L’ethnicisme déguisé est désormais démasqué [Par Mohamed Daoud Imigine]

L’ethnicisme, déguisé derrière les bannières du nassérisme, du baasisme et de la vocation arabe de la Mauritanie, est désormais démasqué.

Lors de leur conférence-débat du 16 septembre 2025, placée sous le thème « Le discours à caractère sectaire », les animateurs du Centre maghrébin des études stratégiques ont semblé amorcer une véritable campagne contre ce qu’ils qualifient tour à tour de discours de la haine ou de discours sectaire.

Paradoxalement, ni les organisateurs ni la majorité des intervenants n’ont pris soin de définir clairement ces notions, ni d’en démontrer le danger réel pour la cohésion sociale. Ils se sont plutôt retranchés dans les généralités de leurs thématiques habituelles : la sempiternelle rhétorique sur les séquelles supposées de la colonisation, la menace fantasmée des FLAM, l’ opportunisme des leaders haratines, sans oublier leurs sujets de prédilection — la mauvaise gouvernance et le système des quotas. Autant de digressions qui, sous couvert d’analyse, peinent à masquer une stratégie de diversion et une tentative à peine voilée de délégitimation.

Ce durcissement du ton, plus marqué qu’à l’accoutumée, semble en réalité nourri par une irritation croissante face à une rhétorique désormais bien ancrée dans l’espace public : celle portée par les voix haratines. Des voix qui appellent à une rupture franche avec le carcan néo-esclavagiste symbolisé par leur assimilation forcée aux Bidhanes, et revendiquent leur droit à une représentativité pleine et entière — à la mesure de leur poids démographique et du chemin parcouru vers l’émancipation.

Cette évolution notable du discours politique porté par l’élite haratine traduit une aspiration profonde à une émancipation sociale et politique authentique. Elle dérange manifestement une certaine conception de l’État mauritanien, fondée sur une légitimité présumée d’un suprémacisme ethniciste, soigneusement dissimulé sous les oripeaux de la République et de la citoyenneté.

En arborant une posture prétendument citoyenne, calibrée sur mesure, mêlant démagogie et mystification, ces stratèges du discours s’emploient à contourner sciemment les réalités de terrain. À travers une rhétorique habilement moralisatrice, ils tentent de diaboliser une plaidoirie de plus en plus libre, incisive, et lucide — une parole qui met à nu les ressorts structurels d’un néo-esclavagisme systémique.

Plutôt que de concevoir une stratégie capable d’accompagner sereinement une mutation sociale — certes complexe, mais inéluctable — ces tenants de l’ordre établi s’acharnent à freiner le cours naturel, et désormais irréversible, de notre transformation collective. Ils s’illusionnent ainsi de préserver un ordre devenu obsolète.

Déconnectés des réalités socio-politiques vécues par les héritiers de l’esclavage, aveuglés par la logique actuelle des rapports de force, ils manquent de prévoyance. Ils ne mesurent pas l’ampleur de la frustration ni la profondeur de la prise de conscience qui nourrissent aujourd’hui l’engagement politique des Haratines.

Dès lors, leur discours — censé mobiliser, structurer, conscientiser, démystifier et projeter — ne peut qu’entrer en dissonance avec le mutisme qu’on tente d’imposer sur un passé jugé honteux, mais dont les logiques continuent d’imprégner insidieusement la Mauritanie contemporaine.

Si ces ethnicistes, dissimulés derrière les étendards nostalgiques du nassérisme et du baasisme, ont cru pouvoir, à travers cette conférence aussi provocatrice qu’arrogante, intimider ou délégitimer l’expression légitime du ras-le-bol des victimes de l’esclavage — expression qu’ils perçoivent comme un crime de lèse-majesté — ils n’ont en réalité réussi qu’à se dévoiler.
Ils ont offert aux Haratines — un nom qu’ils s’acharnent manifestement à vouloir tabouiser — l’occasion de leur rappeler que l’illusion de la pérennité des conformismes néo-esclavagistes est bel et bien révolue, et qu’il est temps, pour tous, de rompre avec les schémas anachroniques d’un ordre injuste.

Qu’ils sachent donc que ce n’est nullement un hasard si les victimes de l’esclavage se revendiquent, à chaque occasion, sous le nom de Haratines. Autrefois perçu comme stigmatisant, ce nom incarne aujourd’hui une identité assumée : symbole de conscience, d’éveil, d’émancipation, d’espérance et d’un idéal de réhabilitation, porté par les militants de la cause haratine.

C’est leur cri du cœur, l’expression de souffrances persistantes, longtemps perçues comme une fatalité ; mais aussi la mémoire vivante d’un esclavage pluriséculaire, abject et injuste. Bien plus qu’une simple caractérisation, la haratinité est devenue un mot d’ordre spontané, né de la nécessité de mobilisation autour d’une infortune historique délaissée par l’État, normalisée par une conscience collective figée et banalisée par une classe politique soumise au diktat d’un conservatisme esclavagiste.

Elle devient ainsi le socle, le repère et le patrimoine d’une résurgence portée par une volonté de réhabilitation, d’un idéal sociétal et national qui structure leur vision, oriente leurs aspirations et façonne leur projet pour la Mauritanie.

Non, lorsque les victimes de l’esclavage revendiquent, protestent et dénoncent sous le sceau de leur haratinité, il ne s’agit nullement de sectarisme. C’est un appel solennel à la conscience des patriotes sincères et des hommes de bien ; une interpellation sur la singularité de leur infortune. C’est un cri de détresse — un SOS — pour la justice, la réparation et la solidarité. Une dénonciation du traitement arbitraire qu’ils subissent de manière spécifique, dans l’indifférence complice de nos stratèges autoproclamés du civisme.

Par ailleurs, il est à la fois aberrant et profondément malhonnête de détourner la dénonciation de l’exclusion et de la marginalisation en une critique du système des quotas, tout en épargnant délibérément ceux qui, sur fond de discrimination, accaparent quasi exclusivement les leviers du pouvoir et la gestion des affaires publiques.

Pour le reste, et pour toujours, les Haratines n’accepteront pas de subir une conception tendacieuse de la Mauritanie consacrant le néo-esclavage systémique, de la même manière que l’interprétation tendencieuse de la Charia Islamique a perpétué la pratique de l’esclavage. La haratinité est désormais une réalité politique à part entière et s’impose par le progrès et la légitimité. Il appartient aux protagonistes de la scène politique nationale, de l’assumer pleinement, avec lucidité, responsabilité et prévoyance.

Le 24 août 2025
Mohamed Daoud IMIGINE