Pour tous les observateurs, le profil de notre président est désormais clair…
Pour ma part, depuis le début, je me suis trompé sur quelques articulations psychologiques du personnage en croyant qu’il réussirait partout où Aziz a échoué. Je suis de ses premiers soutiens bien avant que lui-même ne décide de se présenter et ce, à un moment, où il disait à qui voulait l’entendre qu’il soutenait un 3ème mandat d’Aziz. C’est dire combien j’ai cru lire l’avenir…
Pourquoi je me suis trompé ? J’ai d’abord été impressionné par son règne comme chef d’Etat-major général des armées. Une discrétion absolue, aucun scandale alors qu’Aziz les accumulait et surtout la sécurité du pays pendant qu’Aziz passait son temps à voyager. Ensuite en parlant avec tous les gens de bonne foi qui le connaissent, revenait la même description : « un homme cultivé, sans aucun complexe face à l’histoire coloniale, parfaitement bilingue, bon vivant, une force tranquille et surtout un stratège, là où Aziz s’est révélé un cuistre sûr de lui, obsédé par le commandement et ayant un goût maladif pour diviser et régner.
J’ai alors fait campagne pour Ghazaouni face à tous les coups bas que lui-même refusait de reconnaître. Quand les députés, bien partis pour faire voter le changement constitutionnel permettant à Aziz de faire un 3ème mandat, ont été bloqués par un communiqué venant d’Aziz alors en déplacement, j’ai cru que Ghazouani était à la tête d’une révolution de palais chirurgicale en tant que chef ayant depuis longtemps placé ses hommes.
La suite on la connaît : Aziz a dû accepter la candidature de Ghazouani du bout des lèvres sans jamais renoncer à l’humilier par sa présence intempestive à la tribune officielle avec un Ghazouani qui est allé jusqu’à dire un mot de courtisan à propos de la première dame.
Je revois encore les postures de Ghazouani et l’arrogance d’Aziz, j’avais mal pour Ghazouani mais ce n’était qu’un mauvais moment à passer le temps d’être élu mais même pour l’élection, les séquelles de l’azizanie ont réussi à polluer cette élection par un couvre-feu, internet coupé et le Basep dans les rues.
Il fallait avaler cette énième couleuvre et attendre de prendre les rênes du pouvoir…
1er discours et premier gouvernement : coup de tonnerre sur la scène politique azizienne après dix ans à dénigrer et indexer les gens du Trarza en général et ceux de Boutilimit en particulier avec la nomination comme PM d’un Cheikh Sidya à la tête d’un gouvernement où les hratine ne sont plus marginalisés.
Là, on s’est dit : c’est parti… Le changement est lancé mais on avait cru que les paroles de Ghazouani en campagne resteraient un souvenir destiné à tranquilliser le pouvoir à savoir que le nouveau régime serait la continuation du précédent, Aziz en moins…
En cela, Ghazouani a tenu parole comme jamais un politique ou un militaire avant lui quel que soit le pays. Il a tenu parole à 100%.
C’est le même régime, les mêmes têtes qui ont accompagné Aziz dans tous ses forfaits qui motivent une commission d’enquête parlementaire, les mêmes têtes parachutés à des postes en or à la tête des entreprises publiques les plus juteuses.
Même régime sans Aziz. En effet, des choses ont changé, baisse des tensions politiques avec l’opposition, paix armée des clans, tribalisme apaisé et surtout un Ghazouani aussi absent du terrain qu’Aziz fut hyper-présent.
Ghazouani a tenu parole et on le découvre tel qu’il est, ce qui permet de mieux comprendre comment il est devenu président presque par accident.
On découvre un homme qui cherche par tous les moyens à éviter les conflits, à trouver un équilibre même précaire entre des forces jusque-là radicalement opposées, en un mot, l’homme du consensus par excellence.
Mais on réalise aussi que gouverner le pays comme le ferait un dictateur ou un président élu ne semble pas être une passion ou du moins qu’il est trop militaire pour supporter longtemps la gymnastique de la scène publique. Il gouverne comme s’il était encore chef d’Etat-major général des armées, dans son coin, dans son bureau, sans bruit et en paix or il n’est plus à ce poste et là où il est, il faut actuellement tout à fait autre chose sinon il faut craindre ce qui n’est jamais arrivé jusque-là à savoir l’explosion de la grande muette en guerre de clans publique.
Avant lui, depuis 1978, tous les chefs de l’armée qui prenaient le pouvoir accusaient le chef déchu de tous les maux et son régime de toutes les catastrophes nationales, jurant de restaurer la justice et impulser le changement dont rêvent les mauritaniens. Tous l’ont fait sauf Ghazouani…
Ghazouani arrive au pouvoir à la suite d’un régime parmi les plus prédateurs que la Mauritanie a dû endurer. Au-delà de l’appât du gain, le régime azizien a fait mal à l’unité nationale, à l’histoire commune jusqu’à corrompre les dignitaires religieux au risque de faire le jeu des extrémistes qui se disputent les malheureux mauritaniens.
Ghazouani veut hériter de la sympathie des forces qui ont tenu le pays pour Aziz sans avoir la force de les menacer comme Aziz l’a fait pour les tenir et les domestiquer. C’est là où sa politique risque de l’emporter. C’est un exercice impossible quand on n’est pas un chef de guerre, le chef d’un groupe qui prend le pouvoir comme le furent tous les chefs militaires depuis 1978 et dont Aziz fut le plus charismatique au sens qu’il a réussi à imposer à l’armée et aux mauritaniens des choses inimaginables en toute impunité et aujourd’hui encore malgré tous ses ennemis politiques et économiques, il vit tranquille en Mauritanie allant jusqu’à menacer quiconque oserait vouloir le traduire devant la justice de sortir les dossiers qu’il détient sur tout ce monde…
Alors comment Ghazouani a-t-il pu devenir président face à un Aziz lucide dont les seules passions semblent être l’argent et le commandant ? Aziz n’est pas connu pour son goût des conquêtes féminines alors que les mauritaniens en général sont des libertins jusqu’à certains marabouts donneurs de leçon qui reçoivent des coups de poing au sortir de la mosquée venant d’un proche sous prétexte que le marabout refuse d’assumer le fruit d’un mariage de plus…
Ghazouani a pu être président parce que plus personne ne supportait Aziz. Aziz a montré qu’il était capable de tout pour garder le pouvoir, prêt à sacrifier n’importe qui, même un ami, même un fidèle… Tout le monde a fini par avoir peur, plus personne ne se sentait à l’abri autour de lui de subir une fatale décision arbitraire. Aziz était devenu trop puissant, trop riche, trop renseigné avec son génie de la manipulation qui ne dort jamais et ayant toujours un coup d’avance…
Mais ce qu’Aziz n’avait pas prévu c’est qu’il serait lui-même anesthésié par son butin à savoir la peur de le perdre… Ainsi quand il a voulu envoyer ses députés changer la constitution, les têtes de l’armée lui ont fait comprendre que l’armée ne pouvait plus soutenir sa candidature sinon ils risquaient tous quelque chose de plus grave : ce serait l’aventure. Les partenaires militaires étrangers ne voulaient plus d’Aziz, la Mauritanie après lui fut indexée plus que jamais comme pays raciste et esclavagiste, à l’intérieur la moindre étincelle ferait tout exploser face à des richesses minières qui attisent bien des appétits étrangers. Aziz devait partir quitte à revenir ensuite…
Ce n’est que comme ça qu’il a accepté la candidature de l’homme raisonnable que l’essentiel des chefs militaires respecte à savoir Ghazouani en bons termes avec tous nos partenaires du monde entier mais surtout occidentaux et arabes sachant que Ghazouani n’a jamais été l’ami d’Aziz. Ils avaient des rapports de militaires, complices de longue date mais Aziz était le chef, du moins le cheval de bataille peut-être juste par confort de caractère… D’ailleurs, Aziz défendait Ghazouani contre les généraux qui trouvaient qu’il commençait aussi à être très puissant, ayant toute la confiance du seul chef d’Aziz.
La suite on la connaît aussi… Aziz « s’engage » pour Ghazaouni comme s’il était son Sidioca puis sitôt Ghazouani élu, Aziz rentre rappeler qui est le chef et là il découvre que le système ne veut plus de lui. On lui préfère un Ghazouani plus diplomate, ne voulant aucune chasse aux sorcières et ayant même le soutien de l’opposition.
Mais alors pourquoi Ghazouani après son 1er gouvernement choc est devenu si passif ? C’est là un grand mystère et son caractère n’explique pas tout car gouverner c’est passionnant pour sauver un pays depuis longtemps martyrisé. Quelque chose le bloque de l’intérieur, vit-il sous la menace de quelque chose ? C’est probable vu les coups bas qu’il a déjà reçus dont ne peut se remettre qu’un homme sec or Ghazouani est un bon vivant, un marabout de chair et de sang…
Ahmed Ould Soueid Ahmed