Leur nombre augmente chaque jour de manière vertigineuse. Ce sont les journalistes mauritaniens. Par définition, un journaliste est une personne censée recueillir, rechercher, vérifier, écrire et distribuer des informations. Le journaliste mauritanien est aussi une personne – du métier ou parfois malheureusement du n’importe quoi – appelé à exploiter tout type de media : presse écrite, parlée, audiovisuelle, numérique, ou tous autres moyens de diffusion; pour exercer, en « contrebas », cette fonction à laquelle il est d’ailleurs le plus souvent étranger.
Vrais ou faux, les journalistes sont chez nous répartis en plusieurs catégories. Les professionnels, parfois sortants de prestigieuses écoles, à l’instar d’Abdoulaye Ciré Ba ou Ahmed ould Cheikh; puis des gens comme moi, formés sur le tas. S’ajoutent à ces deux catégories, les faux journalistes, beaucoup plus nombreux que les autres, et encore les vrais-faux journalistes nés spontanément pour des intérêts inavoués. En ces quatre « familles », il faut en outre évidemment compter les « peshmergas. Un sobriquet qu’on a tendance maintenant à coller à n’importe qui exerce ce métier, qu’il soit professionnel, amateur ou faux journaliste.
Avec cet autre distinguo: les peshmergas « haut de gamme », directeurs de publications écrites, radios, télévisions privées ou encore administrateurs de sites-web. Ceux-là s’emploient à se faire toujours passer pour de grands responsables honnêtes, respectueux de la déontologie et de l’éthique. Ils vivent au-dessus de leurs moyens grâce aux moyens des autres, le plus souvent des ministres, des directeurs d’établissements publics ou parapublics et/ou des hommes d’affaires. Toujours bien habillés, ces peshmergas de qualité « supérieure » roulent dans des véhicules de puissante cylindrée, signant des contrats de publicité qui cachent une corruption soit passive soit active. Les annales de notre presse mauritanienne retiendront à jamais les noms de certains d’entre eux au- dessus de tout soupçon mais qui ont vécu – ou vivent encore – d’une malhonnêteté à donner des nausées à la noblesse de ce quatrième pouvoir.
Journalistes des BR, BD et PR
Au milieu de ce désordre fou, on compte des journalistes plus connus par leur nom de famille ou leurs affiliations tribales que par leurs compétences. Titulaires de cartes de presse, ils composent un lobby de « Sans Organe Fixe» (SOF) émargeant aux BD et aux BR avec la bénédiction des PR. Ils sont fichés aux services « comptabilité » des sociétés et établissements publics comme la SNIM, la SNDE, la SONELEC, et ce circuit « fermé » que forme la HAPA.
Vrais ou faux journalistes, professionnels comme Imam Cheikh ou formés sur le tas comme moi, les journalistes de ce pays peuvent être arabisants : ils sont partout ; francisants: une espèce en voie de disparition ; ou vernaculaires : pauvres, mal vus et peu populaires. Blancs ou noirs, maures ou harratines, pulaars, soninkés ou wolofs, ces journalistes vrais ou faux se répartissent les tâches de chroniqueurs, présentateurs ou reporters dans les organes de presse écrite, audiovisuelle, radiophonique ou numérique du champ médiatique.
La presse mauritanienne, la presse la plus désorganisée du Monde
La presse mauritanienne évolue dans un libéralisme total qui rend fou tous les professionnels du métier mais où chacun retrouve son compte. Dans ce pays d’hommes peu intègres, on peut encore classer ceux qui en vivent selon trois autres catégories. Les journalistes de la presse officielle : Radio Mauritanie, Télévision Nationale et l’Agence Mauritanienne d’Information ; ceux de la presse dite indépendante, qui ont la plume dans l’indépendance et la poche dans la dépendance ; et enfin les autres, ces débris de microbes – véritables déchets toxiques… – qui envahissent la Toile, les réseaux sociaux et les plateformes par un journalisme de pacotille afin de donner des sensations aux drogués et autres « prostitués » politiques de l’opposition au régime.
Bourrés d’argent du contribuable, les trois organes de presse nationaux (AMI, TVM et RADIO MIE) jouent le rôle d’instruments de propagande du pouvoir, tous les pouvoirs sans distinction. Dotés de moyens énormes, ces trois structures forment de véritables champs de captage et un fourre-tout pour des employés minables et incompétents utilisés en produits éclaircissants pout le visage des régimes en place.
Pauvre, la presse indépendante, écrite ou numérique, radio ou télé, survit en tapant la manche. Elle est complètement «dépendante» des financements d’hommes d’affaires et de personnalités politiques ou publiques. Cette presse dont les feux rouges clignotent depuis sa naissance fonctionne le plus souvent à coups de « dessous de table » ou grâce aux retombées de corruptions bien ciblées.
La presse mauritanienne : passé luisant, présent nauséabond, futur inquiétant
Complètement métamorphosée ces trente dernières années, la presse mauritanienne a son Histoire. Malheureusement et depuis quelques années, une histoire complètement aliénée par des comportements de « pseudo-journalistes » qui piétinent l’éthique et la déontologie de cette noble profession. Mais elle a quand même son Histoire. Un passé glorieux attribué à des journalistes célèbres dont les noms sont à jamais inscrits au marbre de la postérité: Khaye Baba Cheyakh, qui restera sans nul doute le meilleur reporter de tous les temps. Sidi ould Cheikh sortant de l’INA de Paris, le plus brillant éditorialiste de toute l’Afrique francophone. Son nom trône dans les couloirs de Radio Mauritanie.
Sidi Mohamed ould Cheïgueïr, très peu connu et pourtant icône de la presse écrite et génie de la production. Naha mintSeyidi, cette voix radiophonique d’or qui berça chacun de nous dans sa tendre enfance. Khadaja mint Seyidi, une grande dame mais surtout une très grande présentatrice de journaux parlés. Elle avait cette faculté de jongler avec un français plus limpide que celui de Molière ou de Victor Hugo. Ba Abdoulaye Ciré qui restera pour longtemps dans les annales de la presse mauritanienne en brillantissime producteur d’émissions radio et éditorialiste hors pair. Imam Cheikh, dont le timbre radiophonique est rare et la plume sage et cultivée. Dah ould Abdi rendu célèbre par sa voix grave, imposante et attrayante, un de ces présentateurs de journaux parlés qui n’ont jamais été détrônés.
El Kory ould Abdel Mola – le ministre – très discret personnage d’une intelligence extrêmement poussée, qui posa les premiers jalons du succès de la presse écrite. Yeslim ould Ebnou Abden, un autre label de la presse écrite et l’un des premiers pionniers de la Mauritanienne de l’information. Mohamed ould Babeta, véritable machine à produire des articles de poids et de mesures. Mohamed Vall ould Oumer, une célébrité qui donna de la hauteur à la presse tabloïde. Les frères Moulaye Ély, une autre histoire grandeur nature de la compétence radiophonique. Mohamed Lemine ould Abderrahmane Cheikh, un génie de son époque malheureusement peu connu qui m’a donné l’envie de devenir ce que je suis maintenant. Mohamed Salem ould Elouma, un journaliste qui ne parle pas beaucoup, écrit peu mais demeure un véritable volcan qui ne crache que de la littérature journalistique. Coulibaly Souleymane, le ballon d’or des chroniques sportives. Mohamed Abdallahi Bezeïd, ce journaliste jamais égalé pour son talent radiophonique de très rare qualité.
Et ce n’est pas tout. Que dire de Habib ould Mahfoud, ce virtuose de la plume ? Il n’y eut jamais quelque chose à ajouter ou à retrancher à ce qu’il écrivait. Habib Ould Mahfoudh, celui qui laissa en héritage à des milliers d’intellectuels mauritaniens le goût de la lecture… Et puis enfin vous avez les autres. Moyens et bas de gamme comme moi. Ni dépendant, ni indépendant, ni bon, ni mauvais, une espèce de plume qui se faufile le plus souvent maladroitement à travers les évènements. Vous avez aussi ces quelques journalistes bardés de diplômes mais listés parmi les plus pauvres de la presse, comme Mamadou Hamady N’Diaye, dit Bosco, un « SOF » dont la popularité stagne depuis plus de vingt ans.
Une presse à l’image d’un pays à l’image de sa presse
Mais la Mauritanie, c’est aussi ça. Du bon et du mauvais dans tout et surtout malheureusement partout. La Mauritanie est un pays malade dont la presse agonise. Et c’est peut-être pourquoi, comme l’urne pleine de la plaine de Waterloo, la presse des bons, des mauvais, des vrais, des faux, des arabophones, des francophones, des vernaculaires et celle des minables au service de renseignements sécuritaires, se meurt à petit feu, laissant triompher l’hypocrisie dans un pays où tout est faux et fait usage de faux.
Quand je pense à tout cela, j’ai pitié pour Ahmed ould Cheikh, Cheikh Aïdara, Kissima Diagana, Guèye Bakary, Sneïba El Kory, Sy Mamoudou, Mohamed Diop, Babacar Baye N’Diaye, Jedna Deïda, Oum Benina mint Bamba, Mohamed Mohamed Lemine, Mariam mint Derwich, tous ces guerriers et guerrières de la plume qui se battent, sans armes, sur un terrain rendu hostile par la prolifération d’une presse«entretenue». Celle-ci ressemble beaucoup plus à une meute de chiens de chasse lâchés à la poursuite d’une « corruption » instaurée volontairement par les pouvoirs publics, pour noyer la vraie presse dans une mare de caïmans d’une presse de libre échange sur les réseaux sociaux de l’intox ; des réseaux sociaux qui deviennent, malheureusement hélas, de plus en plus « fous » et « agressifs ».
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant
NOTE
1 : Un article dédié à la mémoire de mon ami et confrère Amar ould Bouhoubeïny