Entretien avec…Abderrahmane Ould Ahmed Ould Thewbane, cadre de l’APP candidat à la présidence du parti

Entretien avec...Abderrahmane Ould Ahmed Ould Thewbane, cadre de l’APP candidat à la présidence du parti

Le CalameMerci d’avoir choisi de vous exprimer à travers nos colonnes. Pouvez- vous, s’il vous plaît, vous présenter à nos lecteurs ?

Abderrahmane Ould Ahmed Ould Thewbane : Volontiers. Je m’appelle Abderrahmane Ould Ahmed Ould Thewbane. Militant de longue date de l’Alliance Populaire Progressiste, j’étais, auparavant, membre de l’Action pour le Changement (AC) que le pouvoir de Maaouiya a interdit. Tout ça pour un peu dire que j’ai connu, avec beaucoup d’autres, les hauts et les bas de notre parti.

-Quelle évaluation faites-vous, en tant que citoyen, de la situation du pays ?

-A mon avis, le pays va mal. Quand, dans un pays, l’école ne marche pas, la santé ne marche pas, les conditions de vie des citoyens se dégradent de jour en jour, il est évident qu’il y a problème.

Et que je sache, je ne suis personnellement au courant d’aucune politique ou programme visant à endiguer cette situation de précarité grandissante. Quand le gouvernement est dans un « oued » et le peuple dans un autre, il y a véritable déconnexion de la réalité et du quotidien des populations.

A titre d’exemple, cette année sera particulièrement difficile, pour le monde rural, à cause du mauvais hivernage. Mais, à ce jour, rien n’a été fait pour seulement tenter de mettre en place un plan d’urgence au secours de ces populations rurales et de leur cheptel.

Sur le plan politique, vous connaissez mieux que moi ce qui se passe. La crise est nette. Visiblement, le dernier dialogue n’a pas servi à grand-chose. Le comité de suivi ne semble même pas d’accord sur la mise en œuvre de ses résultats. Socialement, c’est l’exacerbation communautaire. Les questions de l’esclavage et du passif humanitaire continuent à diviser les Mauritaniens.

Economiquement, la dette aurait dépassé les 93% du PIB, c’est catastrophique. Il va sans dire que chaque pays a ses problèmes, la Mauritanie ne peut faire exception. Mais il me semble que rien n’est fait pour juguler l’injustice qui se propage, prendre à bras le corps la pauvreté envahissante et faire face aux défis de la cohabitation entre les communautés nationales.

– Comment va votre parti, l’APP ?

-C’est un parti politique qui a son approche et sa vision des choses, comme tous les autres grands partis, RFD, Tawassoul ou UFP, qui ont contribué à l’amélioration du processus démocratique, malgré les aléas du temps et les réalités du contexte.

L’APP va passablement. Il est sûr que l’état de santé du président Messaoud Ould Boulkheïr a impacté sur son dynamisme. Les préparatifs vont bon train pour préparer son congrès. Des décisions très importantes y seront certainement prises. Maintenant, et c’est mon point de vue personnel, je crois qu’il y a, comme en beaucoup de partis politiques, des problèmes à l’APP.

Comment voudriez-vous qu’on puisse réclamer, à Aziz, une alternance démocratique du pouvoir, alors qu’on se l’interdit nous-mêmes, en nos propres formations politiques ? Il faut savoir être entier et aller jusqu’au bout de notre logique. Depuis 1992, les mêmes hommes dirigent certains mêmes partis. APP dénonce, régulièrement, l’injustice, réclame la démocratie. Il faut être en phase avec soi-même.

C’est une question de principe. Ni plus ni moins. Il est impossible de parler d’alternance démocratique et traîner des pieds à l’appliquer, au niveau de certains partis de l’opposition.

– Pour revenir un peu en arrière, comment justifiez-vous le soutien de votre parti au candidat Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, au détriment du candidat Ahmed Ould Daddah, lors de la présidentielle de 2007 ?

-Vieille histoire… Les justifications ont été données en leur temps. L’essentiel, c’est que l’APP assume totalement ce choix. Il est évident que tout le monde n’était pas d’accord là-dessus mais, bon, quand le parti choisit une voie, c’est tout son monde qui en devient responsable. Peut-être que nous nous sommes trompés, comme les généraux qui ont cru que le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi était un homme de paille facilement manipulable. De toutes les façons, l’Histoire se chargera de démontrer si le choix était bon ou non.

Ce qui est sûr, c’est que le pays va mal, aujourd’hui. Regardez un peu comment le pouvoir est entrain de scier la branche sur laquelle il est assis : les libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression.

La mise sous contrôle judiciaire de certains de nos meilleurs journalistes et de deux patrons de centrales syndicales et la guerre contre les sénateurs prouvent cette dangereuse régression. Si Sidi n’avait pas été élu, ça aurait été Ahmed. Comment les choses allaient se passer avec lui ? Seul Allah sait. La balle est partie, il n’ ya plus rien à faire.

– Vous êtes, semble-t-il, candidat à la succession du président Messaoud Ould Boulkheïr ?

-D’abord, permettez-moi de rendre, à travers les colonnes de votre respectable journal, un hommage particulier à ce grand homme, pour son militantisme et son amour de la Patrie. Cela n’empêche pas d’avoir de légitimes ambitions. De grandes ambitions. Ma candidature n’est pas un défi mais une volonté de poursuivre l’œuvre de construction et de restructuration de l’APP.

Si je suis élu à sa tête, je veux, non seulement, promouvoir la démocratie et ses valeurs mais, aussi, essayer, avec tous les autres, de contribuer à sortir la Mauritanie de la très dangereuse crise où les pouvoirs d’exception et les régimes « démocratiques » de façade l’ont plongée, de 1978 à maintenant.

– Et cette histoire de troisième République ?

-Cela nous ramène à toute la question : l’incursion des militaires dans la politique. Qui a dit : « Lorsque l’armée s’occupe de politique, l’armée se gâte et la politique aussi » ? C’est exactement ce qui s’est passé chez nous. « Mieux vaut écouter ceux qui te font pleurer que ceux qui te font rire », disent les Maures. Le président Mohamed Ould Abdel Aziz devrait beaucoup méditer ces propos.

A cet égard, il a tout intérêt à respecter la Constitution qu’il a déjà suffisamment violée. Il a intérêt à respecter sa parole, proférée à maintes reprises. Il a intérêt à préparer les conditions propices à une alternance pacifique, en 2019. Maître d’œuvre de celle-ci, cela lui permettra de sortir par la grande porte, en promoteur de la démocratie, après avoir été son pourfendeur.

Propos recueillis par El Kory Sneïba

Source : Le Calame (Mauritanie)