Identité haratine : ce que vous refusez de voir Mohamed Echriv Echriv, Par Mohamed Daoud Imigine

Face aux discours qui minimisent ou délégitiment les aspirations politiques des Haratines, il est essentiel de rappeler les fondements historiques, sociaux et symboliques d’une revendication identitaire construite non pas contre la nation, mais au nom de sa promesse inachevée d’égalité. Ce qui est ici dénoncé, ce n’est pas seulement une lecture biaisée de l’histoire ou une posture intellectuelle discutable, mais bien un déni politique face à une réalité sociologique incontournable.

C’est dans cette perspective qu’il faut reposer les termes du débat, en commençant par ce que signifie réellement l’affranchissement.

Non, l’affranchissement n’est pas une simple transition : il est liberté, il est autonomie — ou il n’est qu’un prolongement du néo-esclavage. Dès lors, et n’en déplaise à toutes les archives savamment exhumées sur l’esclavage à travers l’histoire de l’humanité — avec, parfois, plus d’arrogance que de lucidité —, ce ne sont ni les chaînes brisées ni les récits consignés qui définissent l’affranchi. Ce sont bien la liberté assumée, l’autonomie affirmée, les aspirations à l’épanouissement, et les idéaux de dignité qui tracent les contours de son identité et fondent les prémisses de son devenir socio-politique.

Tels sont, dans l’absolu, les fondements de toute vocation d’affranchissement véritable et digne de ce nom. Pour le reste, ce sont les contextes, les opportunités et les perspectives offertes qui déterminent les modalités spécifiques de l’intégration — y compris dans les cas que vous avez soigneusement mis en avant pour tenter de délégitimer les aspirations haratines.

Dans votre argumentaire anthropologique, manifestement partisan et appuyé sur une rhétorique historique inadaptée, vous parlez de la communauté haratine comme si elle n’existait pas déjà en tant que réalité sociale et politique. Monsieur Mohamed Echriv Echriv, vous n’avez ni le droit ni la légitimité de mettre entre parenthèses une communauté qui existe bel et bien — et qui s’impose de plus en plus clairement dans l’échiquier des composantes nationales. La preuve de son existence et de sa visibilité croissante, c’est précisément ce débat sur son identité et sa délimitation, qui vous a fait sortir de votre réserve — débat dont le soubassement n’est autre que le poids démographique réel des Haratines et leur engagement politique spécifique de plus en plus affirmé.

Par ailleurs, Monsieur Mohamed Echriv Echriv, vous êtes-vous au moins une fois interrogé sur les raisons profondes pour lesquelles les affranchis que sont les Haratines cherchent à se démarquer de la communauté de leurs anciens maîtres — alors même que, selon une certaine logique sociale, ils devraient être fiers d’y être assimilés ? C’est parce que l’esclavage maure, en Mauritanie, est d’une nature singulièrement enracinée, répandue, tenace et multiforme, comme nulle part ailleurs. Son anachronisme persistant en constitue une preuve accablante.

Contrairement aux exemples d’affranchissement que vous évoquez à travers l’histoire et le monde — souvent définitifs et irréversibles —, la condition des Haratines demeure marquée par une exploitation persistante : de la propriété au service d’une tente, à l’affranchissement sous vassalité, à la tutelle et la subordination tribale, à la marginalisation dans les structures de l’État, jusqu’à l’instrumentalisation dans les institutions internationales, l’exploitation aux relents esclavagistes les poursuit comme une fatalité qui se régénère à chaque étape. Voilà une réalité que ni les discours relativistes, ni les lectures biaisées ne sauraient masquer.

En vérité, les Haratines sont confrontés à une alternative cruciale : d’un côté, la soumission à un ordre établi qui les enferme dans un cadre néo-esclavagiste et les relègue à l’invisibilité ; de l’autre, l’aventure — nécessaire — de l’autonomie spécifique. Naturellement, plus ils prennent conscience de leurs droits, de leurs atouts et de leur potentiel politique, plus leur autonomie se consolidera, et leur identité propre se définira, en interaction avec le reste de la société nationale.

Quant aux liens de sang ou de lait que certains invoquent pour relativiser cette dynamique, vous savez parfaitement qu’ils ne constituent que des exceptions destinées à conforter une règle. Car, dans l’absolu, la relation entre Haratines et anciens seigneurs demeure, dans la majorité des cas, une relation d’exploitation ou de dépendance, où la dignité des premiers est trop souvent sacrifiée sur l’autel du paternalisme des seconds.

S’agissant de votre affirmation selon laquelle « la tentative de créer une communauté haratine relèverait d’un artifice politique », il faut vous dire que vous êtes en profond décalage avec l’évolution sociale et politique des Haratines. L’enjeu, aujourd’hui, n’est plus de constituer cette communauté : elle existe de fait, forgée par une histoire d’infortune, de discrimination et de privation. Ce qui est désormais en question, c’est la lutte pour son autonomisation et sa reconnaissance officielle.

Ce mouvement, qui se structure avec constance et lucidité, n’a rien d’un artifice : il s’agit d’une démarche politique pleinement légitime, un prolongement naturel du processus d’émancipation. Et quand bien même il s’agirait d’un « artifice politique », en quoi cela serait-il spécifiquement répréhensible lorsqu’il est porté par les Haratines — alors même que d’autres l’ont utilisé pour noyer leur identité berbère dans une arabité taillée sur mesure, et faire de l’arabisation un levier de domination ? Cela montre bien que, s’il s’agit d’un artifice, il est non seulement légitime, mais aussi nécessaire et salutaire, car porteur d’une exigence de justice et d’équilibre social.

Quant à la posture d’un républicanisme moralisateur par laquelle vous concluez votre propos, elle se heurte à la réalité d’une dérive discriminatoire que connaît aujourd’hui notre pays. Elle sonne comme une démagogie bien connue, par laquelle certains cherchent à se donner bonne conscience pour mieux couvrir leur inaction, leur silence, ou leur connivence.

L’ »artifice politique » que représenterait, selon vous, la revendication d’une identité haratine ne mérite certainement pas toute l’ardeur intellectuelle que vous lui consacrez. Le véritable danger est ailleurs — et vous le savez pertinemment. Il vous reste surtout à admettre que la problématique haratine n’est plus, et ne sera plus jamais, ce « mur le plus court » que l’on franchit pour éviter les vrais débats.

Le 7  Septembre 2025

MOHAMED DAOUD IMIGINE