Il y aura de plus en plus d’inondations au Sahel

Surveillance des zones inondables septembre 2017

Seidou Ousmane, professeur au laboratoire d’hydraulique de l’Université d’Ottawa, est le concepteur nigérien d’un système d’alerte aux inondations pour la ville de Niamey. Dans une interview à Mondafrique, il explique les causes de cette crue jamais vue depuis un siècle et ce qu’il faut faire pour empêcher sa réédition prochaine.

Le chercheur travaille sur la gestion de l’eau et les changements climatiques au Canada, au Mali, au Niger et depuis peu, sur le bassin du Congo. Il a prévu la crue du fleuve Niger, qui a inondé toute la rive droite de la capitale ces derniers jours, faisant des milliers de sinistrés, parmi lesquels sa propre famille. Il a également produit des simulations, dont celle de la rupture des digues qui vient, malheureusement, de se réaliser.

Seidou Ousmane

Mondafrique : La situation est-elle désormais stabilisée à Niamey ou faut-il craindre que d’autres quartiers de la ville soient inondés ?

S.O. : Ca ne peut pas empirer dans les prochains jours mais il faut agir d’ici décembre. Si les digues ne sont pas reconstruites d’ici-là, la même situation risque fort de se reproduire avec la crue de Guinée en fin d’année.

Mondafrique : quelle est la nature des inondations auxquelles on assiste en cette fin de saison des pluies dans tout le Sahel ?

S. O. : Il y a principalement deux sortes d’inondations : les inondations fluviales, comme celles qui touchent actuellement Niamey, et les inondations pluviales, qui peuvent frapper n’importe où en saison des pluies. Les pluviales sont celles qui font le plus de dégâts mais les fluviales sont les plus faciles à prévenir. Le fleuve, on le voit venir. Il est plus prévisible que la pluie.

Mondafrique : comment expliquez-vous la rupture des digues qui a été observée et qui est à l’origine des dégâts importants enregistrés dans la capitale ?

S. O. : Les ingénieurs qui ont conçu les digues n’ont pas tenu compte du changement climatique et de l’ensablement du fleuve. Il y a 15 ans, on n’enseignait pas le changement climatique. Les ouvrages ont été conçus sur la base de méthodes dépassées. Il faut les repenser complètement.

Mondafrique : pourtant, ces inondations reviennent chaque année ?

S. O. : C’est un phénomène qui revient chaque année mais qui empire chaque année ;  le risque d’inondation à Niamey croît régulièrement et c’est cela qui déstabilise les ingénieurs, qui construisent  sur la base d’un risque constant. Mais du fait du dérèglement climatique et de la sédimentation (ensablement), le risque ne cesse d’augmenter. On a construit des digues il y a trente ans qui n’avaient jamais cédé avant 2012. Elles ont été rehaussées mais, chaque année, c’est pire. Et les choses n’iront qu’en empirant.

Mondafrique : Est-ce que le dérèglement climatique est la cause de ces inondations ?

S. O. : Le fait que Dakar et le Soudan soient inondés prouve qu’il s’agit d’une année exceptionnellement pluvieuse. Le dérèglement climatique a donc contribué à la situation, non pas à cause d’une quantité totale de pluie exceptionnelle mais de pluies plus concentrées, d’événements extrêmes susceptibles de générer des catastrophes.

Mondafrique : quelle est la part de l’ensablement dans ces débordements ?

S. O. : la capacité du fleuve diminue et parallèlement, il y a davantage d’eau qui vient s’y jeter. Les deux facteurs contribuent ensemble. L’ensablement, c’est le facteur qu’on mesure le moins mais il est attesté par les gens qui connaissent le fleuve. Il est provoqué par la déforestation. Quand il n’y a pas de couvert végétal, la pluie entraîne plus de sable, qui finit dans les rivières. C’est un processus qu’on constate partout, et qui est très difficile à contrôler. La même pluie produit plus d’eau dans le fleuve lorsqu’elle tombe sur une zone dénudée. La désertification, c’est-à-dire la conversion de couvert végétal en sol nu, contribue pour au moins 90% du problème.

Le risque d’inondation va aller croissant. Car le niveau maximal du fleuve est croissant chaque année. Et quel que soit le niveau de la digue, la courbe va la rattraper et elle va finir par se briser.

Mondafrique : Quelles sont alors vos préconisations ?

S. O. : rehausser les digues d’urgence, que ce soit de façon temporaire ou permanente, pour garantir la sécurité trois ou quatre ans, jusqu’à la mise en service du barrage de Kandadji, qui pourra écrêter les crues et réguler partiellement le niveau du fleuve. Le barrage sera capable de prévenir les débordements pour les dix ou quinze prochaines années. Mais il faut aussi travailler à long terme sur la déforestation et l’ensablement, partout. Il faut mener ce chantier à long terme, sur tout le bassin versant du Niger jusqu’en Guinée, soit 9 millions de km2, pour pouvoir observer des résultats à vingt ou trente ans. En effet, il ne sert à rien de stopper l’ensablement au Niger parce que le sable viendra du Mali. Il faut que tous les agriculteurs, dans tous les pays, apprennent les techniques de contrôle des sédiments et les appliquent. En gardant les sédiments sur leurs terres, ils bénéficieraient aussi de terres plus fertiles. Les techniques sont bien connues : labourer perpendiculairement au ruissellement et planter de la végétation au bord des champs.

Mondafrique : le désensablement est-il possible ?

S. O. : On peut le faire mécaniquement mais le risque est de détruire toute la biodiversité du fleuve. Le mieux, c’est de laisser la nature travailler.

Mondafrique : qu’en est-il des facteurs liés à l’urbanisation sauvage ?

S. O. : Les gens construisent dans les lits des cours d’eau, ce qui crée de petites inondations locales. Il faudrait libérer les voies naturelles de l’eau et construire des collecteurs. C’est assez facile de tracer le chemin de l’eau mais, ensuite, le vrai défi, c’est d’exproprier les personnes et de canaliser les nouveaux développements.

Mondafrique :   Comment fonctionne le système d’alerte aux inondations ?

S.O. : Ce système prendre en compte les précipitations sur le bassin versant collectées par satellite et le niveau de l’eau mesuré par les stations automatiques sur le fleuve. Toutes les trois heures, il calcule le niveau de l’eau pour cinq jours plus tard. Quand on a mis le système en œuvre, le maximum jamais atteint était de 640 cm. Et quand le système a prévu plus de 640, je ne l’ai pas cru. Quand la digue était pleine, il a prévu qu’elle allait se briser. A nouveau, j’ai eu du mal à le croire. Mes propres parents vivent à Lamordé, l’un des quartiers qui a été inondé, mais il m’a fallu cinq jours pour les convaincre de partir ! Ce genre de système, c’est très important. Il a été mis en place cette année et il a permis d’anticiper, il a annoncé qu’il fallait évacuer les gens. On savait, plusieurs jours à l’avance, que le niveau montait et que ça devenait critique. Mais quand le niveau est plus haut que la digue, on ne peut plus rien faire. 700 cm, c’est 60 cm au dessus du niveau maximal atteint dans le passé.

Mondafrique : vous êtes le concepteur de ce système ?

S. O. : j’ai conçu ce système dans le cadre d’un contrat avec le ministère de l’Action humanitaire à Gaya, puis j’ai conçu celui de Niamey bénévolement. Ca m’a pris un week-end, comme la plateforme existe déjà. Il suffit d’une station automatique et ça ne coûte pas cher. J’espère que lors de la reconstruction des digues, les autorités feront appel à nous pour regarder le rapport. Je ne veux pas que ma mère soit inondée une deuxième fois !

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Nathalie Prevost