Naturellement, elle a mis un accent particulier sur la thématique de l’esclavage qui est considéré comme l’une des violations les plus graves des droits de l’homme ainsi que sur les principaux slogans de cette caravane qui étaient : « Esclavage tolérance Zéro » et « Esclavage Tournons la page ».
Le message essentiel adressé aux villages, aux villes, aux quartiers, aux regroupements urbains et péri urbains ainsi qu’aux adwabas est que l’État dispose d’un arsenal juridique complet sur l’esclavage qui est un crime contre l’humanité et que, désormais, aucune complaisance à l’endroit des personnes coupables d’esclavagisme ne sera tolérée.
La Commission avait alors engagé des discussions et pris les contacts nécessaires avec les organisations des Droits de l’Homme et les Institutions spécialisées pour qu’elles l’accompagnent dans cette caravane. De nombreuses Associations crédibles avaient répondu favorablement à cet appel et avaient pris part à cette grandiose manifestation dont l’Initiative de Résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA), SOS Esclaves, le Flambeau de la Liberté, la Fondation Sahel et la Coopération allemande (GIZ).
En dehors de la question classique de l’esclavage, la Commission Nationale des Droits de l’Homme est pleinement consciente que des individus sont soumis à une forme ou une autre d’exploitation en raison de leur vulnérabilité, leur pauvreté ou leur ignorance, certaines familles sont contraintes de mettre leur enfants sur le marché du travail pour subvenir à leurs besoins alimentaires, et consciente également que l’histoire de l’esclavage a généré des injustices sociales profondes qui continuent d’agir dans notre monde contemporain.
Une telle situation requiert un traitement économique et c’est dans ce cadre que la Commission signera, ces jours-ci, une convention avec la Délégation à la Solidarité Nationale et à la lutte contre l’Exclusion (Taazour) en vue d’orienter cette institution vers la garantie des droits économiques et sociaux des citoyens, en particulier vers toute action visant à venir à bout de la pauvreté héréditaire, à mettre fin à l’injustice, à l’iniquité, à l’exclusion, à la marginalisation et aux disparités en termes d’accès aux services publics.
Convaincue qu’elle est que les États ne peuvent avancer que s’ils triomphent de ces tares, persuadée que la paix ne peut s’instaurer que dans un environnement propice à ces idéaux, la Commission a adopté cette approche qui est l’unique moyen d’asseoir et de consolider la paix.
En effet, c’est dans les Nations qui empruntent cette voie que règne la sécurité, que prévaut la paix, que s’instaure la fraternité et que se développe l’harmonie.
Puisqu’il est question d’esclavage dans notre pays et puisqu’il y a une controverse à ce sujet, nous avons choisi de nous concentrer sur cette tare.
La Commission Nationale des Droits de l’Homme a remarqué que chaque fois que des ONG déclarent avoir trouvé ou décelé un cas avéré d’esclavage, les procédures judiciaires à ce sujet sont immédiatement enclenchées mais si ces investigations en viennent à conclure qu’il ne s’agit pas d’un cas d’esclavage et que l’affaire soit classée, les ONG organisent une série de mouvements de protestation et rendent publiques des déclarations dénonçant la collusion de l’Administration territoriale, de la sécurité et de la justice avec les esclavagistes.
Partant de cet imbroglio dans lequel se trouve le pays depuis longtemps et qui est matérialisé par :
– des organisations qui accusent l’État de connivence avec les esclavagistes, qui clament que l’administration publique dissimule délibérément les cas d’esclavage,
– des pouvoirs publics qui accusent les ONG d’exagérer et de dramatiser les faits pour en faire de grands dossiers alimentant leur propre fonds de commerce,
La Commission a été amenée à créer une coalition composée de parties crédibles, capables de fonctionner de façon autonome, sans avoir à ne se baser ni sur ce que rapportent les associations ni sur les thèses avancées par les pouvoirs publics.
Cette coalition arrive, par elle-même, à cerner toutes les questions soulevées sur lesquelles elle mène ses propres investigations avant d’en tirer les conclusions qu’elle consigne dans un rapport.
Aux côtés de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, cette coalition comprend le Forum National des Organisations de Défense des Droits Humains (FONADH), l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH) et le Haut- Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH) qui y est en qualité de conseiller technique.
De Novembre 2019 à Juin 2020, c’est-à-dire en l’espace de huit mois, la Commission est restée sur le qui-vive, cherchant sans relâche le moindre cas d’asservissement. Et elle n’a trouvé que des cas à Néma, qui ont fait l’objet d’un procès au mois de novembre 2019 où 11 personnes ont comparu. La Commission Nationale des droits de l’Homme avait assisté au procès où les prévenus ont été condamnés par défaut à de lourdes peines. Durant ces huit mois, la Commission n’a été saisie que de 2 cas présumés d’esclavage à Sélibabi, soulevés par une ONG aux mois de Janvier et de Juin 2020 et, au terme des investigations menées par la coalition, il s’est avéré qu’il ne s’agissait pas de cas d’esclavage.
Telle est la situation des investigations de la commission pour les 8 mois passés. Le prochain rapport sera publié dans 6 mois.
Quoi qu’il en soit, la Commission est déterminée à aller de l’avant dans l’examen de tout cas présumé d’esclavage signalé au sein de cette coalition, qui pourrait être élargie au Bureau international du Travail, qui est en discussion à l’heure actuelle à ce sujet, en plus de l’organisation Save the Children, qui avait participé à nos côtés à l’une des enquêtes à Sélibabi.
Mon parcours personnel en tant qu’avocat défenseur des droits humains, en tant qu’ancien bâtonnier de l’Ordre National des Avocats, président d’honneur de la Conférence Internationale des Barreaux (CIB) et, actuellement, en tant que président de la Commission nationale des Droits de l’homme, fort de l’existence d’un arsenal juridique complet et des tribunaux spécialisés, m’empêche de me trouver dans un pays où il y aurait des cas d’esclavage, sans les rechercher, les trouver et les traiter.
Partant de son rôle en matière de protection des droits humains, la Commission Nationale des Droits de l’Homme appelle les organisations mauritaniennes de défense des droits de l’homme et les organisations des droits de l’homme dans le monde, en particulier Human Rights Watch, Anti Slavery, Amnesty International et d’autres organisations s’intéressant à la question de l’esclavage à rejoindre cette coalition et participer activement à ses côtés aux caravanes et à ses autres activités, d’autant que la Commission Nationale des Droits de l’Homme organisera, bientôt, une nouvelle édition de cette caravane à laquelle elle souhaite la participation de toutes ces institutions auxquelles elle adresse une invitation officielle.
En conséquence, je propose que les débats profonds qui existent au niveau des tribunes internationales sur le thème de l’esclavage en Mauritanie entre ceux qui considèrent que ce phénomène existe et est pratiqué chez nous à grande échelle et ceux qui pensent que notre pays a éradiqué l’asservissement et est devenu un Etat de droit, je propose que ces débats-là se déclinent en actions de terrain dont l’objectif est la recherche de cas d’esclavage et leur traitement par le biais d’une application rigoureuse de la loi. En d’autres termes, ceux qui soutiennent que le phénomène de l’esclavage existe chez-nous doivent s’investir à nos côtés dans la recherche de toute personne réduite en esclavage afin de traiter son cas par l’application de la loi dans toute sa rigueur.
Ceux qui considèrent que le phénomène de l’esclavage a disparu dans le pays devraient travailler avec nous sur le terrain pour aider à mettre en œuvre la loi sur les cas avérés, une fois découverts.
Sur cette base, la commission ouvre largement la porte aux travaux de terrain. Elle l’ouvre à toutes les parties, celles qui affirment que l’esclavage existe, celles qui pensent le contraire, celles qui sont, neutres, elle l’ouvre également aux acteurs nationaux et internationaux, afin que cette question puisse être finalement résolue, que la loi soit appliquée et que la paix et l’harmonie soient sauvegardées.
Le Président
Maître Ahmed Salem Bouhoubeyni
Source : CNDH