Crime d’esclavage/Dans les dédales de la justice : La loi peine à être appliquée

 Crime d’esclavage/Dans les dédales de la justice : La loi peine à être appliquée

Les militants anti-esclavagistes dénoncent, avec véhémence, les incohérences du gouvernement mauritanien et sa volonté d’étouffer les cas prouvés d’esclavage, empiétant, du coup, sur le travail des abolitionnistes, en « banalisant » les cas portés devant les juridictions.

« Les blocages des dossiers sont récurrents. Des affaires sont pendantes, depuis trois, cinq, sept et dix ans, à Nouakchott, Néma, Atar et Nouadhibou. Aucune programmation en vue d’un jugement futur n’a été réalisée. Les autorités ont mis parallèlement sur pied trois tribunaux sans réelle existence et sans réelle volonté d’éradiquer le phénomène.

Nous nous serions suffi d’une seule Cour, bien équipée, avec un parquet, un juge d’instruction, une compagnie d’enquête, soit de police, soit de gendarmerie, dans le sillage des Cours réservés au terrorisme, à la drogue, aux affaires de détournements et à celles des mineurs», défend, avec force, Boubacar Messaoud, président de SOS Esclaves, organisation en pointe dans le combat contre l’esclavage en Mauritanie.

En dépit de la complexité de la question et de la fondation de ces juridictions, un seul juge, assisté d’un greffier, est appelé à statuer sur les multiples cas. Le reste est porté à l’examen des tribunaux normaux. « C’est une démarche malheureuse que de vouloir duper l’opinion publique internationale, en espérant la convaincre par le vide.

Les autorités ne sont pas pénétrées de la nécessité de combattre l’esclavage. Par ce procédé malheureux, elles tenteront, d’ici deux ans, de prétendre, de manière subtile, à l’opinion internationale et à certains organismes présents en Mauritanie (qui ne devraient pas se laisser tromper), que l’esclavage n’existe pas et qu’aucun cas prouvé n’a été porté à l’attention des trois Cours», déplore Boubacar Ould Messaoud.

Des Cours dépourvues

Aux yeux du professeur Sow Abdoulaye, enseignant-chercheur en sciences sociales à l’Université de Nouakchott, l’esclavage, qu’il qualifie de « cancer social », en tant que pratique attentatoire, doit être combattu, à tous les niveaux. Pour maître Bilal Ould Dick, conseiller juridique de l’agence Tadamoun, « il y a une volonté politique d’aller dans le sens de la lutte, en dépit des imperfections, et de dépasser le stade de séquelles » (1).

Il reste convaincu que la Mauritanie se libèrera de cette pratique, avant d’énumérer quelques actions entreprises par Tadamoun, qualifiées, par SOS Esclaves, de « saupoudrage »

Le traitement des jugements portés ne correspond pas à la qualification retenue par le Parquet. Après interrogatoire et audition, par les magistrats, des victimes et des présumés coupables de pratiques esclavagistes, et malgré l’établissement, durant les enquêtes, de la relation criminelle entre les deux parties, c’est un traitement de « séquelles » qui est réservé aux affaires de « pratique esclavagiste ». « C’est inacceptable ! Cela ne correspond pas à la loi. En réalité, ils se moquent de ce que nous faisons », dénonce le président de SOS Esclaves.

« La politique des autorités est très claire. Elles veulent user les militants esclavagistes par le temps. Elles ne nous aident pas à identifier les cas. Nous, nous ne posons le problème qu’avec suffisamment de preuves. Mais, à chaque fois qu’il y a possibilité de les changer ou de les corrompre, les autorités s’y empressent. Nous avons perdu des cas où des amis ont animé des conférences de presse dans l’empressement.

Par principe, je ne m’emploie pas à chercher des esclaves dans aucune maison, aucun campement. Nous aidons des gens en détresse qui viennent demander assistance », soutient Boubacar Messaoud.

Déni de négation et ambigüité

« Depuis le régime de Mokhtar Ould Daddah, les autorités politiques entretiennent », assure maître El Id Mohameden M’Bareck, avocat au barreau de Nouakchott, « la confusion dans le traitement des questions d’esclavage, flottant entre négation et ambigüité.

Malgré l’effort législatif, loi abolissant l’esclavage de 1981, loi 031-2015 et loi 2007-048 du 3 Septembre 2007, portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes, il note une réticence, dans l’ambigüité du discours politique qui « prime d’ailleurs », estime-t-il, « sur le judiciaire ».

L’ordonnance de 1981 avait prévu l’indemnisation des maîtres non incriminés dans leurs pratiques, en cas du départ des esclaves considérés comme « biens perdus ». Pour ce qui est de la nouvelle loi (2007), non seulement les peines infligées aux coupables(2) sont très inférieures au barème légal, mais le taux d’indemnisation des victimes n’est guère plus respecté.

Une dame de 55 ans, mère de sept enfants (de 8 à 17 ans) réduite quarante-cinq années en esclavage, n’a reçu qu’un million d’ouguiyas. Un montant dérisoire, loin de compenser les années de servitude et de souffrance atroce…

« Le juge retient »,
explique maître El Id, l’accusation de « pratiques esclavagistes » ou « faits d’esclavage », sans appliquer les dispositions prévues, évoquant, plutôt des « séquelles ». L’engagement politique manque, dans un pays champion de la ratification textuelle ; d’où l’application par défaut des textes ».

De l’avis de maître El Id, on pourrait parler des séquelles de l’esclavage, au sein des communautés négro-mauritaniennes (Halpulaar, Soninké et Wolof) et non de pratiques esclavagistes, à proprement parler. « A cet égard », souligne-t-il, « je n’ai jamais enregistré, en plus de quinze ans de barreau, la moindre plainte d’un négro-mauritanien à l’encontre d’un autre négro-mauritanien, pour pratiques esclavagistes ».

Pour maître Brahim Ould Ebetty, avocat au barreau de Nouakchott (3), « la Mauritanie est un des rares pays au monde à décrire l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Mais il ne suffit pas d’avoir de très bons textes, il faut les appliquer. D’un point de vue législatif, on édicte des dispositions dans l’incohérence la plus complète. On sanctionne une pratique et non une séquelle », précise-t-il.

Et d’appeler les autorités à « reconnaître, publiquement, ce phénomène éculé et éhonté contre lequel on doit conjuguer les efforts, pour l’éradiquer à jamais. Nous sommes sur un volcan dangereux. Nous devons prendre des dispositions courageuses pour l’éradiquer et travailler à atténuer cette fissure profonde ».

De son côté, maître Bah Ould M’Bareck est catégorique : il n’y a pas de dossiers de séquelles devant les tribunaux. Ce sont des dossiers liés à des faits avérés d’esclavage. Malheureusement, le Parquet et le juge d’instruction détournent l’attention du public et des observateurs. « Il va falloir cesser de prétendre », appelle-t-il, « que l’esclavage n’existe pas.

Alors que les victimes et les esclavagistes sont là ». Le refus de parler, ouvertement, de continuité de l’esclavage, de la part des personnes engagées, au niveau de l’État, pour lutter contre « les séquelles de l’esclavage » – séquelles » qu’ils définissent, non pas comme la persistance du phénomène, mais comme une lutte contre la pauvreté – montre que le gouvernement mauritanien ne cherche pas à mettre un terme, de manière efficace et en accord avec ses propres lois, à une pratique qui continue de faire de nombreuses victimes.

En épidémiologie des droits de l’homme, un seul cas suffit, pour signifier un problème : le refus d’admettre la persistance du phénomène conduit le gouvernement mauritanien à user de contradictions flagrantes, entre l’adoption de ses propres lois et le discours des autorités compétentes (4).

Faire payer à SOS son engagement

« Actuellement, une certaine guerre est menée à l’encontre de SOS Esclaves », révèle Boubacar Messaoud. Les autorités ont interdit le lancement, à Nouakchott, d’un projet financé par Anti Slavery International. « Le gouvernement est en train d’étudier notre cas.

A Néma et Bassiknou, les autorités départementales ont fait part, à nos points focaux, du gel des activités ». Très actif dans la forteresse de l’esclavage, Idoumou Ould Abeïd, le coordinateur SOS-esclaves du bureau de Bassiknou, est désormais personna non grata, au Parquet et à la gendarmerie.

Citadelle de l’esclavage, force est de constater que Bassiknou en est une véritable. « Sur la centaine de dossiers pendants devant les tribunaux du Hodh, plus de la moitié », annonce Idoumou ould Abeïd, « proviennent de cette ville où habitent, dans la plus grande précarité, quarante-cinq familles d’esclaves qui ont fui leurs maîtres.

Ces pauvres victimes viennent, essentiellement, des puits du Dhar : Azamad, Outeïd Talhaya, Abbaga, Hassi Ehl Ahmed Messoud, Hassi Tlahigue et autres Hassi Erwette ou Nbeïket Lahwach. Toutes revendiquent des parents restés avec leurs maîtres nomadisant entre le Mali et la Mauritanie ».

Selon Idoumou Ould Abeïd, les autorités sécuritaires saisies, régulièrement, pour organiser la poursuite des esclavagistes, prétendent, toujours et fallacieusement, que ces criminels ne sont pas en territoire mauritanien, alors que, selon le responsable de SOS Esclaves, ces esclavagistes fréquentent les marchés forains de Bassiknou et de ses environs.

Les derniers esclaves fugitifs arrivés à Bassiknou sont Khaydama et ses deux filles (Zayde et M’Barka), en Avril 2015 ; Issa Ould Hamedi, un enfant de 12 ans, arrivé le 29 Mai 2015, après avoir parcouru plus de 100 kilomètres à pied, et la vieille M’beirika, en Juillet 2015 (5).

Selon le président de SOS Esclaves, le gouvernement cherche à prouver les propos, assénés par le Chef de l’Etat, selon lesquels « l’esclavage n’existe pas. […] N’est esclave que celui qui le veut. […] En réalité, toutes ces affaires ne sont que des montages ». Et Boubacar Ould Messaoud de rétorquer : « Si ce sont des montages, nous sommes prêts à aller en prison. Mais nous avons, en tout cas, bien compris et clairement dénoncé le jeu malhonnête du pouvoir ».

THIAM Mamadou, assisté de B. TOURE

Au service du programme : « Liberté, droit et justice

pour combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie »

du Département d’Etat des Etats Unis d’Amérique

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(1 et 3) : Propos recueillis lors de l’atelier de plaidoyer sur les articles des lois 031-2015 et 2007-048 du 3 septembre 2007 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes, organisé, par l’AMDH, le 8 Novembre 2017.

(2) : « Crime d’esclavage : Quand la justice traîne les pieds », http://lecalame.info/?q=node/6440

(4) « Esclavage et discriminations en République Islamique de Mauritanie : braver le déni », Marie Foray, Juriste

(5) « Bassiknou : Une forteresse de l’esclavage » – http://lecalame.info/?q=node/3055

Source : Le Calame (Mauritanie)