Mauritanie: Mory Gueta Cissé décrypte les 6 mois du président Ghazouani

Mauritanie: Mory Gueta Cissé décrypte les 6 mois du président GhazouaniA l’instar de tous les mauritaniens, les opérateurs économiques et financiers de ce pays à cheval entre l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest attendent beaucoup du président Mohamed Cheikh El Ghazouani.

En 6 mois de présidence, l’on peut, sans présager du bilan, se faire une idée de l’homme et du style qu’il incarne. Vu du monde des affaires et, particulièrement, d’un opérateur économique avisé comme Mory Guéta Cissé, cette esquisse de bilan prend les allures d’un diagnostic. Entretien.

Cela fait maintenant plus de 6 mois que le Président Ghazouani est élu et en activité. Quelle lecture faites-vous de la situation actuelle qui prévaut en Mauritanie ?

Nous sommes un peuple pressé, égocentrique où chacun se croit plus important et plus valeureux et socialement plus représentatif que son vis-à-vis avec des égos sur dimensionnés ; le moi détestable chez d’autres peuples est au- dessus de toutes les considérations chez nous.

Pour un mandat de 5 ans soit 60 mois avec un programme calqué sur un tel chronogramme, il est facile de se tromper si l’on veut en l’espace de 6 mois faire un jugement objectif sur un projet de société à mettre en place en 60 mois mais, en tout état de cause, les prémisses d’un changement réel et profond sont sensibles au rythme et à la cadence du Président, seul chef d’orchestre, donnant le la.

L’homme a hérité d’une administration qu’il n’a pas choisie, ses premières armes en politique ont démarré avec son apprentissage de l’Administration Centrale car son domaine de prédilection a été jusqu’ici les questions de la grande Muette, aussi est-il nécessaire de lui laisser le temps de mieux connaître les hommes et l’administration pour s’imprégner d’avantage de la chose publique et choisir, en bon stratège militaire doublé d’une aura maraboutique, l’équipe gagnante qui lui permettra de dérouler son programme au profit du peuple mauritanien. Tout changement dans la précipitation pourrait être mal interprété ou source d’instabilité inutile dans un contexte où le pays a davantage besoin de cohésion sociale, de solidarité et de paix sociale.

Nouakchott a connu la défiance du Président Mohamed Abdel Aziz pour une reprise en main du parti UPR, voulant en être la seule référence, quelle lecture faites-vous de cette lutte fratricide ?

Tout est bien qui finit bien et heureusement que tout est rentré dans l’ordre car le pays a besoin de stabilité et de paix sociale pour faire face aux défis contre le terrorisme et pour le développement économique et social au profit de nos populations afin qu’elles puissent profiter pleinement des fruits de la croissance que nous attendons de l’exploitation et de l’exportation du gaz et du pétrole.

Tout étant rentré dans l’ordre, le Président Ghazouani n’a plus à se préoccuper pour la constitution de son propre parti politique car disposant déjà d’une majorité confortable à l’Assemblée Nationale donc, nul besoin de penser à sa dissolution, à la recherche de sa propre formation politique et de sa majorité parlementaire, source de dépenses non prévues dans le budget et, tant que la majorité actuelle lui apportera le soutien nécessaire pour la réalisation de son programme électoral, il devra travailler avec et se mettre au service du développement du pays.

Pensez-vous que la constitution d’une commission d’enquête parlementaire ait une quelconque connexion avec la tentative avortée du contrôle du parti UPR par le Président Mohamed Abdel Aziz ?

La démocratie a ses exigences que tout démocrate se doit d’accepter comme principe de base et parmi ses contraintes figure en bonne place l’obligation de rendre compte de l’utilisation des ressources publiques mises à la disposition des contribuables et élus pour la réalisation de projets de développement au profit des populations et nul ne peut se soustraire de cette obligation.

La commission d’enquête parlementaire fait partie des instruments de contrôle de la bonne gouvernance et d’une utilisation juste et judicieuse de nos ressources financières et constitue un signe de la vitalité démocratique d’un parlement qui doit, quelles que soient les vicissitudes, jouer pleinement son rôle de contrôle des politiques publiques que lui confère la constitution. Je pense que cette commission rentre dans ce cadre légal et réglementaire auquel les comptables et gestionnaires de biens publiques peuvent être soumis sachant que la commission parlementaire n’a pas pouvoir de juridiction et ne peut que, sur la base des résultats de ses investigations, donner des recommandations aux juges seuls habilités à juger.

Les changements attendus sont lents à venir et certains acteurs politiques réclament des assises ou des journées de concertations et de dialogues sur des questions d’intérêt national ?

Le Président Ghazouani a été élu sur la base d’un programme, qu’on le laisse dérouler son programme avec lequel il a obtenu le suffrage de la Majorité des Mauritaniens qui en ont fait le Président de tous.

Qu’il consulte des acteurs politiques c’est tout à fait normal mais que l’on focalise l’attention de tous sur des concertations politiques publiques pour des résultats comme ceux connus par le passé n’intéresse personne et ne devrait pas divertir ni altérer l’agenda du Président. La revendication du respect du statut du chef de l’opposition démocratique pour des rencontres périodiques avec le Président de la République ne doit pas faire l’objet de débat car ces rencontres ne sont qu’à titre consultatif et, à la discrétion du Président, avec possibilité pour le Chef de l’opposition de le solliciter pour des rencontres en cas de nécessité dont l’appréciation tient compte de la pertinence des sujets à soumettre ainsi qu’à l’agenda du Président.

Beaucoup a été dit sur l’identité nationale et le vivre ensemble ; quel est votre point de vue sur la question ?

Ce sujet ne fait les choux gras que dans la ville de Nouakchott car dans toutes les autres villes et bourgades mauritaniennes, le vivre ensemble est une véritable réalité, les populations se comprennent et sont solidaires dans leur vécu quotidien et communiquent entre elles dans les différentes langues nationales sans complexe. Toutefois, Nouakchott est une ville cosmopolite sans âme où la chose politique domine souvent tout avec une exploitation malheureuse par certains qui utilisent comme fonds de commerce des sujets dont la manipulation nécessite une maturité politique et un réel patriotisme.

A Nouadhibou et dans les villes du Nord, mes oncles d’authentiques Bidhanes de la Charka, de Khaîrane, de la R’guib ainsi que leurs familles parlent Espagnol et cela ne dérange personne tout comme la Péséta avant l’Euro, le Dollar Américain y est une monnaie de référence dans nos diverses transactions commerciales à coté de notre Ouguiya nationale car étant monnaie d’exportation de nos diverses ressources naturelles.

Aucune langue étrangère ne saurait être un facteur d’exclusion ou d’ostracisme, tout au contraire, elle est un moyen de communication, de commerce et un facteur d’intégration et de mon point de vue l’enseignement des langues nationales est un leurre et les résultats de la première expérience sont là pour le prouver d’autant que tous ceux qui le revendiquent, alphabétisent leurs enfants dans d’autres langues non pas par défaut ni par opportunisme mais par réalisme et besoin d’ouverture vers l’autre.

Nous avons besoin d’un Etat fort pour imposer un enseignement unique et unitaire, facteur de communion pour tous nos enfants et petits- enfants. Ainsi, aucun problème ne se posera plus car tous recevant les mêmes fondements et que l’on ne dise pas que certains partent avec un certain avantage du fait de leurs descendances car l’apprentissage du français au cycle primaire ne donnait aucun avantage au petit Soninké ou Wolof par rapport au petit Bidhane.

L’Espagnol n’est pas enseigné au cycle primaire à Nouadhibou et pourtant tout le monde le parle en plus du Français et du Hassania, c’est dire que les langues étrangères doivent être intégrées en bonne place dans nos programmes scolaires et une école séparée et à deux vitesses n’a pas sa raison et doit être bannie pour un enseignement unique à nos enfants en vue d’une meilleure connaissance et interpénétration des cultures pour faciliter le vivre ensemble.

Notre problème résulte de notre erreur quant à l’importance que l’on a tendance à accorder à certains esprits mal intentionnés dont le seul but est de diviser pour mieux régner et dont les objectifs cachés ne reposent que sur l’accumulation de richesses par tous les moyens du fait de leur position dans l’Administration Centrale ou au sein des partis politiques, manipulant l’appareil d’Etat grâce à la puissance des trésors constitués sur le dos des populations.

Des rumeurs ont couru concernant un éventuel dépôt de 2 Milliards de Dollars Américains dans un pays du Golfe et quelques mois après, on apprend un Prêt du même montant par cet Emirat à la Mauritanie ce qui eut pour effet de clore la rumeur, quelle analyse en faites-vous ?

Comme toutes les rumeurs, elles finissent toujours par s’évanouir dans la nuit des temps. Je pense que pour des considérations diplomatiques et pour la crédibilité de nos institutions, il faut s’en tenir à la version officielle qui nous en a été servie et faire bon usage de cette manne financière exceptionnelle et inattendue qui arrive au bon moment pour faciliter l’exécution des divers programmes d’investissement du Président GHAZOUANI qui démarre son mandat avec un don du ciel par la grâce et la Baraka de ses aïeuls au profit du peuple Mauritanien.

Par conséquent, que l’on se mette tous au travail et que cet argent destiné pour partie au financement de projets d’investissement structurant pouvant endiguer le chômage des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur soit utilisé de façon efficiente au profit de notre développement de manière à ce que la reconstitution du capital initial représentant la première dotation puisse se renouveler et, au besoin, augmenter afin que d’autres puissent bénéficier des mêmes facilités.

Dans quelques mois, la Mauritanie, en partage avec le Sénégal, sera productrice et exportatrice Gazier et Pétrolier. Que vous inspire cette future nouvelle situation ?

J’avoue que je suis habité par beaucoup d’inquiétudes non pas par ce qu’on peut appeler la malédiction du pétrole et du gaz mais par notre impréparation par rapport à cette nouvelle situation comparativement à nos voisins avec lesquels nous partageons cette manne. Notre degré d’impréparation est énorme car le dossier avait été géré jusqu’ici de manière exclusive par une petite poignée de personnes qui, sans partage, en ont verrouillé tous les contours et les retombées collatérales à leurs seuls profits.

Un d’une telle dimension avec des impacts importants sur le futur quotidien de nos populations requièrent des consensus forts avant son démarrage pour éviter des perturbations ultérieures ou des remises en cause du fait de notre manque de préparation à la gestion des retombées de cette manne du ciel. Nos deux pays doivent non seulement mutualiser leurs efforts pour les besoins en matière d’infrastructures et de formation mais, œuvrer de manière à ce que la balance en ce qui concerne les retombées collatérales, notamment la base vie, l’hébergement et la restauration ne soient pas au profit d’une seule des parties pour éviter des perturbations ultérieures et, si l’un ou l’autre des pays n’en intègre pas certains aspects, il appartient à l’autre partie d’en attirer son attention pour un consensus afin d’éviter des contestations ultérieures sources de blocage.

Il me semble que le Sénégal en toute transparence ait fait beaucoup d’efforts de communication sur les dossiers et y ait associé au maximum les parlementaires, la société civile, ses opérateurs économiques nationaux qui se sont préparés en conséquence pour relever les défis et accroître leurs connaissances afin de booster leurs activités dans les domaines liés à l’exploitation et à l’exportation du gaz et du pétrole. Des recensements ont été faits au niveau de toute sa diaspora pour dénombrer les experts nationaux dans ces domaines de compétence afin de venir contribuer à la bonne exploitation de ces mannes dont les retombées financières resteront dans leur pays.

J’espère que le Président Ghazouani s’ouvrira à son ami et frère Macky Sall pour gérer conjointement l’ensemble des questions collatérales pouvant être liées à l’exploitation du gaz et du pétrole. En espérant aussi que du côté mauritanien, on y associera le secteur privé national que notre administration centrale a l’habitude de tenir à l’écart des projets importants faisant ainsi perdre au pays des opportunités et des retombées financières importantes alors qu’aucun développement ne peut se faire en excluant des acteurs de l’activité économique.

J’espère que la prochaine visite du Président Macky Sall à Nouakchott permettra la revue de tous les problèmes liés à la future exploitation conjointe de la ressource commune afin de mettre sur pied une réelle stratégie de mutualisation des efforts pour l’atteinte des objectifs de développement souhaités à travers cette manne, autrement, le peuple mauritanien se sentira très vite floué dans ce deal auquel il ne verra pas ses intérêts ni les retombées indirectes car mis à l’écart durant tout le processus à l’exception de certains initiés pour des considérations mercantiles et d’intérêt personnel.

Des joint-ventures et des ententes entre les partenaires techniques, commerciaux et financiers des 2 pays partageant cette manne gazière et pétrolière doivent être mis en place pour faciliter l’exploitation de ces ressources d’autant que les ententes dans le secteur privé à l’échelle internationale résistent mieux aux humeurs des Etats et des partenaires au développement.

Propos recueillis à Nouakchott par Adama Wade

Source : Financial Afrik