De la question Haratine : des chaînes de domination à la quête d’existence ! Par Maham Youssouf

Bonjour chers amis et camarades,

J’aurais pu me contenter de la réplique sublime du cousin Cheikh Sidatti., mais comme on dit, chose promise, chose due.

 J’ai suivi avec un intérêt particulier le débat – ou plutôt les débats sur « l’identité haratine » J’ai écouté les uns et les autres, mais aussi lu certaines contributions qui m’ont profondément marqué, comme celles de mon jeune frère, l’éminent poète Cheikh Nouh, fils de Barkéole, où se concentrent des centaines d’adwaba marginalisés, spécificité haratines, et celle de Sidi Soued Ahmed, intitulée Donnons-leur leur identité.

 D’autres, en revanche  notamment celle de Mohamed Ould Echriv Echriv m’ont énormément déçu. Le contenu de son texte m’est apparu brumeux, pour ne pas dire insaisissable. Cette position traduit peut-être la personnalité profonde de l’homme en question qui, comme le disait Freud, « ne se limite pas aux comportements visibles et conscients, mais est déterminée par une stratification psychique souvent enfouie ».

Déception toutefois surmontée lorsque j’ai lu mon compatriote Sidi Ahmed Cheine écrire :« Ce qui mine la République, ce ne sont pas les élans d’un hartani en quête de justice, mais bien les discours condescendants de ceux qui, voyant leurs privilèges leur échapper, s’acharnent à contenir un prolétariat révolté, désormais réfractaire à toute forme de discrimination. »

À propos de la contribution d’Echriv, je dirai d’emblée que j’ai été frappé par le nombre de contre-vérités sciemment agencées et ordonnées par lui. Cela me foudroie, car l’homme est dense intellectuellement, vu ses publications en ligne. Comment peut-il être aussi mal outillé sur la question de l’identité haratine ? Je n’irai pas jusqu’au temps médiéval pour déconstruire ces contre-vérités : des exemples récents suffisent.

Il affirme que : « dans toute l’histoire humaine, la question de l’esclave affranchi n’a jamais donné naissance à une communauté autonome… ». Pas vrai !

Les Marrons des Amériques et des Caraïbes ont constitué des communautés marronnes, composées essentiellement d’esclaves en fuite ou affranchis : en Jamaïque, au Suriname, en Guyane. Au Brésil, d’anciens esclaves ont fondé les quilombos (villages d’affranchis et de fugitifs), comparables à nos villages de liberté connus à l’époque coloniale. J’y reviendrai avec des exemples précis. Les habitants des quilombos vivaient en communauté ; de même, après 1865 et l’abolition de l’esclavage, nombre d’Afro-Américains se regroupèrent dans des villages appelés Freedmen’s towns, fondant ainsi leur propre communauté  certaines existent encore aujourd’hui.

Ces communautés avaient un double objectif : se protéger collectivement contre l’injustice sous toutes ses formes et préserver des us et coutumes hérités de siècles d’esclavage.

Tout près de nous, au Sénégal, les descendants de fugitifs de l’esclavage forment aujourd’hui une communauté reconnue, forte de plus de 4 millions de personnes, occupant dans les grandes villes des quartiers appelés communément Lgdouda (pluriel de gad). (Voir mon article paru sur Cridem le 1er juin 2015, intitulé Dagana 27 ans après, quelle délectation de remémorer l’histoire !).

Echriv écrit aussi : « Parler de la communauté haratine revient à contredire une logique anthropologique universelle… ». Encore une contre-vérité. Les thèses de l’éminent anthropologue Abdel Wedoud Ould Cheikh, de Gabriel Camps ou de Charles-André Julien déconstruisent intégralement cette assertion.

Affirmer par ailleurs que l’affranchissement n’est pas une identité mais seulement une transition est également très osé  et complètement faux. Qu’on me le prouve par un argumentaire scientifique et des exemples précis, et je me tairai ! L’affranchi vient avec une culture et résiste à l’acculturation forcée du maître, dictée par un rapport de force.

L’exemple des Afro-Américains est parlant : leur culture résistante, portée par un gospel insurrectionnel, a survécu. Aujourd’hui encore, ils demeurent une communauté distincte, bien qu’ils ne représentent que 14 % de la population.

De même, les Haratines en Mauritanie, malgré les efforts déployés pour les assimiler au groupe hassanophone, ont toujours su conserver des particularités propres. Même la langue hassaniya, chez eux, est souvent créolisée. Cette communauté, forte d’environ 50 % de la population bien que les statistiques soient soigneusement gardées secrètes , s’affirme aujourd’hui de plus en plus et refuse assimilation et aliénation forcées, à travers ses fils et filles issus des faubourgs et périphéries, excédés mais instruits.

Je rappelle à Echriv que le vivre-ensemble requiert le respect de l’autre dans sa différence. Toute tentative de dilution dans le segment dominant actif pour reprendre l’expression de mon frère R’chid  Mohamed ne peut qu’être fatale à la cohabitation.

Je conclus avec ce mot d’un inconnu, Hartani anonyme :
« Les Haratines ne demandent la permission à personne pour se considérer une communauté. C’est déjà intériorisé depuis belles lurettes. Nos jeunes, nos vieux, nos hommes, nos femmes, nos dockers, les brasseuses de couscous, les vendeuses de légumes et de tabac, nos bergers et autres portent très haut le flambeau, qui continuera à briller à l’infini… Un point de non-retour».

Maham YOUSSOUF
Nouakchott, le 6 septembre 2025