Calculs cyniques
Parlons donc sans tabous ! D’où vient ce statu quo qui a empêché toute évolution sociale ? Les non-dits, la survivance de pratiques que l’on n’ose dénoncer et le calcul cynique de personnalités de tous bords — du pouvoir comme de l’opposition, intellectuelles ou pas — ont mené le pays à la situation actuelle où les mœurs ont été figées dans un monde globalisé où l’on compare aisément les changements survenus ici et là.
Le peuple mauritanien, bienveillant et tolérant, aurait accepté sans problème que les autorités gomment une stratification sociale gravée au nom de traditions et que rien ne justifie. La société est solidaire dans la vie, elle le sera certainement davantage si on lui demandait de délaisser sa différenciation sur des critères que ni la religion, ni le droit, ni la Constitution ne tolèrent.
Descendants d’esclaves, forgerons, négro-mauritaniens, arabo-berbères, il était facile, par des actes forts, par le haut et surtout par l’éducation d’éclairer sur une classification abjecte et infondée, et de cimenter une société prompte à délaisser des habitudes d’un autre âge. Mais il n’est pas trop tard.
« Tordre le cou à des préjugés injustifiables »
Les familles sont de plus en plus mixtes. Les mariages inter-communautaires et inter-castes ont toujours existé et sont de plus en plus nombreux. L’éveil est là et la société a changé. Viscéralement pacifiques et bienveillantes, toutes les composantes de la société mauritanienne n’exigent que leur bon droit à vivre dignement.
Les pouvoirs qui se sont succédés depuis l’indépendance du pays n’ont rien fait pour gommer les inégalités
Les pouvoirs qui se sont succédés depuis l’indépendance du pays n’ont rien fait pour gommer les inégalités, tordre le cou à des préjugés injustifiables stipulant depuis toujours que des citoyens sont inférieurs à d’autres.
Ils ont parfois joué avec le feu notamment dans un paroxysme de cynisme dans deux épisodes malheureux, en 1966 et en 1989, que tous se remémorent quand la Mauritanie était arrivée au bord de la guerre civile.
Une évolution sociale en Mauritanie est impérative. Reconnaître la dignité de chacun est un acte évident qui aurait dû faire partie des premiers pas du nouveau président, Mohamed Ould Ghazouani.
Le bien-être économique, le recul de la pauvreté dans le pays salué par les institutions internationales et mis en avant par les autorités actuelles et précédentes ne peut être servi à des populations si celles-ci n’étaient pas remises dans leur dignité. Sur cette question, un principe de base devrait guider l’action du président actuel : toujours écouter la souffrance du faible, de celui qui se sent injustement traité quelle qu’en soit la cause.
Pour une Mauritanie unie, sans castes
J’ai confiance en mon pays. J’ai confiance en la résilience de son peuple. J’ai applaudi le dialogue nouveau initié par le candidat Mohamed Ould Ghazouani et qu’il a tant mis en avant pendant sa campagne électorale. Mais plus de six mois après son investiture, la Mauritanie attend toujours des changements fondamentaux sur la question ethnique et sociale.
Une évolution sociale de la société mauritanienne et sa transformation en un peuple uni, sans castes et sans différenciation entre arabe-berbères et négro-mauritaniens, est à portée de main. Il suffirait de l’entamer dans un cadre de vérité et de réconciliation. Mais sans attendre.
Dans un texte adressé au président Mohamed Ould Ghazouani, Moktar Gaouad, journaliste et ancien haut cadre à la BAD, revient sur les impératifs d’une évolution sociale en Mauritanie.
La Mauritanie est-elle un pays où chaque citoyen pourrait se dire qu’il a les mêmes chances d’avoir une vie décente, qu’il lui est garanti d’être l’égal de ses concitoyens et qu’aucune manœuvre étatique n’a été délibérément enclenchée contre lui pour le priver de ses droits ?
Cette question existentielle s’est posée tout au long de l’histoire de ce pays multi-ethnique et se pose avec encore plus d’acuité aujourd’hui. Plus que la question du développement, celle sur l’identité et la stratification sociale taraude davantage un peuple qui, si on n’y prend garde, est aujourd’hui au bord de la rupture.