Le Trarza et la lutte anti coloniale (3)

Vint ensuite le fameux émir Ahmed ould Deïd (1930-1944), célèbre pour sa résistance et sa bravoure. Lors de la pénétration, il avait lutté, avec nombre d’autres, contre le pouvoir d’Ahmed Salem ould Ely. Dès les premiers pas des colons chez nous, il avait décidé de mener, avec son frère ainé Sidi, le combat  contre ces infidèles envahisseurs. Pendant huit longues années il leur donna beaucoup de fil à retordre. Flanqué de ses courageux et braves compagnons: Sidi ould Sid’Ahmed, Isselmou ould Brahim Khlil, Ahmed Salem ould Mellada, Ahmed Salem ould Moctar Mou, Mohamed ould Hweiriya, Ahmed ould Sidi Moyla, Ahmed ould Samba ould Ely, Mohamed Salem ould Ammar Mboy et Ahmed ould Ethmane, pour ne citer que ceux-là ; il mena des dizaines de raids et opérations commando couronnés de succès. El Azlat, Tin Yarg, Temessoumit, Legweïchichi, Tignidha, Nouakchott, Téverit, Aguilal, etc., témoignent des batailles dirigées par ce vaillant émir qui coutèrent cher aux colons, tuant ou blessant plusieurs français et tirailleurs sénégalais. Lors de la fameuse bataille de Legweïchichi, c’est avec seulement trente hommes qu’il parvint à mettre en déroute un contingent colonial, tuant son chef  le lieutenant Reboul.

C’est pourtant le réalisme qui prévalut, en 1910 qui l’avait vu accepter de faire la paix avec les Français. À plusieurs conditions : que lui et ses compagnons ne soient point poursuivis ; que tout guerrier du Trarza en âge de maturité soit mensuellement payé et doté, chaque année, d’un nouveau fusil; que l’émirat soit partagé, entre lui et Ahmed Salem ould Brahim Salem, et qu’il soit son unique successeur, au décès de l’émir ; que tout son groupe – c’est-à-dire la partie Est du Trarza – soit exemptée d’impôts et contributions aux autorités coloniales ; qu’à sa demande, tout prisonnier soit libéré, quel que soit son délit ; qu’aucune monture ou autre bien appartenant son groupe ne soit réquisitionné par les autorités ; qu’on ne force aucun enfant de son groupe à fréquenter l’école française.

En 1930, Ahmed Salem décéda et Ahmed ould Deïd devint ainsi l’unique émir du Trarza, jusqu’à sa mort, le 30 Octobre 1944. Ce fut son fils, le pieux et populaire Mohamed Vall, dit Ould Oumeïr, qui lui succéda (1944-1965). L’homme ne cacha jamais sa haine envers le colonialisme. Bien qu’il ait suivi l’école française et en dépit de son emploi d’interprète puis de conseiller au parlement français, ce fut toujours d’un mauvais œil qu’il considéra les colons. Refusant toute humiliation, il ne supporta aucun incident avec eux, les obligeant toujours à s’excuser. En 1950, lors d’une promenade à pied, le soir, sur les dunes de Mederdra, une balle de pistolet fit gicler le sable, tout près de lui. Tournant aussitôt la tête du côté du coup de feu, il aperçut un groupe de Français affairés à tirer sur une cible. Parmi eux, le commandant de subdivision et son épouse. C’était elle qui avait tiré la balle fautive. Mohamed Vall se hâte vers elle, la gifle à toute volée et s’empare du pistolet. Le groupe de colons saute précipitamment à bord de leur véhicule et file vers sa résidence. Le lendemain, le commandant se rendit en personne chez l’émir pour lui présenter des excuses… En 1958, le gouverneur de Mauritanie l’appela, pour l’informer du massacre des familles Ahel Cheikh Melaïnine, lors de l’opération Écouvillon. Selon l’un de ses proches, Ould Oumeïr en pleura et c’est ce tragique évènement qui le décida à émigrer au loin, abandonnant son émirat et son poste au Parlement…

On ne saurait conclure cette saga des grands résistants terrouzis sans évoquer l’émir Sidi ould Mohamed Vall, frère ainé d’Ahmed ould Deïd, qui aura consacré plusieurs décennies de sa vie à la lutte contre les Français,  émigrant, en 1910,  au Maroc, pour ne pas être obligé de collaborer avec eux. Né vers 1873, dans la région de Mederdra, il était également pieux et doté d’une singulière force physique et d’un courage à toute épreuve. Avant la pénétration, il avait dirigé la coalition contre Ahmed Salem ould Ely. L’entrée des colons et le triste sort réservé au premier résistant, Ould El Haïdib, furent déterminants dans l’engagement de Sidi et de son groupe. Entouré de son frère Ahmed Ledeïd et de leurs compagnons, il dirigea plusieurs batailles contre le colon, au Trarza, en Inchiri et Adrar. Il se tint notamment aux côtés de l’émir Sid’Ahmed ould Aïda en plusieurs occasions. Sa tête fut mise à prix, en 1908, pour avoir tué plusieurs officiers dont le fameux capitaine Gérard commandant du poste d’Akjoujt.

Apprenant la fin de la dissidence  de son frère, c’est alors qu’il décida d’émigrer au Maroc, avec plusieurs guerriers de sa tribu. Ils y rejoignirent la résistance du Sud marocain, s’y illustrant en compagnie, notamment, d’Ayad, le caïd de Beni Jarrar. Il participa au blocus de Marrakech qui dura  quelques mois. Plusieurs deses compagnons, Sidi Mohamed ould El Hacen, Mohamed ould H’meidha, Sidi ould Samba ould Tounsi, Mohamed Salem ould Amar Mboy et un cinquième tombèrent au champ d’honneur et furent enterrés au cimetière de Sebatou Rijal, au Maroc, avec Moulmnine mint Maloukif, la première épouse du grand résistant. Sidi revint en Mauritanie en 1932, pour y achever paisiblement sa vie. Il fut l’un des invités d’honneur du gouvernement, lors des festivités de la proclamation d’indépendance, en tant que héros de la résistance, avant de mourir peu après, en 1961.

Si donc l’apport des guerriers terrouzis fut considérable, celui des marabouts n’en fut pas moindre. La résistance culturelle joua un grand rôle dans le refus du colonialisme. Et, pour aussi non violente que fut l’attitude générale des  » zawayas « , certains d’entre eux se distinguèrent par leur participation concrète et effective à la résistance armée. Citons ici le fameux Mohamedhen ould Bezeïd, chef général des Oulad Sid El Valli, qui dépêcha nombre de caravanes au Sénégal, chargées d’en ramener des armes, cachées dans des sacs de mil et de haricots. Ce fut notamment grâceà ses conseils, soutien matériel et importants renseignements qu’Ahmed ould Deïd et ses hommes réussirentnombre de leurs raids contre les Français…

Citons également Sidiya ould Ghottob, des Oulad Deïman, le fameux marabout qui maniait aussi bien le fusil que la plume. Après avoir tout d’abord émigré vers le Nord, il finit ses jours en Azawad. Citons encore Ahmed ould Mohamed Bouha, de la tribu Tendgha, compagnon émérite d’Ould Deïd. Courageux et fin tireur,  il tomba au champ d’honneur avec Ahmed ould Sidi et Mohamed ould Ahmed Char, lors de la bataille de Legweïchichi.

4 May, 2018
Salman ould Mokhtar