de “laisser faire”. Je préfère me sacrifier moi-même et subir les conséquences prévisibles de la perte du pouvoir plutôt que de provoquer des heurts meurtriers et des divisions irréparables entre mes compatriotes et, en même temps, d’affaiblir nos combattants qui affrontent l’ennemi dans des conditions déjà difficiles. Etait-ce la meilleure décision ? L’Histoire la jugera peut-être. Objectivement, j’espère. Mais, ce qui compte avant tout pour moi, c’est le jugement divin. Que ce jugement me soit favorable dans l’au-delà.

Près de vingt-quatre ans après, au moment de terminer l’ultime révision de ces Mémoires, je demeure encore dans la même manière de penser.

Je pouvais comprendre d’être devenu un obstacle aux yeux de certains, dont les militaires. Je pouvais donc être tenté de m’effacer volontairement, pourvu que continue notre lutte pour la réunification, peut-être de meilleure manière encore. En revanche, je ne pouvais imaginer que des nationaux mauritaniens, des officiers, laisseraient en quelques jours, semaines ou mois, tomber tout l’acquis de vingt ans de notre effort. Je ne pouvais imaginer qu’ils capituleraient. Ce manque d’imagination, que mes compatriotes veuillent bien me le pardonner. »(3)

Et donc commence de s’écrire une autre Histoire, que celle de la fondation. Une autre Histoire qui est même proclamée par les militaires … «  Nos vaillantes forces armées ont repris le pouvoir à l’aube du lundi 10 juillet 1978 sans aucune effusion de sang, mettant ainsi fin au régime de la corruption et de la trahison nationale. Un comité militaire de redressement national présidé par le lieutenant-colonel Moustapha Ould Mohamed Saleck a été constitué.

Peuple mauritanien, Mauritaniennes, Mauritaniens, peuple de héros. Le régime de la corruption anti-nationale et anti-populaire a pris fin. Les forces armées dépositaires en dernier recours de la légitimité nationale, conscientes de leurs responsabilités, ont pris le pouvoir.

Je devrais dire plutôt, ont repris le pouvoir à ceux qui l’ont lâchement spolié, pour sauver le pays et la nation de la ruine et du démembrement, sauvegarder l’unité nationale, défendre l’existence de l’Etat.

La Constitution, le Gouvernement, le Parlement, le Parti et tous les organismes de celui-ci sont dissous. Un comité militaire de redressement national assume tous les pouvoirs jusqu’à la mise en place d’institutions démocratiques.

Un nouveau gouvernement sera constitué incessamment. Le comité déclare solennellement respecter tous les engagements pris au nom de l’Etat mauritanien vis-à-vis de l’étranger, des organisations internationales, des personnes physiques et morales et étrangères, affirme sa volonté de poursuivre et d’améliorer davantage ses liens avec les pays frères et amis.

Le CMRN déclare solennellement adhérer aux principes des droits de l’homme, de la charte des Nations Unies, de l’organisation de l’Unité africaine et de la Ligue arabe.

Le CMRN garantit la sécurité de la vie et des biens des étrangers vivant sur le sol mauritanien ; le CMRN demande à la population d’observer le calme et la discipline et d’obéir aux consignes qui seront données par voie de communiqués radiodiffusés ; le CMRN met en garde contre toutes les actions (sic!) de nature à troubler l’ordre public. Le comité militaire invite les administrations à l’intérieur du pays à continuer de fonctionner normalement. A Nouakchott, un communiqué spécial fixera le calendrier de reprise du travail.

En tout état de cause, une discipline de rigueur (sic!) doit être observée ; d’autres communiqués seront diffusés pour donner d’autres informations dans les toutes prochaines heures.

Je vous remercie.

Mauritaniens et Mauritaniennes, peuple de héros, vous l’avez constaté par vous-mêmes, la prise du pouvoir pour le redressement national, s’est déroulée dans le plus grand calme et sans effusion de sang.

La population est invitée à vaquer à ses préoccupations habituelles dans le plus grand calme et une discipline de rigueur. »

Le choix pour la Mauritanie, ces mois-ci, est à faire entre deux versions de l’Histoire, et plus pratiquement sur la légitimité ou pas de l’exercice du pouvoir, et de la manière d’en acquérir le mandat. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz en était tellement lors de sa première campagne électorale qu’il voulut s’associer – par une image qui ne lui appartenait pas(4)– le président-fondateur : Moktar Ould Daddah…

 

Bertrand Fessard de Foucault, alias Ould Kaïge

 

1)- alors que le nom de Moktar Ould Daddah semble s’imposer pour le nouvel aéroport international, il lui est préféré celui du combat de Moutounsi, livré le 18 Août 1932 et où fut tué le lieutenant français de Mac-Mahon

(2)- le commandant Ahmedou Ould Abdallah, responsable de la 6ème division militaire, celle de Nouakchott

(3)- Moktar Ould Daddah, La Mauritanie contre vents et marées (éd. Karthala . Octobre 003 . 664 pages – existe aussi en version arabe), pp. 18 et 19

(4)- c’est la couverture du livre des mémoires du Président (op. cit.): photographie prise par Ould Kaïge, à Maghta Lahjar, en Avril 1974