Le Calame : dans un discours prononcé à Genève, ou il recevait une médaille du courage, le député Biram Dah Abeid, également président IRA Mauritanie a traité la Mauritanie de pays d’apartheid. Une sortie qui a suscité une levée de boucliers au niveau du pouvoir et sur les réseaux sociaux. Que vous inspire cette sortie et les réactions qu’elle a engendrées ?
Capitaine Breyka Ould M’Bareck : Avant d’enter dans le vif du sujet, je saisis cette occasion pour féliciter le gouvernement du président de la République Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, pour la célérité avec laquelle a été déclarée la guerre au Coronavirus (Covid – 19), je souhaite à tous mes concitoyens une longue vie, beaucoup de prospérité et une bonne santé. Je demande à mes concitoyens d’apporter un soutien concret aux mesures prises par le gouvernement pour endiguer l’évolution de cette pandémie.
Effectivement, je ne partage pas le point de vue de l’honorable député et tous ceux qui qualifient notre cher pays » d’apartheid». Car à l’époque de Botha en Afrique du sud, nul ne pouvait être élu à la députation étant en prison, encore moins se présenter à la magistrature suprême avec une aussi grande facilité.
Bien sûr en Mauritanie, il y a le problème de l’esclavage, ses séquelles et ses pratiques et les problèmes engendrés par les événements 89-90. Mais la persistance de ses problèmes non résolus ne justifie pas sa comparaison aux pays des afrikaners. En effet, la grande majorité de nos concitoyens est victime de la marginalisation, l’exclusion, l’inégalité sociale et l’absence dans les structures économiques et sociales.
Heureusement que dans notre pays, nous fréquentons les mêmes écoles, nous prions dans les mêmes mosquées, nous empruntons les mêmes moyens de transport et nous habitons dans les mêmes quartiers. Nous sommes également présents dans les différents rouages administratifs, législatifs, judicaires et sécuritaires. Ceux qui qualifient le pays d’apartheid doivent présenter des excuses au peuple mauritanien.
Mais cela n’excuse pas la passivité du gouvernement face à la grande souffrance des plus défavorisés des citoyens mauritaniens, je veux dire les haratines. Il doit saisir l’occasion au plus haut niveau de l’Etat pour résoudre le problème de l’esclavage (ce qui en reste), ses séquelles et ses pratiques. Il faut également trouver une solution définitive au problème que pose le Comité des rescapés militaires, des veuves et des orphelins qui continuent à réclamer justice
L’unité nationale continue à alimenter l’actualité politique du pays. L’esclavage ou ses séquelles, d’une part et le passif humanitaire d’autre part constituent de véritables épines dans les souliers du pouvoir. Si certains dénoncent leur marginalisation et leur exclusion, d’autres nient l’existence de problèmes entres les différentes communautés. Trouvez – vous en Ghazouani, des dispositions à régler cette question ?
Je pense sans complaisance et à partir de ma propre expérience que le président de la République Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, de par son éducation, son environnement socio-culturel et sa très grande expérience de chef d’Etat-major général des armées (l’armée étant un microcosme de la nation mauritanienne), au cours de son commandement, il n’y a eu aucun problème, aucun mouvement de mécontentement. C’est pourquoi il est dans de bonnes prédispositions pour trouver des solutions idoines afin de résoudre le problème de l’unité nationale.
– L’esclavage existe encore dans une infime partie de la population car les liens tissés ne favorisent pas la séparation des familles, mais plus graves sont les séquelles et les pratiques esclavagistes.
Cependant il est dans l’intérêt de toutes les victimes de ne pas poser le problème sous forme de revanche vis-à-vis de l’histoire et du peuple, c’est à dire le peuple dont elles-mêmes sont une partie intégrante.
A mon humble avis, résoudre le problème de notre unité nationale impose nécessairement au président de la République de se mettre en premier ligne ; pour cela, il doit adresser une déclaration solennelle pour rassurer les victimes et indiquer au gouvernement à l’administration centrale et territoriale les actions à entreprendre pour favoriser la symbiose entre la population mauritanienne.
Le gouvernement doit également rechercher la performance économique et la justice sociale afin d’assurer aux citoyens mauritaniens dans leurs ensembles les cinq biens premiers (Avoir un logement décent, avoir accès à la santé, avoir accès à l’éducation, bénéficier de la sécurité environnementale, et enfin la sécurité générale).
L’organisation d’un dialogue nationale inclusif, comme l’a su bien dit le président de l’APP, Messaoud Ould Boulkheir dans son dernier meeting, reste l’une des voies les plus sûres, pour résoudre le problème de l’unité nationale
Le mouvement El Hor a célébré son 42éme anniversaire, il y a quelques semaines. Quelle évaluation vous faites du parcours de ce Mouvement créé pour défendre la cause Haratine ?
Hier comme aujourd’hui, on ne doit pas être surpris de ce nouveau concept El Hor. Car il pose un problème d’ordre existentiel, social voire humain, sa finalité était et reste la résolution globale du problème de la composante haratine en Mauritanie. Pour saisir la dimension de la problématique des haratines, il est peut-être grand temps de se pencher sur la réalité de la société mauritanienne.
Notre pays est à tous égards hétérogène. En effet, il se compose de quatre nationalités (Halpular, Sooninkés, Wolofs et une quatrième qui a une spécificité ; je veux dire les maures qui se subdivisent en maures noirs et blancs).
Ces maures noirs appelés communément Haratines, qui, des siècles durant, ont perdu toutes formes d’identités propres ainsi que leur dignité et leur orgueil et toute capacité juridique. Ils ont été abêtis par une dépravation de l’esprit, victimes d’une exploitation matérielle sans commune mesure avecl’esprit du dogme coranique par leurs frères d’Islam.
Cela en dépit de l’adhésion de notre pays à la Charte des droits de l’Homme, aux Nations Unis, à l’Union Africaine, à la ligue Arabe et à la conférence Islamique. La part de responsabilité de l’ex puissance colonisatrice, la France est très grande, plus grande encore est surtout la responsabilité de la communauté Internationale devenue l’alliée objective de cette conspiration du silence autour du cas des Haratines, mêmes les chantres de la négritude brillent par leurs absences.
L’on doit se féliciter aujourd’hui de l’émergence d’une conscience haratine qui vise à leur libération morale, socio-psychologique, économique et culturelle. En somme leur réhabilitation. C’est ainsi que dés 1962, un jeune cadre Haratine Messaoud Ould Boulkheir a initié la grande marche ver l’émancipation et la libération des Haratines.
La coordination des haratines du Nord ( Zouerate, Nouadhibou et Atar) fait le même travail. 16 ans plus tard, 11 cadres haratines rejoignent le président Messaoud Ould Boulkheir pour créer l’Organisation pour l’Emancipation et la libération des Haratines ( El HOR). Un premier document a été diffusé posant le problème haratine dans toutes ses dimensions, mon frère Hartani.
Après le 10 juillet 1978, un deuxième document a été diffusé le 13 juillet 1978, dans lequel Messaoud Ould Boulkheir écrit : ‘’l’étape historique que traverse ton pays est suffisamment préoccupante voire dangereusement explosive pour que tu continues de te taire et de te complaire dans le tragique anonymat que t’impose ta société, car il est des situations où la passivité est un crime impardonnable aussi bien par la nation que par les Haratines.
C’est pourquoi je te convie à t’arrêter un moment pour faire une part de la genèse de ta situation personnelle à travers les soubresauts de la Nation tout entière et d’autre part, te déterminer de manière responsable vis-à-vis de ce qui parait être un nouveau tournant’’.
Donc le mouvement El Hor a été créé le 05 mars 1978, sa Charte détermine les rapports et la place que doivent occuper les Haratines sur l’échiquier national. Il aura fallu l’arrivée au pouvoir du Président Mohamed Khouna Ould Haidalla pour adopter l’ordonnance 81.
234 du 09 novembre 1981, abolissant l’esclavage en Mauritanie, même si cette abolition n’a pas été comprise par les dirigeants d’El Hor, mais elle a permis de relancer une grande dynamique de la marche vers l’émancipation et la libération des haratines.
Une étape historique et une avancée significative pour résoudre le problème de l’esclavage ont vu le jour après l’accord politique entre le président Messaoud Ould Boulkheir et le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi dont les conséquences immédiates ont été l’adoption d’une loi criminalisant l’esclavage, l’entrée importante des cadres haratines au sein du gouvernement et dans l’administration centrale et territoriale.
Ainsi que la reconnaissance des Associations de droits de l’Homme et des centrales syndicales. Ces progrès réalisés dans la résolution des problèmes de l’esclavage ont été parachevés par des décisions adoptées dans le dialogue 2011 particulièrement l’introduction dans la constitution de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Il est donc aisé de constater que depuis la création d’El Hor, la participation des haratines a été effective dans tous les domaines.
Je pense donc que le Mouvement créé le 05 mars 1978 a largement atteint ses objectifs prévus dans sa Charte. Aujourd’hui il appartient aux haratines de se battre démocratiquement pour résoudre le problème de leur marginalisation, de leur exclusion, des inégalités criantes et de leur absence dans le tissu économique et financier. C’est à mon avis la tâche principale de l’Alliance Populaire Progressiste (APP)
Le Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines, va célébrer lui aussi son 6éme anniversaire, le 29 avril prochain. Quelle évaluation vous faites de ce mouvement qui, comme ceux qui l’ont précédé a connu une scission ?
Tout d’abord je tiens à préciser que le Manifeste pour les Droits Politiques, Economiques et Sociaux des Haratines est différent de l’Organisation pour l’émancipation et la libération des Haratines tant dans ses objectifs que son mode opératoire, c’est l’occasion pour rendre un hommage solennel à feu l’ambassadeur Mohamed Said Ould HAMODY, qui pendant toute la période de son office a respecté les fondamentaux du manifeste c’est-à-dire cultiver la concertation entre les différents segments, respecter la formation politique qui a toujours posé le problème des haratines dans toute sa dimension. Qu’il repose en paix.
Personnellement et en tant que membre fondateur du manifeste, j’ai toujours attiré l’attention sur les germes qui ont fini par paralyser son action.
– Faire respecter l’accord tacite qui empêche tout dirigeant de parti politique, d’associations et de centrale syndicale d’être à la tête du manifeste
– Eviter que des adhérents de partis politiques, associations et centrales syndicales ayant adhéré au manifeste n’importent leurs querelles sur la scène du Manifeste
– Organiser la marche du 29 avril pour atteindre les objectifs déterminés.
C’est pourquoi à la veille du prochain anniversaire, les différentes composantes du manifeste doivent enterrer la hache de guerre. Et organiser une concertation afin de définir des objectifs clairs et des modes d’actions pour permettre au manifeste de sortir de sa torpeur pour susciter enfin l’espoir des lendemains meilleurs chez les couches Haratines.
Propos recueillis par Dalay Lam
Source : Le Calame (Mauritanie)