Passions d’un engagement (24) : Lorsqu’un coup de force s’impose. Par Ahmed Salem OULD EL MOKHTAR (CHEDDAD)

Pendant tout ce temps, la guerre se poursuit. L’armée nationale enregistrait revers sur revers, ce qui la confinait dans une position de plus en plus défensive, ce qui était intenable.
Les gradés, responsables de secteurs militaires, étaient, pour la plupart, préoccupés par leur gestion personnelle de leur part du budget militaire. Face à une telle situation, des jeunes
officiers, appuyés par des cadres civils, commencèrent à réfléchir. La seule issue qui s’offre devant eux, n’est autre qu’un coup de force visant à balayer le régime du président Mokhtar et à prendre en main les rênes du pouvoir.

L’action du 10 juillet 1978

Plus tard, ils manifesteront d’autres mobiles, dont le caractère régionaliste est à peine voilé.
Clandestinement, ils se mirent à s’organiser autour de feu Jiddou Ould Salek, un commandant de l’armée qui n’avait jamais caché ses ambitions putschistes. Feu Jiddou, Sid’Ahmed Ould Bneijara, Ahmed Ould Wavi et d’autres éléments, civils et militaires, étaient d’obédience baathiste notoire. Ils formèrent un comité baptisé très tôt : Conseil de la Révolution. Plus tard, face à la nécessité de garantir plus d’efficacité, ils s’adjoignirent de vieux vétérans, des civils comme feu Cheikhna Ould Mohamed Laghdaf et des militaires comme feu le colonel Moustapha Ould Mouhemd Salek, le chef d’État-Major de l’armée. Devant l’influence grandissante des nouveaux membres, conservateurs pour la plupart, mais occupant souvent des postes stratégiques, l’idée de Conseil de la Révolution fut vite
abandonnée.

L’objectif qui fait l’unanimité

L’objectif fixé, et qui avait fait l’unanimité, est le retrait rapide de la Mauritanie de la guerre du Sahara. De méchantes langues commentaient que l’armée cherchait à se sauver d’un conflit qui risquerait à la longue de l’exterminer. Les deux objectifs, non seulement ne sont pas contradictoires, mais ils sont aussi, à la fois, légitimes et complémentaires. Cette période était dominée par un doute persistant, car aucun mauritanien ne croyait plus, intérieurement, à la moindre possibilité de sauver notre pays de la disparition de la carte du monde.
Tout indiquait que l’horizon ne cessait de s’obscurcir devant le président Mokhtar Ould Daddah. Les gens remarquèrent que durant ses voyages à l’extérieur, contrairement à l’habitude, où il se faisait accompagner par un médecin généraliste, ses derniers voyages il était toujours secondé par le médecin psychiatre Dia Elhousseinou. Les gens soupçonnaient qu’il souffrait déjà de troubles du sommeil. Le dimanche 9 juillet 1978, à la veille du putsch, le ministre d’État, chargé de l’orientation politique, Abdellahi Ould Boyé, tenait un meeting à la permanence du PPM dans les locaux (jusqu’à récemment) de l’Assemblée nationale. La rumeur de l’éventualité d’un putsch circulait déjà dans les rues de la capitale. Au niveau de la direction du mouvement, nous étions tenus informés de l’évolution du projet de putsch, bien que du point de vue du principe, nous refusions d’y prendre part. Nous étions déjà au courant que le coup de force était programmé pour la nuit suivante. C’est-à-dire la nuit du 10 juillet 1978. Moussa Fall, à travers ses amis Mahjoub Ould Boya et Ahmed Ould Wavi, nous informait régulièrement de l’évolution des tractations. Ce soir-là je n’ai pas dormi chez moi.

Comment les complicités fonctionnent

J’ai informé, à mon tour, mon ami Dah Ould Sid Elemine, avec qui j’ai passé la nuit dans une chambre clandestine au 5e, le quartier de Sebkha aujourd’hui. Tard dans la nuit, on nous informa que la direction du putsch avait décidé de le reporter. On apprendra après qu’elle avait renoncé au report, sous la pression de Jiddou Ould Salek qui, à la tête d’une armada, composée de plusieurs unités militaires, revenait d’Awousrid (Sahara Occidental), prétendant poursuivre des éléments du Polisario qui pourraient s’attaquer à Nouakchott. Jiddou menaçait d’écraser la capitale si l’idée du report n’était pas rejetée.

L’instinct de la petite Chiva

Le lendemain, je regagnais la maison, aux environs de 10 heures après l’annonce officielle du succès du fameux coup d’État du 10 juillet 1978. La petite Chiva, la jeune sœur de Madame, cinq ans à peine me dira : «Toi, hier, tu n’as pas passé la nuit ici ! ». Elbou, dit Bébé, mon premier enfant verra le jour un peu plus de 3 mois après, le 21 octobre 1978. Je craignais pour leur sécurité, lui et sa mère lors de la nuit du putsch.

Le verdict du poète

Comme presque toutes les personnes âgées de l’époque, la belle-mère Dy, apprenant la nouvelle du putsch, s’écria: « Ce n’est pas possible ! La Mauritanie ne peut pas exister sans
la présidence de Mokhtar Ould Daddah ». Feu Mohamed Ould Bagga était d’un avis contraire. Au moment où les supputations autour des raisons du coup d’État battaient leur plein, le célèbre poète Ould Bagga trancha toute polémique sur la question. Pour le poète, il n’y avait pas eu putsch. « Putsch contre qui ? » s’interrogea-t-il. Et de poursuivre : « Le régime de Ould Daddah evragh».

La lucidité du poète est dans cette dernière remarque : « La réalité est que, usé par la guerre, le pouvoir s’est consumé progressivement. Tout ce que les militaires ont fait est d’occuper en douce une place d’un régime qui a cessé d’exister depuis », explique-t-il.

Le consensus de la rue

Le lendemain, les rues de Nouakchott furent submergées de manifestants, les soutiens des putschistes. Aucune sensibilité politique ne s’était absentée. On remarquait, parmi les participants, de nombreux ténors de l’ancien régime. Un ami, un proche, Dah Ould Abdeljelil, m’interpella ainsi, devant la plus importante manifestation de soutien au coup d’État : « Si tu pouvais faire comprendre à tes amis-là que nous sommes venus uniquement
pour les épauler ! ».
Une nouvelle ère d’espoir, mais surtout d’incertitude s’ouvrit dans le pays: « l’ère des colonels”. Cela sera une autre histoire.

(À suivre)