Les amendements constitutionnels: lecture du contexte et du contenu/par Dr. Hamed Ould BOUBACAR CIRE

I.  Contexte général

1.  Le contexte historique

La fin du XVème siècle et le début du XVIème siècle a connu d’importants changements au niveau mondial dont l’effet a rapidement touché les quatre coins du monde.

La dynamique générale qui a caractérisé l’évolution des sociétés européennes d’alors conduisit à ce que nous appelons la renaissance européenne.

Il s’agit de variables qui ont modifié l’esprit européen poussé par l’accumulation du capital ainsi que le développement scientifique et technologique. Ainsi  le commerce prospéra suite à la découverte du nouveau monde, les moyens de transport se développèrent, les universités se propagèrent et l’économie connut un bond qualitatif avec la diffusion des industries et la multiplication de la production.

Un tel contexte fut accompagné par une révolution sur le plan culturel et politique qui fut le régulateur de base régissant la plupart des législations des républiques et des monarchies constitutionnelles fraichement nées à partir de la fin du XVIIIème siècle.

Tout cela créa le cadre adéquat pour la domination de la classe bourgeoise sur les décideurs politiques européens depuis la seconde moitié du XIXème siècle, avec l’achèvement de la révolution industrielle et la profondeur de la voie libérale au sein des sociétés européennes.

Durant la seconde moitié du XIXème siècle, l’espace européen semble incapable d’abriter sa propre évolution, car les marchés se rétrécissent, les profits manquent à l’appel et le capitalisme monopoliste non existant défini par certains penseurs de gauche par l’impérialisme prévaut, ce qui nous plaça alors devant les manifestations d’une crise structurelle dont la solution temporaire fut l’expansion coloniale européenne contemporaine.

Dans ces conditions, l’Afrique commence à se lier fonctionnellement aux cercles capitalistes européens, et tout au long de cette époque, le pays nommé aujourd’hui Mauritanie entra dans des relations commerciales avec le européens, organisées par plusieurs accords et matérialisées dans l’échange de certains produits (bleu de Guinée, sucre, thé, gomme arabique, armes, articles ménagers et autres…)

La société fut liée fonctionnellement à la demande européenne, en plus du blocage de son évolution interne à travers un processus qui a revêtu plusieurs formes de la violence dont nous mentionnons:

– Une violence économique ciblant la structure de l’économie traditionnelle en inondant le marché local par des marchandises technologiquement plus sophistiquées concurrençant la production locale et en éliminant l’usage au fil du temps.

– Une violence juridique par laquelle nous entendons  les divers traités et protocoles inégaux signés entre les chefs locaux du pays de Chinguetti et les commerçants européens actifs sur les côtes et la rive du fleuve . Lesdits accords ont aggravé les contradictions internes de la société et créé le cadre juridique et politique pour l’intervention étrangère.

– Une violence militaire: il s’agit de l’effort militaire en ses deux aspects dissuasif et opérationnel, mobilisé par l’administration française à travers son armée pour protéger les conventions précitées, parfois les imposer depuis le XVIIème siècle et occuper le pays ultérieurement (guerre de la colonisation agricole, guerre de la gomme, ainsi que les opérations qui ont accompagné la pénétration française au début du XXème siècle ).

La période de l’occupation a duré jusqu’en 1960, date qui coïncide avec le retrait de l’administration coloniale des pays d’outre-mer en Afrique, en Amérique Latine et en Asie après le changement dans les relations internationales et l’émergence du camp socialiste dans un contexte où s’achève la structuration des anciennes colonies dans le système capitaliste mondial, soit par l’économie minière d’exportation ou agricole comme la MIFERMA, puis la SOMIMA pour la Mauritanie ou par le transfert de technologie et les investissement des multinationales dans d’autres pays, avec l’apparition d’une petite bourgeoisie recherchant le profit rapide et des couches intellectuelles mimant l’esprit et le style de pensée européens.

Au début des années quatre – vingt- dix le camp socialiste s’effondra et l’Occident capitaliste triompha notamment sur les plans politique et médiatique. Alors les régimes occidentaux commencèrent diverses pressions pour démocratiser leurs anciennes colonies. Ainsi se tint le sommet France – Afrique de la Baule où François Mitterrand demanda aux dirigeants africains d’appliquer l’approche démocratique et lia le soutien français au degré de réponse à cette demande. Est- ce par amour de la prospérité de l’Afrique ou par désir d’harmoniser sa dépendance politique avec le niveau de sa dépendance sur les plans économique et culturel?

Dans ce contexte apparut la Constitution de juillet 1991 Mauritanie qui fournit le cadre juridique pour l’application d’une approche démocratique pluraliste de type occidental.

 

2.  Le contexte international, régional et national

Bien que la Constitution de 1991 fût rédigée dans un contexte caractérisé par l’euphorie de la victoire de l’Occident et ses répercussions exprimées par les recommandations du sommet précité de la  Baule, le monde connaît aujourd’hui un tournant important consistant essentiellement en l’apparition des signes précurseurs de l’émergence d’un monde multipolaire sous ce que nous pourrions appeler la mondialisation orientée après l’arrivée de la nouvelle direction des Etats-Unis au pouvoir, la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne et de balayage la fièvre de l’aversion de la gauche par les sociétés du vieux Continent. Cela pourrait avoir un effet positif sur la possibilité de réhabilitation de la décision nationale souveraine et la réduction de l’arrogance de la mondialisation qui balaie le monde depuis la fin du XXème siècle. Au niveau régional, les pays de la région ont connu plusieurs réformes constitutionnelles, mais la variable de base reste l’accroissement de l’activité des organisations terroristes, laquelle hante les dirigeants de la région l’autisme et développe des politiques d’unité pour lutter contre ce phénomène dans un contexte où augmentent les niveaux de l’extrémisme et du fanatisme.

Au niveau national, Son Excellence le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a annoncé durant l’été 2016 son intention de proposer des amendements constitutionnels au cours d’un dialogue auquel on invita toutes les composantes du spectre politique et où participèrent la plupart des formations politiques ainsi que de nombreuses organisations non gouvernementales, des activistes de la société civile et des leaders d’opinion.

On a convenu de certaines réformes constitutionnelles visant à harmoniser l’approche démocratique à la réalité de la nation et à sa spécificité historique.

 

 

II.  Le contenu des réformes constitutionnelles

La proposition des réformes constitutionnelles issues du dialogue national récemment organisé consiste essentiellement en l’abolition du Sénat, la création de conseils régionaux avec quelques ajouts à l’hymne et au drapeau nationaux, ainsi que la fusion de certains organismes sur la base de la conscience des participants au dialogue de la nécessité d’adapter notre constitution aux objectifs de développement et à la réalité de la société dans son ensemble, à la lumière des constats suivants:

•  Sur l’abolition du Sénat et de la mise en place de conseils régionaux, la plupart d’entre eux considèrent que le Sénat est une reproduction d’expériences sans aucun rapport avec la réalité de la société mauritanienne. Ainsi le Sénat, appelé dans la littérature libérale la Chambre haute fut créé pour réaliser certains équilibres au sein des sociétés européennes nouvellement démocratiques en leurs systèmes naissants à la fin du XVIIIème siècle et le début du XIXème siècle et nous avons déjà abordé cela de manière plus détaillée dans un article intitulé « Le discours de Néma entre la falsification de l’opposition et l’ambition de la majorité » largement publié dans la presse électronique en mai 2016. Quant aux conseils régionaux, ils sont plus adaptés aux exigences du développement dans notre pays, car chaque Wilaya a sa propre spécificité, ses potentialités économiques et ses données démographiques, ce qui rend le transfert des pouvoirs de conception, d’exécution et d’évaluation en matière de développement à ces conseils plus conforme à la logique de la décentralisation et aux objectifs de généralisation et d’approfondissement des divers éléments du développement, ce qu’a constaté Son Excellence le Président Mohamed Ould Abdel Aziz et l’exprimé lors de ses visites à l’intérieur du pays.

•  Pour ce qui est de l’hymne et du drapeau nationaux, il convient de noter que les modifications proposées ne touchent pas l’essence de l’hymne national, comme l’a souligné le grand imam Ould Habib Errahmane, car le projet  proposé est d’en conserver le contenu en y ajoutant certaines améliorations axées sur la glorification de la résistance et l’incitation au sacrifice pour le bien de la nation. Quant aux ajouts proposés au drapeau, consistant en deux bandes rouges, ils sont destinés à rendre hommage à ceux qui ont sacrifié leur vie pour la patrie et concrétisent la reconnaissance de la nation à leur égard.

• Sur la fusion de certains organes constitutionnels, cette proposition repose sur la fusion du Conseil Supérieur des Fatwas et des Recours Gracieux, le Conseil Supérieur Islamique et l’Institution du Médiateur de la République en raison du chevauchement des pouvoirs, pour rationaliser les dépenses et en harmonie avec l’identité du pays islamique et de sa constitution dont l’Islam constitue la source de législation.

 

 

III.  Conclusions générales

Les premier et second mandats présidentiels ont connu d’importantes réalisations structurelles dans tous les domaines, en particulier les infrastructures, lesquelles ont dépassé plusieurs fois les niveaux quantitatifs et qualitatifs de ce qui a été accompli depuis la naissance de l’Etat national en 1960, notamment dans les domaines suivants:

– Sur le plan de la sécurité: On a construit une armée nationale puissante, comme en témoignent tous les observateurs, très bien armée et équipée, capable de s’adapter aux exigences de la défense du pays et de ses intérêts et à faire face aux organisations terroristes. Ainsi, la stratégie de la Mauritanie aujourd’hui dans le domaine de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme est considérée comme la plus intégrée et la plus efficace. C’est une approche traitant le phénomène dans ses dimensions sécuritaires, culturelles, économiques et sociales et qui a gagné l’admiration du monde et de tous les partenaires.

– Au niveau du développement: une révolution a eu lieu dans le domaine du développement, basée sur une stratégie globale offrant les fondements du développement dans tous les domaines touchant l’amélioration des conditions des citoyens à travers le développement de l’autosuffisance, la généralisation de la scolarisation et l’élargissement de la couverture sanitaire. Ainsi la production d’électricité a doublé et l’énergie a été généralisée dans la plupart des communautés, alors que la ville de Nouakchott était incapable de satisfaire ses besoins en 2009, les routes goudronnées se sont multipliés, des ports et des  aéroports ont été construits, la production agricole a doublé et le secteur de l’éducation a connu un bond qualitatif basé sur une formation plus conforme à la réalité et aux besoins du pays avec la création d’écoles d’ingénieurs et d’instituts spécialisés répondent aux normes de qualité à l’échelle mondiale.

Au niveau diplomatique et médiatique: ces réalisations ont été accompagnées par une diplomatie active qui a permis à notre pays une présence active sur la scène régionale et internationale, car Son Excellence Monsieur le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a présidé l’Union Africaine et la Ligue Arabe dont Nouakchott a accueilli le dernier sommet pour la première fois dans l’histoire et Son Excellence le Président a dirigé beaucoup d’initiatives qui ont permis d’éteindre nombre des conflits et d’éviter de nombreux troubles, dont nous citons ses médiations réussies en Côte-d’Ivoire, au Mali et en Gambie, ainsi que les efforts qu’il a déployés pour éviter ce qui est arrivé en Libye. Tout cela a eu un impact positif sur la réputation et le prestige de l’Etat à l’intérieur et à l’étranger.

Dans le domaine médiatique, les observateurs ont fait l’éloge de la liberté d’opinion et de l’exercice des libertés publiques dont jouit le pays.

Dans le cadre de ces réalisations se situent les amendements constitutionnels harmonieux et complémentaires grâce aux possibilités qu’ils offrent pour ancrer les divers éléments du développement dans le contexte de la réconciliation avec nous- mêmes et la promotion des stimuli du sentiment national.

Si la démocratie constitue aujourd’hui l’option la plus réaliste pour garantir la liberté de l’individu et la prospérité des sociétés, elle reste une expérience déclenchée par les sociétés européennes à travers leur propre évolution au cours d’un processus qui a duré des siècles et dont nous avons indiqué les principales étapes au début de cet article.

Par conséquent, son adaptation à notre réalité reste une exigence de développement dictée par l’histoire et l’intérêt. Par contre, son importation sans adaptation constitue une forme d’aliénation (l’occidentalisation) phénotypique superficielle totale, ce qui pourrait en faire un modèle de violence structurellement complémentaire aux divers types de violence classés ci-dessus et que le colonialisme européen contemporain utilisé pour subjuguer le pays de Chinguetti par un processus distinct aux étapes et objectifs complémentaires

. Sur la base de ce qui précède, les amendements constitutionnels proposés aujourd’hui constituent un maillon essentiel de notre marche de développement servant la promotion de la démocratie et de la liberté, sur la voie de l’appropriation des exigences du progrès et de la prospérité sous les contraintes de temps.

 

Dr. Hamed Ould BOUBACAR CIRE

Tiré du site : lecalame.info