Vous avez suivi, comme de nombreux mauritaniens, la conférence de presse du président de la République, le 5 mai. Quelles sont vos premières impressions ? Rassuré ou déçu ?
Professeur Gourmo Abdoul Lô : Pour dire la vérité, je n’ai pas directement suivi cette conférence de presse. J’ai lu ce qu’en a dit l’AMI. Elle avait été au préalable très médiatisée. Elle entre clairement dans le cadre d’une vaste campagne de communication du Président qui devrait occuper tout 2015 voire 2016.
Il va sillonner toute la Mauritanie, d’est en ouest et du nord au sud, infatigablement, et entre deux escales, il triera des journalistes sur le volet, pour parler avec eux de ses propres préoccupations, avec cet art consommé d’effleurer les grandes questions sans jamais les aborder vraiment. Le Président Aziz est un expert en matière de communication superficielle !
Ce type de communication moderne n’est pas destiné à faire passer quelque message que ce soit mais à alimenter les spéculations et les commentaires sur tout, un peu comme un os que l’on jette à une meute de chiens affamés. Donc, pour cela, et sur cette conférence de presse-ci, je ne suis ni rassuré ni déçu mais plutôt amusé par l’épreuve technique qu’elle représente et la manière très conventionnelle avec laquelle elle a été menée.
Avant ça, il y a une quinzaine de jours, c’était l’épreuve du coup de poing sur la table et le rabrouement en direct du journaliste Wediaa. Même technique d’occuper les esprits sans délivrer aucun message précis…
Donc d’après vous, ces deux conférences de presse en moins de deux mois n’avaient aucune pertinence ? Juste une mise en scène théâtrale ?
Quelles sont les préoccupations réelles des gens auxquelles ces deux conférences de presse ont répondu ? Qu’a dit le Chef de l’Etat des conditions épouvantables de vie des masses ? Quels efforts concrets entend-il ordonner à son Gouvernement pour atténuer la misère du plus grand nombre, rassembler les mauritaniens dans leur diversité ?
A part des classes à construire à Nouakchott (encore des marchés à gagner pour d’heureux entrepreneurs à l’affût), que va-t-il faire pour sortir l’école mauritanienne de la catastrophe actuelle ? Et la hausse des prix ? Et les grèves des travailleurs, des étudiants en désarroi ? Le sort des communautés opprimées ? Les conférences de presse servent habituellement à éclairer l’opinion sur certaines questions d’intérêt général.
Celles-ci n’ont servi qu’à obscurcir l’horizon et à accroître l’angoisse des mauritaniens sur le poste de pilotage et le Cap du vaisseau Mauritanie, soumis à toutes sortes de turbulences et se dirigeant on ne sait où…
Pourtant, au cours de cette conférence, le président est revenu sur presque toutes les questions qu’il avait abordées lors de sa première sortie. Attendiez-vous des déclarations fortes ou révélations particulières ?
Il n’est revenu sur aucune question ! Il les a juste effleurées comme je vous le disais. Parler de tout sans parler de rien est une technique de communication qu’il maîtrise avec bonheur, Mashallah… ! Au grand désespoir de ceux qui souffrent. Au pouvoir depuis plus de 6 ans – sans parler de sa présidence grise après le putsch de 2005- il a eu le temps de bien maîtriser l’art de la communication non communicante. Circulez, il n’y a rien à voir, rien à entendre et rien à dire… Personnellement, je n’attends plus rien de concret de cette présidence par rapport aux intérêts du peuple.
Justement, après avoir entendu les réponses du président sur le dialogue, continuez-vous à croire en la sincérité du pouvoir à nouer un dialogue avec l’opposition ? Ne pensez-vous pas que vos « préalables » ont crispé le pouvoir ?
J’ai fait partie de la délégation du FNDU qui dialoguait avec le pouvoir pour l’élection présidentielle. Je suis encore sous le choc du manque de considération et de respect du régime à l’égard de l’opposition par la brutalité avec laquelle il a rompu sans crier gare les discussions.
Au préalable, il y avait le même scenario du « dialogue » lors des législatives et municipales et avant cela, le scandale de la violation des Accords de Dakar par le même régime avec la complicité de la « communauté internationale » ou ce qui en tient lieu. Nous sommes désabusés donc, à bon droit. Nous n’avons pas émis de « préalables » dans ce « dialogue »-ci, pas plus que lors des précédents.
Nous avons juste pris au mot le pouvoir quand il nous a demandé notre opinion sur un éventuel dialogue, notre vision et notre approche des choses en la matière. Nous avons dit qu’un dialogue pour être fructueux doit se dérouler dans une ambiance, un contexte, un environnement, favorables. Il y’a une crispation évidente au plan politique et social et il ne sert à rien d’ouvrir un « dialogue »dans un tel cadre.
Il nous a donc semblé nécessaire de chercher à décrisper cette atmosphère, en demandant au régime de se prononcer sur certaines questions en suspens et dont le règlement pourrait favoriser cette sérénité indispensable à un dialogue fructueux. Aucune des questions posées n’implique de sa part un effort quelconque de lévitation juridique ou politique.
En fait, il s’agit juste pour lui de nous donner des gages de bonne volonté, comme lui-même, serait en droit de nous demander également des gages de bonne volonté. C’est le sens même de l’échange préliminaire que nous lui avons proposé et dont nous attendons la réponse.
Dans sa conférence, le président est revenu sur le Ghanagate qu’on croyait rangé aux oubliettes, malgré la création par le FNDU d’une commission d’enquête à cet effet. Quels commentaires vous inspirent les réponses du président ?
Ghanagate est une épine dans le pied du pouvoir. Encore une ! C’est Hamma, un ressortissant malien qui dit être un ancien agent de renseignement mauritanien, qui a lancé l’affaire dans le cadre d’un règlement de compte personnel qu’il disait vouloir engager contre Mohamed Ould Abdel Aziz, son « ancien patron ».
C’est une histoire de barbouzerie dont le prolongement amène les protagonistes au Ghana, avec comme personnage central un truand irakien de l’aveu du Président et qui cherchait à l’escroquer, lui ou la République, on ne sait pas trop.Hamma lui-même dit avoir été escroqué par…. le Président Aziz ! On parle de trafic de faux dollars, de trafic de drogue, d’oiseaux et de trafic de je ne sais quoi.Hamma a clairement cherché à mouiller le Président.
Pour moi, le Président devait porter plainte contre lui à Bamako. Il a d’excellents avocats qui ont réussi à plier Noel Mamère et ses accusations fantaisistes ou peu fondées. Hamma est vivant, semble-t-il. Un procès aiderait à faire la lumière peut être… Ou alors, compte tenu de la gravité des accusations, il faudrait peut être qu’il y ait une commission d’enquête indépendante. Ça permettrait d’aller plus loin que les réponses allusives ou elliptiques du Président sur une question aussi sensible. L’affaire est loin d’être close en tout cas.
Le président de la République, après avoir vanté les performances du BASEP qui a déjoué, en 2011, sur ses propres ordres, une attaque aux portes de Nouakchott, semble indiquer que la dissolution de ce corps d’élite est exclue. Le dossier est donc clos ?
Le Basep n’a pas eu que des performances louables en matière de lutte antiterroriste. Elle est une arme d’élite et pour cette raison précisément, nous ne voudrions pas qu’elle continue à être au service du Président dont elle n’était censée que lui assurer sa « garde ». Manifestement, ses activités débordent ce cadre strictement protecteur. La démocratie moderne ne souffre pas d’armée privée ou prétorienne.
La République exige une normalisation du rôle de l’ensemble des forces de défense et de sécurité afin qu’elle n’en soit en aucun cas, l’otage. Si vous suivez l’actualité en Afrique, et au Burkina Faso spécialement, en plus de notre propre expérience, vous verrez que la demande du FNDU est fondée et requiert la plus grande attention et le plus grand sérieux dans le traitement de ce statut du Basep.
Les Harratines ont marché le 29 avril dernier avec, il faut le souligner, un soutien massif de l’ensemble des acteurs politiques, des organisations de la société civile issues de toutes les composantes ethniques du pays. Pensez-vous que leur message a été perçu par le gouvernement en place ?
Si je m’en tiens aux invectives du Président à l’encontre des militants anti-esclavagistes et à tous ceux qui se préoccupent du sort de cette immense partie de notre société plurielle, je dirai que le régime poursuit sa fuite en avant et sa politique de saupoudrage et des proclamations d’intention. Le pire est qu’il semble avoir décrété une offensive générale contre la cause haratine, ses militants, ses sympathisants, ses amis.
On arrête sans raison des leaders reconnus de cette cause, on pourchasse d’autres, on invective tout le monde et on veut diaboliser tous ceux qui osent se dresser contre les injustices subies par cette couche sociale d’une si grande importance démographique, économique et sociale pour le pays, son présent immédiat et son avenir. Les tenants du pouvoir ne comprennent pas que ce n’est pas là une question politicienne.
C’est l’existence même de la Mauritanie comme nation que met en cause la poursuite de leur politique à l’égard des Haratines. L’opposition démocratique, elle, l’a bien compris et en fait la cause nationale n° 1. La marche du 29 avril n’en est qu’une illustration.
Le président a répondu aussi sur l’unité nationale. Que vous inspire sa réponse ?
Cette « réponse » est de la même veine que celle relative à la question Haratine. Tout est dans l’autosatisfaction, l’auto-glorification des « réalisations » et le déni pur et simple des discriminations de plus en en plus intolérables des différentes composantes nationales et sociales. Nous sommes dans un régime de démocratie de façade et de dictature réelle. Donc tout tourne autour du Chef.
Tout ce qui, par cercles concentriques, est éloigné de lui, racialement, ethniquement, tribalement, claniquement, familialement et même personnellement, ne trouvera pas grâce ou alors de plus en plus faiblement dans le système et même en sera impitoyablement exclu. Voyez comment mille fleurs vénéneuses s’épanouissent et mille écoles sectaires rivalisent sur le terrain des pires communautarismes dans ce pays.
Tout ce qui peut se revendiquer d’une « communauté » se dresse sur ses ergots et exige d’être reconnu dans tel ou tel droits. Personne n’a plus confiance en personne et l’Etat est devenu le refuge et le terreau de tous les germes de division de ce pays. Et, à nouveau, vogue le navire… tout droit vers les récifs ! A ce rythme, le pays n’en sortira pas indemne d’ici à la fin de ce dernier mandat deMohamed Ould Abdel Aziz. Pour tout vous dire donc, sa réponse sur cette question comme sur les autres me fait froid dans le dos pour notre avenir…
Il semble que les délégations du FNDU et du pouvoir se soient à nouveau rencontrées et échangé leurs points de vue sur les propositions figurant sur la feuille de route du FNDU. Qu’en est-il exactement? Les échos que vous en avez-vous semblent t-ils confirmer votre pessimisme ?
En tant que dirigeant d’un parti membre du FNDU, je m’abstiendrai de me prononcer sur des discussions en cours, jusqu’à ce que ce que les discussions au sein même du Front tirent une conclusion à ce sujet. Je pense que c’est une question de discipline de groupe et de respect du principe d’une position commune entre partenaires.
Mais il semble que l’ambiance soit assez sereine, ce qui est un bon signe. J’espère seulement que ces discussions ne seront pas aussi stériles que les précédentes et qu’il en sortira un vrai compromis national démocratique autour des grandes questions auxquelles le pays est confronté.
La CUPAD (Convergence pour l’Unité et l’alternance pacifique) qui regroupe les trois anciens partis membres de la CAP a déclaré au cours d’une récente conférence de presse être opposée à toute modification constitutionnelle sauf si elle est approuvée par « consensus ». Qu’en pensez-vous ?
Le CUPAD a vocation à participer au dialogue national, une fois que seront définies et convenues les conditions de son ouverture. Pour le FNDU, je peux vous dire que d’ores et déjà, il ne pourra jamais y avoir un consensus pour modifier la constitution, au moins pour ce qui concerne la question du nombre de mandat.
C’est une disposition qui ne peut même pas être envisagée comme pouvant faire l’objet d’une révision constitutionnelle. Aucun consensus si large soit-il, ne peut jamais venir à bout de cette impossibilité de remettre en cause cette disposition. C’est deux mandats, un point c’est tout. Tout le reste est discutable et donc amendable s’il y a entente entre les parties.
Propos recueillis par AOC
Source : Le Calame