Le nouveau régime et nous / Par Mohamed Ghoulam El Hadj Cheikh, ancien député

Le nouveau régime et nous / Par Mohamed Ghoulam El Hadj Cheikh, ancien députéLe cœur bat et les larmes coulent, de la part de gens bons et de vaillants militants qui sont prompts à prodiguer des conseils au moment opportun et à dresser un bilan à chaque étape, loin de toute médisance, conséquence du mésusage hélas répandu de la propension au conseil.

Le discours « tawassoulien » est empreint de transparence dans l’action, de clarté dans la vie publique, même si d’aucuns tendraient à restreindre ces principes à la gestion des fonds publics et des appareils de l’État, tous autres domaines étant embués de brume et laissés au chaos.

La transparence est une méthode dont l’importance tient au fait que la oumma est, de tous temps, le surveillant suprême et l’opinion publique est le principal juge. Or l’opinion publique renvoie à des sphères :

– l’opinion publique intérieure, c’est-à-dire les adhérents au parti, ses décideurs et ses nombreux militants ;

– il y a aussi l’espace plus vaste de la nation, dans toutes ses nuances et ses secteurs.

Ce projet a été créé pour la nation et le bien-être du peuple. Du coup, il convient de présenter les idées et les orientations à tout le monde, en particulier lors de tournants de l’histoire, d’autant que de telles occasions ne se répètent qu’après de longues périodes et décident de ce qui adviendra ultérieurement. Pour plus de précision, il n’est qu’à méditer la situation des partis démocratiques en Occident.

En effet, ils se sont mués en espaces de diversité au sein de la même formation, comme c’est le cas des principaux partis au Royaume-Uni : les conservateurs (Tories) et les travaillistes (démocrates, Labours).

Il est tout naturel et tout aussi souhaitable que tous expriment ce qu’ils considéreraient comme relevant de l’intérêt supérieur. Il en résulte la diversité des avis au sein d’une même formation. Il n’en est pas autrement pour le Parti de la Justice et du Développement (PJD), au Maroc, si près de nous.

Cela ne signifie pas pour autant la tendance à la dissension, Dieu m’en préserve, mais plutôt l’attachement au souverain bien, au conseil, à l’intérêt mutuel, quoi qu’il n’en soit pas toujours ainsi.

La diversité, une orientation prophétique :

Si nous appréhendons l’orientation prophétique, nous y verrions une bonne sunna (un bienfait) et une voie adéquate. Le Prophète (saw) est soutenu par la révélation divine. Les nobles Compagnons Lui font des suggestions, à Lui, l’administrateur, l’Imam et le Dirigeant, pour discuter avec les idées et privilégier ce à quoi ont abouti ces esprits nobles, de questions au sujets desquelles une révélation ou texte vers lequel les croyants accourraient pour le mettre à exécution.

Les exemples en sont multiples : ce qui advint à Umar bin Al-Khattab (raa) le jour de Bedr au sujet des prisonniers et ce qui advint à Salmane (raa) le jour d’Al-Khandaq (La Tranchée).

Personne ne s’aviserait d’accuser Umar ou Selmane de faire prévaloir leurs avis et leurs idées, pas plus que quiconque ne saurait voir dans la proposition une impertinence à l’égard du prophète (saw). Mais, il s’agit, plutôt, de l’adéquation de l’avis et de l’éclat de la vision que l’injustice envers l’intérêt général n’a pu jeter dans les abysses du silence, dépotoir des occasions perdues.

Voici mon opinion :

Sur la base de tout ce qui précède, et selon ma perception de ce qu’il convient à l’état de la Nation en adéquation avec la position des gens de Tawassoul, dans les sphères intérieures de l’opinion pour ne pas trop nous éloigner, d’autant que pas plus nous-mêmes que les autres ne maîtrisons les choses, je voudrais exprimer mon avis, conformément à mon devoir, en toute sincérité, à l’intention du juge suprême, l’opinion publique, à qui il appartient de décider en dernier ressort. Les fins ultimes sont connues de Dieu Seul.

1- Il va sans dire que l’opinion officielle du parti Tawassoul est celle exprimée par son président, qui fut élu suite à un quasi-consensus, Dr le frère dirigeant Mohamed Mahmoud Seyidi. Partant, il possède toute la légitimité juridique, morale, intellectuelle et politique. Il est loisible de lui trouver plus d’une issue et d’arguments aux orientations émanant tout dernièrement du parti. En définitive, il s’agit d’un parti qui dirige l’opposition et ne supporte en rien la responsabilité de la gestion des affaires de l’État.

En raison des grandes insuffisances et de l’étendue des espérances et de l’importance des attentes escomptées de la part du nouveau régime, de l’attentisme et de l’apathie, constatés, en plus de l’insuffisance de la concertation, il conviendrait de donner des explications et d’éclairer les autres parties sur les obstacles qui se dressent devant l’accélération du rythme des réalisations et des plans d’avenir pour la construction du développement du pays.

Nul n’est besoin de considérer que tout cela fait que l’opposition, du moins ceux qui sont aux premières loges du camp opposant, qui en ont la responsabilité, à la tête desquels le président Mohamed Mahmoud Ould Seyidi, poursuivent la marche selon la trajectoire traditionnelle permise à un parti opposant.

Il y a différence entre l’opposition à une action légitime faite par un parti sur la base d’une analyse réaliste et un conseil visant à la révision de l’orientation et à la prise de conscience de dangers futurs.

La circonscription de la sphère des dangers :

2- Il y a quelques années, lors d’une discussion au sujet des futurs candidats à la l’élection présidentielle de 2019, je disais que le véritable changement n’était pas à portée de main et l’issue de la présidentielle est aux mains de ceux qui sont aux commandes et qu’il nous incombe d’atténuer les dangers futurs, de manière à agir dans l’intérêt général, indépendamment de l’identité du candidat, qu’il soit de l’élite des hauts cadres de l’État ou d’une quelconque personnalité des cercles du pouvoirs.

J’avais écrit un article qui fut publié sur ma page Facebook et par certains sites en date du 19/02/2019, sous le titre: « les élections présidentielles et l’issue des balbutiements ». J’avais exprimé ma perception du candidat national, indépendamment de la sphère politique qui l’aura propulsé.

J’avais également écrit que Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani avait une éducation, une intelligence, une culture et la crainte de Dieu, de sorte qu’il ne commettrait pas d’injustice criante, ce qui le rendrait génétiquement différent, de par ses actes, de tout autre dirigeant impulsif.

Je ne dis pas cela parce que l’homme est doué de qualités qui résument la société mauritanienne. Ce qui en fait un cadre digne de prendre les rênes du pouvoir. Je me suis gardé de le dire de peur que la propension à l’éloge place le dirigeant dans une bulle, pour le sortir de la sphère humaine et le muer, in fine, en un tyran, enfermé dans les remparts de la mégalomanie et du culte de la personnalité.

Je le dis, en revanche, dans le cadre de l’intellection de la psychologie humaine et ce qui, de notoriété, caractérise l’homme : son parcours exemplaire au sein de l’institution militaire, de sorte que sa réputation est largement méritée.

En plus, le réalisme politique commande de prendre de tels paramètres en considération, eu égard au fait prégnant dans notre pays, d’autant que l’autorité militaire y confisque la volonté populaire et utilise les biens de l’État, tout comme son pouvoir coercitif pour faire passer ses desseins. Si bien que les desiderata de la classe politique, si inconstante tendent à opter, en désespoir de cause, pour l’intérêt général.

Mon évaluation :

En vérité, le nouveau président, à mes yeux, n’a pas agi autrement que j’escomptais de sa part, en ce qui concerne la différence d’action par rapport à son prédécesseur, dans la gestion des affaires publiques.

Quand bien même je crédite l’homme de bonnes intentions, il conviendrait de faire preuve de discernement, d’analyser la portée des défis intérieurs et extérieurs, comparativement aux potentialités du pays et aux décisions courageuses et indépendantes, avec une bonne dose de réalisme et d’absence d’ambition dans les résultats escomptés, gage d’évitement de tout conflit d’intérêt.

L’homme ne s’est jamais présenté comme révolutionnaire, pas plus que les forces du changement et du refus ne l’ont porté à la place qu’il occupe. Bien au contraire, il est issu de la bureaucratie, si rétive à toute velléité de changement, si ancrée dans les atavismes conservateurs et les anachronismes séculaires, aux réseaux tentaculaires, avec ses cercles sociaux et politiques, qui tient d’une main de fer les rênes du pouvoir.

Du coup, l’État prend les allures d’une bête domptée, apprêtée.

Il y a, certes, un engagement :

La plus importante décision prise par le président, alors que d’aucuns pariaient tout le contraire, c’est que Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a convaincu les partenaires intérieurs et extérieurs qu’il est et demeure le président et qu’il gère la chose publique et que la décision lui revient. De là provient sa responsabilité, le fait qu’il paie la facture morale et juridique des agissements de l’Etat durant son mandat. C’est ce qu’il a fait très vite et sans perdre du temps.

Pourtant, il aurait pu agir autrement, et se cacher derrière de vains arguments, comme les contraintes, les engagements vis-à-vis de celui qui avait annoncé sa candidature, comme si c’était la sienne propre !

Le vide et les craintes :

De telles intentions ont abouti, pour le nouveau régime en cours de genèse, à un vide stratégique, ce qui l’expose à des cercles influents expérimentés et aptes au chantage. L’affranchissement des chaînes de la morale et des liens, pour vivre ce qui reste à vivre, loin de la logique des projets nationaux, outrepasse les dimensions personnelles pour atteindre les ères et les générations futures.

Par conséquent, il incombe au président et à ceux qui l’aident à scruter l’avenir de la Nation de combler le vide et d’éviter au pays les préjudices de la chicane politique de manière à faire ressentir à tous, et particulièrement les gens sérieux et avertis, qu’ils sont concernés par un projet national véritable, ce qui ne saurait être que si l’État est à tous, un train à l’intention du peuple dont la locomotive est pilotée par le président, avec dextérité et amour, pour que les passagers se sentent en sécurité.

La complémentarité avec l’opposition:

Un devoir et un sentiment analogues nous commandent, à nous, en tant que force opposante, représentée par les partis, en dépit de la diversité de nos préoccupations, de contribuer au climat propice aux rencontres et d’éviter l’errance, les influences extérieures et malveillantes. Loin de toute propension à vouloir tendre la corde vers le pré-carré traditionnel qui use les deux pôles et fait perdurer les antagonismes et les dissensions, en un cercle vicieux interminable.

Je sais pertinemment qu’une telle position n’est pas aisée et ne se justifie pas facilement pour les cercles qui se sustentent des crises, toutefois, je crois en la nécessité de s’efforcer jusqu’au bout de déployer son argumentaire pour ne pas baisser les bras devant les adversaires, fussent-ils chicaniers.

Pour ne pas provoquer l’adversité :

Je présume que le nouveau régime ne s’oriente pas vers une position d’adversité contre nous ou contre qui que ce soit d’autre. Bien au contraire, il y a tout lieu de croire que la normalisation interviendra, tant en ce qui concerne le retour des opposants bannis (les hommes d’affaires et militants en exil à l’étranger) que la levée du gel de leurs biens et la reprise de leurs activités commerciales et industrielles (pour les hommes d’affaires) et de leurs activités tout court pour les autres.

Ce faisant, le nouveau lèvera toutes les injustices pour créer un climat de confiance et faire renaître l’espoir d’une vie politique, économique, sociale et culturelle apaisée.

Certes, la lenteur de telles mesures est quelque peu inquiétant, cependant tous les indicateurs montrent que le régime n’est pas en faveur de la poursuite de ces injustices et encore moins de les augmenter.

Dans un contexte intérieur et extérieur marqué par la multiplicité de leurs adversaires, les islamistes seraient bien inspirés de s’évertuer à renforcer l’espoir, à en élargir le champ, de manière à que la société, dans sa diversité, s’en fasse l’écho.

Les islamistes gagneraient à peser le pour et le contre avant tout acte. Car, au sein de tout régime, il existe un courant qui tendrait à la confrontation, à la lutte, à l’extirpation, quelles qu’en soient les conséquences et les justices qui en découleraient.

Dans le même temps, tout régime comporte aussi un courant qui tendrait à l’apaisement, au calme, à la sérénité, conscient des conséquences néfastes de l’injustice et prompt à éviter tout ce qui est susceptible de provoquer des crises superflues.

Ces deux courants se donnent à cœur joie en accueillant tout ce qui émane de nous, que ce soit dans la propension au conseil dans le sens de la surenchère et de l’injustice à notre encontre ou du dialogue et de la réparation des préjudices.

Économie de précipitation :

Par conséquent, je pense – Allah est Omniscient – que nous avons obligation à l’époque actuelle de faire économie de précipitation dans le discours opposant sérieux, de nous baser sur les bonnes actions et de les apprécier à leur juste valeur, de porter conseil par rapport aux insuffisances et aux lacunes, le tout dans un langage approprié à nos spécificités morales et référentielles, loin de toute indécence, en cas de satisfaction et d’offenses en cas de colère.

Tel est mon avis, tant que nous ne constaterons guère d’abus, de gabegie et de ciblage des adversaires politiques dans les décisions de l’État‏‪ ‬‬‬et les orientations du régime.

Auquel cas, notre position serait manifeste, car la gabegie et le ciblage des adversaires politiques sont tout à fait contraires aux engagements pris par le régime de façon solennelle face au peuple.

Nous voilà revenus au combat sérieux, « moi qui suis si habitué aux fléaux », comme disait Al-Mutanabbi « Jusqu’à ce que je l’aie laissée dire : La mort est-elle morte ou la terreur a-t-elle été terrifiée ? ».

Nul enchérisseur ne nous accuserait alors d’avoir fait perdre l’occasion à la Nation et d’avoir créé un climat de confrontation. Bien au contraire, nous écririons de nouvelles pages de l’honneur de défendre ce à quoi croyons et nous serions compris. Le peuple verrait notre sagesse, notre combat et notre résistance, autant d’idéaux dont il est fait usage à bon escient.

La conclusion, c’est que la diversité est bonne :

En définitive, Je ne saurais accepter de la part de certains frères et collègues de brandir l’étendard de la cohésion et de l’isolement pour tuer les idées et éloigner les opinions.

De même, il ne conviendrait pas de considérer cet article comme une d’émiettement ou de torpillage de qui que ce soit, expression de l’épuisement de la lutte pour en payer la facture échue.

Encore une fois, ce n’est qu’un conseil et l’usage de la réflexion, en-dehors du pré-carré qui ne devrait guère se restreindre et éviter la réflexion, la discussion, la différence et la complémentarité.

[ ] – Et puis, la recherche de la meilleure voie et de la position idoine, pour la Nation et le projet, est chose louable et une tâche importante. Il convient d’y réfléchir et de conseiller en cette matière.

On ne saurait me dire que j’avais sciemment omis l’étiquette politique identifiant le parti, et partant, j’aurais dû disparaître ; ce à quoi, je réponds que je n’ai pas pris d’engagement, envers qui que ce soit, de quitter la vie publique, ni de me départir du combat. Si cela nous était écrit, nous mènerions notre combat avec honneur et sérieux, témoins de notre passage ici-bas.

Allah nous guide vers le droit chemin.

Mohamed Ghoulam El Hadj Cheikh

Ancien député

Traduction de Med Yahya Abdel Wedoud

Source : Med Yahya Abdel Wedoud