Lors de son discours qu’il avait prononcé à l’ouverture du festival, considéré par ses partisans comme «historique», le Président Ghazouani avait en effet mis le doigt sur deux plaies de la société mauritanienne : la persécution des classes dites serviles et le tribalisme.
Il avait déclaré : «Il est temps de purifier notre patrimoine culturel des vestiges de cette injustice odieuse et de se débarrasser de ces préjugés et stéréotypes qui contredisent la vérité, heurtent les règles de la charia et de la loi, affaiblissent la cohésion sociale et l’unité nationale et entravent le développement de mentalités conformes aux concepts d’Etat de droit et de citoyenneté».
Ghazouani affiche sa détermination
Preuve qu’il ne s’agissait pas d’un simple effet de manche, le Président a récidivé à Tichitt où il a martelé que les efforts pour le développement du pays n’auront aucun effet s’ils ne sont pas accompagnés d’un «changement profond des mentalités et des comportements sociaux, en conformité aux principes et valeurs de citoyenneté et aux impératifs qu’impose la construction d’un État moderne».
Il ainsi rappelé que lors de la précédente édition du Festival des cités du patrimoine, il avait souligné la nécessité de se départir des comportements entretenus par les stéréotypes qui engendrent méfiance et incompréhension des uns envers les autres et des préjugés qui les alimentent. Il en a profité pour insister sur «la nécessité de faire face à la montée de l’esprit tribal et sectaire».
Enfonçant le clou, il déclare : «Il n’est pas raisonnable, ni acceptable, alors que nous sommes au troisième millénaire, d’assister à certains phénomènes qui se sont beaucoup produits ces derniers temps, notamment la transformation de certains litiges fonciers en conflits tribaux primitifs, aigus et violents, et dont la prévalence est fondamentalement contraire à la notion de l’État moderne, tout comme elle perturbe le développement et porte gravement atteinte à la cohésion sociale».
Le Président de la République ne prêche-t-il pas dans le désert ?
On ne peut que donner du crédit au Président de la République dans sa volonté de transformer la société mauritanienne et de la faire évoluer vers plus de modernité. Mais il se trouve que notre pays se caractérise par le fait que, très tôt, les pôles de décision traditionnels (chefferies, tribus, castes dites nobles, etc.) ont investi les structures de l’État, figeant ainsi dans une forme de conservatisme cette institution qui était peut-être la seule à avoir vocation à impulser efficacement les politiques nécessaires à la transformation sociale et à la lutte contre les archaïsmes de nos sociétés rurales…
«Aussi longtemps que je me rappelle, les choses ont toujours été ainsi. La Mauritanie s’est créée sur des bases tribales et aujourd’hui encore, malgré l’existence d’un Etat central, c’est le même système qui se perpétue», déplore un activiste des Droits de l’Homme.
En effet, quelle que soit la communauté à laquelle on appartient, c’est le même système de caste et la même organisation sociale qui régit la société mauritanienne. Chez les Maures (arabo-berbères) comme chez les Afro-mauritaniens (peuls, soninkés et wolofs) l’ordre social hiérarchique place les nobles (guerriers et marabouts) en haut de l’échelle, suivis par les artisans et en bas de l’échelle les affranchis et les esclaves. Il est même arrivé, dans l’histoire politique récente de la Mauritanie, que des ministres ou de hauts responsables perdent leur poste parce qu’ils ont été jugés indignes de représenter une région ou un département du fait de leur «classe sociale».
Montée en puissance des particularismes identitaires
Ces cloisonnements communautaires, du fait de leur persistance et leur caractère intolérable, ont fini par créer des frustrations poussant certains à braver l’ordre établi pour briser le carcan de la domination.
A Ouadane, le Président Ghazouani avait déclaré que « l’Etat restera le protecteur de l’unité nationale, de la dignité, de la liberté et de l’égalité de tous les citoyens par la force de la loi, quel qu’en soit le coût, et qu’il n’établirait pas un droit ou un devoir sur toute affiliation, sauf affiliation nationale ».
Si ce discours avait été accueilli avec enthousiasme par un large pan de l’opinion, il avait aussi été vivement critiqué par une grande frange des négro-mauritaniens, notamment le président Samba Thiam des FPC qui déclarait que ce « discours » n’est pas adressé à sa communauté. «A aucun moment, il ne parle de discriminations ou de racisme d’Etat, dont souffrent les négro-africains, tous les jours». Il y a encore du chemin à parcourir !
Sikhousso
Source : Eveil Hebdo – Mauritanie