Lors de sa dernière conférence de presse, le président de l’UFP, Mohamed Ould Maouloud, a répondu aux attentes sur la plupart des sujets, à l’exception de la question haratine, sur laquelle il s’est longuement attardé pour mettre en garde contre ce qu’il perçoit comme un danger : les appels récurrents, relayés sur les réseaux sociaux par certaines voix haratines, en faveur d’une autonomie politique de ces derniers.
Selon lui, au-delà du caractère utopique d’une telle aspiration, et la futilité du débat qu’elle suscite, au regard d’un idéal de citoyenneté loin d’être acquis, le président Mohamed Ould Maouloud estime que l’évolution de la question haratine — passée d’une revendication sociale à une ambition politique — en complique la résolution et fait peser le risque de dérives conflictuelles, à l’image des tragédies qu’a connues le Rwanda. Et de terminer en miroirant que l’unanimité politique sur la nécessité de dépassement de la question haratine et le dialogue politique en vue, doivent être saisis comme des opportunités à positiver.
Ainsi, avec un argumentaire qui frise le mépris, il a entrepris de discréditer une évolution pourtant logique, légitime et naturelle à tout point de vue, en la réduisant à une lecture alarmiste et réductrice, sans autre perspective que celle de vœux pieux dépourvus de portée concrète.
Si je ne doute nullement de l’attachement sincère du président Mohamed Ould Maouloud à l’idéal d’unité nationale, il demeure néanmoins surprenant que l’éminent docteur en Histoire et figure emblématique de la gauche mauritanienne n’appréhende pas avec la profondeur requise les dynamiques historiques et sociales de l’évolution de la communauté haratine — communauté héritière d’un passé esclavagiste, d’un poids démographique désormais déterminant dans le devenir national, mais toujours en proie à une discrimination, sociale, économique et politique aujourd’hui arrivée à son paroxysme.
Mais là où l’on peine véritablement à situer l’animal politique qu’est le président Mohamed Ould Maouloud, c’est lorsqu’il en vient, en filigrane, à conseiller aux activistes haratines d’éviter l’isolement, au motif de leur supposée vulnérabilité et fragilité, en cantonnant leur combat à une simple revendication sociale.
On aurait pourtant pu croire que leurs aspirations politiques, plus audacieuses et plus assumées, trouveraient un écho naturel dans ses propres inspirations progressistes, voire révolutionnaires. Que l’on comprenne la prudence, la sagesse et le pragmatisme que dicte le contexte politique, soit. Mais comment accepter qu’il accable à ce point, qu’il diabolise tant, caricature et dénature ainsi une dynamique pourtant essentielle à la désarticulation de nos entraves sociales et politiques les plus rétrogrades ? À l’entendre mettre en garde contre la politisation de la question haratine — qu’il estime devoir rester cantonnée au domaine social —, on ne peut qu’être saisi par une interrogation essentielle : que signifie, au juste, l’aspect social d’une question s’il n’est pas, en amont, porté par une volonté politique ?
Et si cette volonté politique fait défaut, que reste-t-il d’autre à entreprendre, sinon la politique elle-même — pour l’impulser, l’imposer, ou, à défaut, l’assumer et agir ?
Monsieur le president sait pertinemment que si la pratique de l’esclavage relève du droit, que certaines de ses séquelles peuvent être classifiées comme des questions sociales, la discrimination des Haratines, leur marginalisation et leur privation par tous les systèmes politiques, sont des faillites éminemment politiques. Et puisque toutes ses questions sont structurellement liées le combat englobant pour leur éradication ne peut-être que politique.
En somme, on se doit d’interpeller le président Mohamed Ould Maouloud sur le fait que la conscience haratine a franchi un seuil : elle rejette désormais cette lecture sociale infantile
de leur cause — une lecture réductrice qui vise à la dépolitiser pour mieux la contenir.
C’est précisément contre cette infantilisation, entre autres, que s’affirme aujourd’hui leur volonté d’autonomie politique.
Quant à cette volonté d’autonomie politique que le président Mohamed Ould Maouloud prophétise comme une manœuvre satanique et apocalyptique, elle s’exprime déjà sous des formes diverses, dans le paysage politique national, certes avec des sensibilités qui lui sont inhérentes, mais de manière on ne peut plus pacifique. D’une part, elle se manifeste de manière explicite, structurée et symbolique à travers l’action de partis et d’organisations tels que l’APP, l’IRA ou SOS Esclaves.
S’agissant du second aspect des velléités d’autonomisation, il procède d’un mouvement plus diffus : tacite, spontané, parfois désordonné, mais néanmoins réel et désormais pris en compte. Dépourvu de stratégie cohérente et de cadre structuré, ce mouvement émane d’un élan subjectif, nourri par un sentiment de singularité militante et par une quête persistante de reconnaissance et de visibilité.
Autrement dit, les appréhensions du doyen Mohamed Maouloud paraissent largement exagérées. Elles semblent surtout viser à exploiter la crainte d’une évolution sociale pourtant inévitable dans une société qui peine encore à se défaire de ses pratiques néo-esclavagistes, tout en cherchant à discréditer une dynamique politique concurrente, porteuse d’une transition sociale et politique désormais inscrite dans l’ordre naturel du temps.
Les exemples les plus significatifs et les plus symboliques, susceptibles d’édifier le président Mohamed Ould Maouloud, demeurent sans nul doute l’élection d’un hartani, d’abord comme député de la moughataa de Tidjikja lors de la précédente législature, puis à la tête de la mairie de cette même ville. Deux événements qui ne sauraient être interprétés autrement que comme une réponse à cet impératif de visibilité, que ne saurait dissimuler un pragmatisme et un réalisme politiques, certes salutaires, mais révélateurs d’une aspiration plus profonde à l’affirmation et à la reconnaissance.
Lire la question haratine à travers le seul prisme des turpitudes du système et de la classe politiques actuels relève d’une approche simpliste et à courte vue. En historien averti, le président Mohamed Ould Maouloud sait pourtant que les Haratines, à l’instar des affranchis de toutes les époques et de toutes les latitudes, portent naturellement en eux la vocation de se libérer et de s’émanciper du système de domination néo-esclavagiste, quelles qu’aient été les formes de leur asservissement.
La dimension conflictuelle de ce processus tient, le plus souvent, à la résistance du système de domination et aux rapports de force qui en découlent. Il appartient dès lors à tous les Mauritaniens, sans distinction, de relever le défi de cette transformation pour réussir la transition qu’impose l’évolution de notre société et pour consolider un État de droit, citoyen et véritablement démocratique. Cela exige, de toute évidence, un traitement politique lucide et responsable de la question haratine.
Mohamed DAOUD IMIGINE
Le 29 Octobre 2025
