Marchandisation de l’éducation en Mauritanie

Marchandisation de l’éducation en MauritanieLa privatisation et la commercialisation sont souvent avancées comme une solution aux problèmes rencontrés dans les systèmes publics d’éducation. Se fondant sur une étude de cas en Mauritanie, l’auteure soutient que l’une ou l’autre des solutions débouche aussi sur des questions et des risques.

L’affaire de la vente à des entrepreneurs privés d’écoles publiques en Mauritanie, et la privatisation de l’éducation associée, documentée et dénoncée par la société civile depuis 2018, a pris un nouveau tournant avec la publication le 27 juillet 2020 d’un rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la présidence de l’ancien Président, Mohamed Ould Abdel Aziz, évincé du pouvoir en août 2019.

Le système éducatif Mauritanien est marqué par une marchandisation croissante depuis ces dernières années. Ceci est particulièrement le cas à Nouakchott, où l’Etat mauritanien a organisé en 2016 la vente aux enchères de six terrains sur lesquels se situaient des écoles publiques, dans le centre-ville commerçant de Nouakchott, au profit d’acteurs privés qui y on construit des lieux commerciaux.

Une recherche menée par l’Association des Femmes Chefs de Familles (AFCF), la Coalition des Organisations Mauritaniennes pour l’Education (COMEDUC), et notre organisation, la Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights (GI-ESCR), montraient en 2016 que les écoles publiques avaient bien été fermées du jour au lendemain, avec les livrets scolaires abandonnés dans les décombres des chantiers des écoles rasées. Après une enquête de un an et demi, nos organisations ont soumis en décembre 2018 un rapport au Comité des Droit de l’Enfant de l’O.N.U sur cette situation et les conséquences que cela posait pour le droit à l’éducation.

Dans ses recommandations finales, le comité avait exprimé sa profonde préoccupation face à ‘la fermeture récente sans remplacement apparent de six écoles publiques à Nouakchott.’ Face au silence du gouvernement malgré les recommandations du CDE et le plaidoyer de la société civile pour l’ouverture de nouvelles écoles publiques en remplacement de celles fermées, un nouveau rapport a été soumis en 2019 au Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant (CAEDBE). Le rapport démontrait de nouveau la violation du droit à l’éducation du gouvernement mauritanien, en vertu du nouveau cadre international des Principes d’Abidjan sur le droit à l’éducation.

Notre rapport mettait notamment en exergue trois points, que la Commission d’enquête parlementaire confirme.

La vente des terrains au profit d’intérêt marchands

Interrogé en novembre 2019 par le CAEDBE sur la vente des terrains d’écoles publiques, le gouvernement mauritanien déclarait que les écoles publiques étaient des infrastructures appartenant à l’état telles que n’importe quelles autres, au même titre qu’un port par exemple. À ce titre celui-ci avait donc la liberté de vendre ces infrastructures comme toute autre infrastructure publique. Pourtant, le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur l’action du gouvernement de Mohamed Ould Abdel Aziz, démontre l’illégalité de ce positionnement au regard de la constitution mauritanienne.

Depuis l’interpellation de la société civile sur la vente et fermeture des écoles, l’état mauritanien n’a cessé de justifier la vente des terrains d’écoles publiques par sa liberté de disposer des biens publics, et par le fait que ces écoles étaient situées dans des zones commerçantes qui n’étaient plus adaptées pour abriter des écoles, car dangereuses pour la sécurité des enfants. Cependant, le rapport de la Commission d’enquête parlementaire réfute également cet argument et n’a pas trouvé de justification à la vente des écoles. La conclusion du rapport (p. 21) est que la ‘justification la plus plausible serait que ces écoles sont situées dans des zones commerciales très prisées et le fait de les vendre aux enchères, de façon contrôlée, procure des avantages financier considérables.

Un État ne peut faire respecter le droit à l’éducation s’il n’est pas régi par l’état de droit

Comme nous l’avions analysé dans nos rapports, la fermeture des écoles sans remplacement a mené à la déscolarisation permanente de milliers d’enfants : aucune autre école n’ayant été ouverte par les autorités publiques en substitution et de nombreuses familles n’ont pas les moyens de scolariser leurs enfants dans les écoles privées proches. Celles ayant réussi à rescolariser leurs enfants dans des écoles privées doivent maintenant payer des frais de scolarité d’environ UM 4,000 (environ USD 11) par mois par enfant. Ces familles, dont le revenu moyen mensuel déclaré tourne autour de UM 30 000 et UM 80 000 UM (environ entre USD 84 et USD 200), ont des difficultés à payer ces frais.

Le rapport de la Commission d’enquête affirme de nouveau qu’une telle situation était bien illégale au regard du droit mauritanien. Il rappelle également que les écoles maternelles et fondamentales relèvent du domaine public des communes en Mauritanie et ne peuvent être vendues sans une procédure officielle de déclassement. Il est important de souligner que cette procédure ne peut avoir lieu que si le bien en cause a cessé d’être affecté à un service public municipal. Ce qui montre bien l’importance de protéger des services tels que l’éducation, qui doivent être préservés. Cependant, la Commission n’a pu localiser de documents officiels de procédure de déclassement, et le rapport (p. 23) conclut : « sous réserve de l’existence d’une procédure de déclassement, il nous semble que les ventes en cause aient été conclues irrégulièrement. »

La question de la corruption

Nos rapports soulevaient également des questions importantes concernant la transparence de ces transactions pour la vente des écoles publiques : absence de consultation publique préalable ; signalement par certains observateurs que l’identité déclarée des acheteurs ne correspondait pas à celle déclarée officiellement, et dans le cas où elles coïncidaient, ce sont les mêmes acheteurs que l’on retrouvait dans chaque vente aux enchères ; dans certains cas, le terrain vendu directement à un acheteur sans enchères ; et dénonciation d’un lien potentiel entre certains acheteurs et les pouvoirs.

Le rapport de la Commission, bien qu’émettant une réserve en l’absence de nombreux documents n’ayant pas été fournis par le gouvernement, confirme ce contexte d’allégation de corruption générale concernant la vente des terrains et des écoles. Le rapport affirme que dans de nombreux cas, les procédures d’autorisation de vente ne semblent pas avoir étaient respectées, les prix de mise aux enchères et de vente sont pratiquement identiques (ce qui semble indiquer qu’il n’y a pas réellement eu d’enchères), et les prix de mise en vente paraissent avoir été fixés de manière favorable aux acheteurs. Le rapport (p. 19) stipule également qu’il semble que ces ventes aient été organisées ‘au plus haut niveau de l’Etat et ces bénéficiaires auraient été connus d’avance’, citant l’entourage de l’ancien Président Mohamed Ould Abdel Aziz. Le cabinet de l’ancien Président, maintenant mis en examen, est également désigné comme avoir ordonné la suppression des écoles publiques de la carte scolaire et la mise aux enchères.

Remarques finales

Nous saluons l’éclaircissement sur ce cas apporté par ce rapport indépendant et attendons désormais un plan d’action pour la rescolarisation des enfants et le soutien aux familles ayant été contraintes de scolariser leurs enfants en école privée. Le travail de la Commission parlementaire confirme également l’importance de la société civile pour améliorer la transparence et la redevabilité des systèmes éducatifs, en étant souvent en première ligne. Plutôt que la privatisation ou la marchandisation de l’éducation, souvent mises en avant comme étant une solution aux problèmes auxquels font face les systèmes éducatifs publics, et qui, comme ce cas le démontre, s’accompagnent souvent de risques importants de corruption et de violations du droit, le renforcement de la société civile est ainsi l’enjeu crucial pour améliorer la redevabilité dans l’éducation. Enfin, ce cas est un exemple flagrant de l’importance, partout, de protéger en droit des services publics comme l’éducation, afin d’éviter des violations massives des droits humains, telles qu’elles se sont déroulées en Mauritanie.

À propos de l’auteure : Océane Blavot est Chargée de Recherche et Plaidoyer à l’Initiative mondiale pour les droits économiques, sociaux et culturels (GI-ESCR), où elle travaille depuis 2016 sur la question des services publics et les droits de l’Homme dans l’espace francophone et en Afrique de l’Ouest. Email : oceane@gi-escr.org

Source : NORRAG