La journée nationale « contre » l’esclavage, consacrée le 6 mars de chaque année par le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz, visait, à l’origine, la mise en accusation de la mouvance abolitionniste. Il s’agissait d’une opération de communication de crise, destinée à semer le doute dans l’opinion, pour mieux confondre la lutte et décrédibiliser les militants.
Au fil de ses séquences, l’évènement se réduisait à une fête austère, loin des espaces de rassemblement et de résidence des groupes dominants. La parodie devait produire l’illusion d’un pays de droit où aucune entité ethnique n’échappe aux séquelles de la servitude de naissance.
En somme, il fallait dissocier l’inégalité héritée, le racisme, voire enserrer ces pratiques dans une grille de causalité économique, loin de tout déterminisme selon la race ou la généalogie.
Depuis l’essor du mouvement de revendication des droits civiques au milieu des années 1990, la ligne n’a pas varié, malgré l’alternance de façade au sommet de l’Etat. Jusqu’aujourd’hui, elle oscille, de bricolage en tâtonnement, entre déni, falsification et frénésie législative, aux fins de vider, notre histoire, de son contentieux.
La trouvaille
Au titre de la contrefaçon et de l’opportunisme caractéristiques d’une gouvernance de l’instant – sans vision ni ambition – la communauté Soninké devient le terrain d’expérimentation des politiques publiques en matière de réduction des hiérarchies d’antan.
Ici, le choix de la région du Guidimakha et de son chef-lieu Sélibaby, prouverait la dimension non racialiste de l’esclavage ; ainsi la configuration globale de l’hégémonie et l’ethnicité de son ancrage à tous les niveaux du pouvoir d’Etat, se diluent dans un tableau indifférencié du sous-développement où, in fine, s’effaceraient les considérations de supériorité, de généalogie et d’oppression, pourtant legs de plusieurs siècles en Mauritanie.
L’assertion frauduleuse voudrait restreindre le champ de l’exploitation de l’homme par l’homme à sa seule expression parmi les noirs subsahariens.
Le choix du Guidimakha s’avère d’autant plus commode que la dénonciation du mépris de castes et la demande d’équité s’y manifestent, désormais, avec force et impatience légitime.
Sur le reste du territoire, l’État tient à rassurer les auteurs du crime imprescriptible et les bénéficiaires des privilèges qui en découlent.
Grace à la comparaison cynique aux Soninkoh, la thèse officieuse offre, aux autres mauritaniens, la faculté d’esquiver le questionnement sur les entraves à la citoyenneté.
Le décor
A cause de l’indisponibilité à s’engager, avec les activistes et les victimes de ségrégation multidimensionnelle, dans un échange de franchise et de disponibilité à la recherche de solutions, le pouvoir s’obstine à vouloir les disqualifier, cependant en vain.
Depuis la dictature de Ould Taya, la logique de l’adversité et le délire du complot extérieur façonnent et figent la posture défensive des institutions en charge de promouvoir la cohésion et la paix.
Le Commissariat aux droits de l’Homme et la Commission éponyme créent et financent encore des ersatz d’organisations de la société civile et vont livrer, à Genève, de laborieuses escarmouches de tranchée, pour obtenir une concession d’écriture, une marge de ponctuation ; à force de d’arracher des trêves de durée variable, le système, si mal servi de l’intérieur, confond atténuation du constat et victoire de sa diplomatie.
La fuite en avant résulte, surtout, de la médiocrité du personnel intermédiaire et subalterne, de ses lacunes et du conditionnement d’une société au sein de laquelle la schizophrénie alimente la mentalité de l’encerclement.
La moindre contestation de la gouvernance et des injustices endogènes provoque l’occasion de crier à la conspiration ourdie par les ennemis de l’Islam et de l’arabité, deux notions d’usage mécanique quand la vérité assiège la Mauritanie et en dévoile les misères. Soudain, la Mauritanie, en vertu de son importance stratégique, susciterait une somme de convoitise et d’inimité qui prête à sourire.
Le réflexe
La déformation puis l’occultation des affaires d’esclavage sur les mineurs, Ghaya Maiga et Beibbeu Ould Cheikh, démontrent combien l’administration territoriale et l’appareil de justice peuvent inoculer du mensonge, en un temps record, simplement par instinct.
Or, les deux situations datent de la période ultérieure à l’élection de Mohamed Ould Cheikh Ghazouani. A supposer l’indépendance des juges, le ministère de tutelle et le conseil suprême de la magistrature disposent de prérogatives de sanction, face à des suspicions légitimes de parti-pris, de bavure ou de conflit d’intérêt.
Le principal obstacle réside dans la formation des fonctionnaires du prétoire, en l’occurrence leur socialisation sous le sceau de la tribu et de l’extrémisme religieux.
Même la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh), en dépit de débuts prometteurs dès le départ de l’ancienne présidente, s’est remise à distiller, aux instances des Nations unies, des rapports de relativisation/dénégation des cas d’esclavage soulevés en Mauritanie.
Pire, les média publics n’hésitent à filmer des scènes de retournement spectaculaire où la victime, en présence de ses bourreaux, vient démentir son récit initial et imputer, aux lanceurs d’alerte, la fabrication du faux.
Pour traiter le dossier de Beibeu, la fameuse Cndh, toujours rétrogradée du fait de son zèle à défendre les thèses et le bilan du gouvernement précédent, déléguait, sur place, son Secrétaire général, Mohamed Ould Brahim, détenteur d’agrément de l’une de ces associations fictives qui viennent à la rescousse de l’Etat, lors des rencontres internationales.
Les circonstances de telles ententes relèvent du secret et nul audit ne semble remettre en question l’opacité de cette industrie.
D’ailleurs, au lieu de favoriser la transparence et d’ouvrir les frontières, les autorités successives traitent, d’emblée en ennemi, les chercheurs, journalistes et autres spéculateurs abonnés à l’approximation ; les services de sécurité recourent spontanément à l’expulsion et abusent de menaces contre les étrangers en quête de témoignage ou porteurs de projets d’émancipation. Certains ont quitté le pays, résolus à ne plus revenir.
Que faire ?
Ira-Mauritanie réitère, encore une fois, la main tendue aux dirigeants de la république islamique de Mauritanie, pour démystifier, ensemble et sans tabou, les enjeux domestiques de la stabilité et de la sécurité, notamment le chapitre des droits de la personne et son corollaire empirique, l’impunité. Comme nous aimons à le rappeler, la paix a son prix, un tarif universel qui s’appelle l’égalité, ici et maintenant.
Toute nation qui négocie ou ignore l’évidence du postulat finit par le payer cher. Alors, pourquoi s’obstiner à mener une bataille perdue d’avance ? Pourquoi tant craindre la confrontation au réel ?
Initiative de résurgence abolitionniste en Mauritanie (Ira-M)
Nouakchott, le 9 mars 2020