RAPPORT DU CRAN SUR LA MAURITANIE

MAURITANIE NAISSANCE D’UNE NATION.

L’histoire des nations se bâtit souvent sur des faits qui ressemblent à des contes. Ainsi si vous allez en Mauritanie, vous ne pourrez pas échapper à cette anecdote que tout le monde vous racontera avec un sourire. Le premier conseil de gouvernement mauritanien s’est tenu sous une tente. Le fait est tellement emblématique de l’histoire de la Mauritanie que jusque dans les bureaux de l’ambassade de France, l’ancienne puissance tutélaire, vous verrez une photo qui illustre cet événement. N’allez pas croire que c’était une fantaisie due aux traditions de ce peuple nomade. C’est tout simplement parce qu’en 1957, après de longues décennies de colonisation, quand se déroule cette cérémonie fondatrice, il ne se trouvait pratiquement aucun bâtiment digne de ce nom sur l’ensemble du territoire.

La République Islamique de Mauritanie est une grande étendue de terre désertique – plus d’un million de kilomètres carrés -, très peu peuplée – un peu plus de trois millions d’habitants – avec une densité de trois habitants au km2. Elle s’adosse sur une série de nations dont elle semble être le rebut que les unes et les autres pouvaient lâcher sans grand regret. Il n’est pas jusqu’au nom de ce pays qui n’en reflète la particularité. Certains Etats doivent leur nom à leur  situation  géographique.  On  peut  citer  la  Centrafrique  ou  encore  l’Afrique  du  Sud. D’autres ont hérité de noms d’empires prestigieux dont ils occupent le territoire ou qu’ils ont choisi,  le Ghana,  le Bénin,  le Mali.  Le  Burkina Faso  a abandonné le nom hérité de la colonisation – Haute-Volta – pour se doter d’une appellation comme un programme. Le Cameroun doit le sien à un fait-divers historique, qui a interpellé les «découvreurs» portugais, le pays de la rivière des crevettes – camaroes. Même si l’origine de son nom remonte à l’ère romaine, la Mauritanie le doit aux peuplades qui en occupaient symboliquement le territoire. Mauritanie, pays des Maures.

Certains Africains n’hésitent pas à regretter la période coloniale. À les entendre, les systèmes scolaire et sanitaire auraient été de bien meilleure qualité par rapport à la réalité actuelle. Un grand homme français disait un jour : « J’entends bien que certains affirment que l’éducation et la santé aient été de bonne qualité pendant la colonisation. Mais le problème, c’est qu’il n’y avait ni école, ni hôpital. » Il se référait au taux de scolarisation et au système de soins de cette époque, plus que médiocre si on les compare à ceux qui existaient en métropole et à l’effort consenti par les jeunes nations depuis les indépendances, devant une démographie parfois quatre à cinq fois supérieure à celle de la période coloniale. Si dans la quasi totalité de ces pays, l’éducation de base couvre presque tout le territoire, pendant l’ère coloniale, elle ne satisfaisait pas un dixième des besoins. La Mauritanie est certainement l’un des pays qui illustre le plus cette situation. Dès lors, on ne peut que commencer par apprécier le chemin parcouru dans ce pays désertique, sans véritable richesse naturelle autre que l’énergie de sa population.

À cet aspect déjà bien pénalisant pour le développement social – un départ de presque rien – il convient d’ajouter d’autres facteurs hérités d’un découpage plus que fantaisiste, de ces découpages dont Senghor disait qu’ils avaient été faits « à la règle, à l’équerre et au compas», sans aucune logique de quelque type que ce soit, ni ethnique, ni historique. La Mauritanie apparaît donc comme un regroupement de peuples bien divers, berbères, soninkés, peuls, wolofs… De tous ces groupes si différents culturellement, il incombait au jeune Etat de faire une nation.

Pour des raisons plus ou moins objectives, mais de manière assez simpliste, beaucoup d’observateurs ont segmenté cette diversité ethnique en deux entités : les Maures blancs et les Négro Mauritaniens. La situation est évidemment beaucoup plus complexe. Cette ligne de démarcation arbitraire a nourri les imaginaires les plus féconds. Les uns et les autres ont surfé sur cette vague pour poursuivre des intérêts qui mettent à mal le travail de cohésion sociale et d’édification de la nation mauritanienne. Des hommes politiques l’ont parfois exploité jusqu’à l’absurde, organisant la déportation de ceux qui à leurs yeux n’étaient pas les bons citoyens. Des acteurs de la société civile n’ont pas été en reste, notamment sur les thèmes de la race et de l’esclavagisme.

L’esclavage est une réalité qui existait parmi les populations africaines, bien avant la traite transatlantique. Il y a eu aussi la traite transaharienne organisée par les nations arabes. En Mauritanie, l’instrumentalisation de la division de la société en Noirs et Blancs, a servi de base au débat sur l’esclavagisme. Globalement, on parle souvent des Maures « blancs » qui auraient asservi les Maures noirs, les haratines. Cette simplification était très «vendable» car elle reprenait le schéma des autres systèmes esclavagistes – transaharien et transatlantique – où le Noir et le Blanc étaient déjà mis en scène. Mais de l’avis de tous, la situation est bien plus complexe en Mauritanie.

Le  CRAN,  conseil  représentatif  des  associations  noires  de  France,  est  un  collectif  qui s’engage pour la dignité des populations noires. Il ne pouvait pas ne pas être interpellé par ce qui se dit sur la Mauritanie. Il a rencontré des associations mauritaniennes de lutte contre l’esclavagisme. Puis désireux d’entendre le son de cloche des autorités, il a pris contact avec elles. Elles l’ont chaleureusement invité à venir voir sur place, la réalité du terrain et le travail réalisé par toutes les parties, le gouvernement, les associations, les religieux. Cette invitation a débouché  sur  la  visite  du  CRAN  en  Mauritanie,  visite  qui s’est  effectuée  du  23  au  26 septembre 2013.

Cette visite s’est arrêtée à Nouakchott. La délégation n’a pas eu le temps d’aller dans le monde rural. Néanmoins, s’il est évident qu’en si peu de temps, l’on ne peut pas prétendre avoir tout vu, il est certain que les rencontres avec les uns et les autres, jusqu’à la disponibilité du chef de l’Etat lui-même, la liberté totale qu’ils avaient sur le choix de leurs interlocuteurs, le consensus de tous sur certains éléments, ces facteurs permettent de se faire une idée dont on peut penser qu’elle reflète la réalité du terrain.

Le CRAN remercie tous ceux qui ont rendu cette visite possible et utile, au premier rang desquels, le chef de l’Etat et le gouvernement mauritaniens.  La première journée, le 23 septembre, a été consacrée au voyage et à l’installation. Puis le reste du séjour de trois jours a été l’occasion d’une série de rencontres dont le présent rapport donne le compte-rendu.

GENÈSE DE L’INTÉRÊT DU CRAN

En fin d’année 2012, le Cran a été approché par quelques ONG mauritaniennes dont les objectifs statutaires sont d’œuvrer contre l’esclavage et  ses séquelles dans leur pays. Elle sollicitaient le soutien du CRAN dans leurs démarches.

Aux regards des informations fournies par ces ONG, le Cran a adressé un courrier à l’ambassadeur de la Mauritanie en France afin d’aborder la question. Puis toujours en lien avec ces ONG, le Cran a publié une tribune concernant l’esclavage en Mauritanie. La publication de cette tribune a suscité un dialogue entre le Cran et les autorités mauritaniennes, qui ont invité l’ONG à se rendre en Mauritanie afin de constater les faits par elle-même.

La délégation du Cran était composée de quatre personnes :

Louis-Georges TIN,  président du Cran,

Guy Samuel NYOUMSI, vice-président du Cran,

Norbert TRICAUD, avocat du Cran

Adrien ROGISSART, chargé de relations publiques du Cran.
MARDI 24 SEPTEMBRE 2013

10 heures : Rencontre avec les membres du Commissariat des Droits de l’Homme. Présents : Commissaire adjoint, de nombreux conseillers aux Droits de l’homme
Rôle du commissariat. Il a en charge de veiller au respect des Droits de l’Homme.  Il appartient à la société civile et a un rôle humanitaire. C’est l’Organe exécutif de la promotion et la défense des Droits de l’Homme.

Entretien.

Quelles  séquelles  de  l’esclavage ?  La  Mauritanie  est  un  pays  musulman  composé  de différentes communautés. La majorité de la population est arabophone. On peut dire aujourd’hui qu’il existe ceux que l’on appelle encore les anciens esclaves, mais on ne peut plus parler d’esclavagisme, l’islam l’interdit, les lois civiles du pays l’interdisent. Il a été déclaré  crime contre l’humanité. Les séquelles persistent, qui sont essentiellement dues aux retards de développement. Avec le développement et l’éducation et plus de projets socio- économiques, les séquelles vont se résorber. Il n’y a pas de pratiques esclavagistes : les Mauritaniens sont égaux devant la loi. Il n’y a même pas de racisme. Tout le monde fréquente les mêmes mosquées, les mêmes écoles. Toutes les couches sociales sont enterrées dans les mêmes cimetières. Cette dernière observation est importante quand on sait que la séparation des lieux de sépulture est l’un des piliers des systèmes discriminatoires.

Quelles  actions  contre  esclavage ?  Il  y  a des  actions  économiques  dans  les  poches  de pauvreté qui s’apparenteraient à de la discrimination positive, avec la promotion des AGR (Activité génératrice de revenus). Il y a eu des actions sociales à travers la création des cantines scolaires, des écoles, des points de santé.

Comment  identifiez-vous  les  enfants  issus  des  familles  d’ex  esclaves ?  Il  n’y  a  pas d’élément d’identification des enfants puisque l’école est commune. Il n’y a pas de discrimination à l’école. Avant les années 1980, l’Etat prenait tout en charge avec l’attribution des bourses. Les restrictions budgétaires ont fait reculer l’investissement scolaire. Dispositif central : les cantines scolaires, surtout dans les coins reculés. Il y a une zone qui joue le rôle de zone d’expérimentation des dispositifs. C’est la zone dite triangle de l’espoir (ex triangle de la pauvreté), au centre du pays. On y introduit des infrastructures nouvelles pour soutenir les familles pauvres. Le développement de l’éducation agit beaucoup aussi.

La  loi  pour  abolir  l’esclavage  a-t-elle  rencontré   des  résistances ?  L’évolution  socio- économique   s’accompagne   d’une   évolution   des   mentalités.   La   charia   interdit   aussi l’esclavage. Mais l’esclavage est un commerce : donc certains ont résisté. Dans les poches de pauvreté, il y a des résistances. Mais il y a aussi des gens qui entretiennent perfidement une certaine confusion, en assimilant le travail domestique à l’esclavage. Les Mauritaniens sont égaux devant Dieu et devant les lois

Les poches de résistance que l’on peut observer sont dues à la pauvreté. Le problème est économique. Avec le développement qui est promu, les gens prendront leur indépendance et leur liberté. L’Etat fixe un cadre juridique. Dès l’indépendance, la loi a entrepris d’abolir l’esclavage. Des lois et des ordonnances se sont succédé pour aller toujours plus loin dans ce sens. La législation ne suffit pas à elle seule pour que les gens recouvrent leur dignité. Alors, l’Etat mène des politiques, met en place des programmes incluant une dose de discrimin ation positivement.

Comment on les identifie ? Il n’y a pas de recensement des personnes. Dans les coins reculés, les anciens esclaves vivent ensemble dans des villages précis avec l’école au cœur du village. On mène des programmes d’insertion par l’emploi, l’école. Les organisations de la société civile sont mobilisées. Il y a des procès.

S’il est vrai qu’il y a des séquelles de l’esclavage et même des cas avérés d’esclavage, le vrai problème aujourd’hui se situe dans l’instrumentalisation de cette situation par des associations qui trouvent une audience en Occident. En voici un exemple. La prise en charge des enfants de familles pauvres est courante en Afrique. C’est comme de l’entraide sociale. Nous sommes dans une société traditionnelle. Il y a donc l’exemple d’un enfant dont les parents sont morts. Le reste de la famille était trop pauvre. Une autre famille l’a recueilli, emmené à l’école coranique. L’école privée était trop chère. Donc la famille ne l’a pas mis en esclavage. Mais il y a eu une plainte par une association. La police est intervenue. On a bien vu que ce n’était pas de l’esclavage. Par la suite, cette famille ne voulant plus être stigmatisée, a rejeté l’enfant. On a fait de ce cas d’aide sociale un cas d’esclavage. On peut donner un enfant pour qu’il soit scolarisé. Il y a des abus. Allez donc dans les rues et observez par vous-mêmes. Les enfants des rues sont plus Toucouleurs que haratines.  Cette situation déplorable existe dans d’autres pays d’Afrique.

L’Etat en est conscient, il y a du travail à faire pour assurer un développement économique et social, seul gage pour la fin des séquelles. Mais l’ambition de l’Etat est claire : créer une société égalitaire. Petit à petit, nous nous développons.

Quelle est la plus belle réussite ? Quelle est la plus grande difficulté ? L’évolution des mentalités, c’est le plus difficile. Certaines organisations de la société civile en font un fonds de commerce. Nous avons défendu notre dossier devant le conseil des Droits de l’Homme à Genève. Nous sommes membres de ce conseil. Nous n’avons rien à cacher. Quelques points peuvent être améliorés. Nous y travaillons.

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12 heures : Entretien avec Monsieur Hamdi Ould MAHJOUD – Directeur général de l’Agence TADAMOUN

Le Directeur général de l’agence est un avocat, ancien ministre de la communication. Sa nomination récente à la tête de l’agence TADAMOUN, dit-il, exprime l’intérêt que le chef de l’Etat manifeste pour l’insertion des populations démunies, la lutte contre les séquelles de
l’esclavage, la pauvreté.

Entretien :

Séquelles de l’esclavage ? Il est un fait, c’est que l’esclavage n’existe plus en Mauritanie. Il n’est plus admis par l’Etat. Vous connaissez le sens du mot séquelle. Je sors d’un entretien avec le département d’Etat. Aux Etats Unis d’Amérique, Il y a plus de noirs en prison, plus de pauvres qui sont noirs. C’est la même chose en Afrique du Sud. Les séquelles sont donc de deux catégories. Quand il y a des cas avérés de transgression de la loi, nous entamons le combat juridique. L’agence peut les poursuivre comme partie civile. L’agence bénéficie du statut de partie civile. Elle peut donc poursuivre le procès même si la victime abandonne les poursuites. C’est le premier signal fort. L’Etat n’accepte ni l’esclavage ni les pratiques esclavagistes.

Mais il y a ce que l’Histoire a laissé dans les domaines de l’éducation, la propriété, la santé. Les services publics sont en retard. L’Agence se bat aussi sur le front de la lutte contre la pauvreté. Nous avons visité les régions de Mauritanie. On a repéré les poches de pauvreté. J’ai été très clair : endroits reculés, mais pas d’esclavage ou de pratiques esclavagistes. Nous assurons le relais par les médias. Les gens doivent comprendre que c’est une page tournée. Mais   comment   on   accompagne   les   anciens   esclaves ?   D’autres   ministères   le   font développement rural, santé, pèche, etc.

L’agence existe depuis cinq mois. Nous avons mis en œuvre un plan d’action pour dès octobre.  Avec  la  pluie,  il  y  a  des  difficultés  d’accès.  Nous  allons  commencer  le développement d’écoles, de dispensaires, de barrages, dans le monde rural. Nous allons aussi moderniser les moyens de production pour accroître le revenu des gens. Les gens vivent dans des conditions difficiles avec moyens rudimentaires. Alors, ils recourent au travail des enfants qui ne vont pas à l’école. Donc modernisation pour que les paysans n’aient pas besoin de faire travailler les enfants.

Le lancement se fera en octobre, intervention rapide dans neuf régions de Mauritanie. Il s’agit d’améliorer les moyens de production (motorisation). Assurer des formations pour une meilleure exploitation de la terre, augmenter de la fréquence des cultures. Nécessité d’aménagement de  digues, de mares. La pêche est possible aussi. Augmenter les capacités de captage. Accroître les revenus : fours, moulins à grain, ateliers de tissage pour les femmes. Accroître la production. Et cela ne concerne pas que les personnes issues de l’esclavage, l’enjeu c’est le développement.

Agence de lutte contre les séquelles : partie civile. Est-ce que le commissariat des Droits de l’Homme peut se constituer partie civile ? Avez-vous des exemples de procès ? Depuis cinq mois, il n’y a pas un cas signalé. Dans la région de Néma (frontière Mali), une dame était censée être une esclave. Mais elle est revenu sur ses déclarations. Le supposé maître était pour elle « comme un frère ». Pas contraintes donc pas d’esclavage… C’est le seul cas soumis à l’agence. Nous assistons les cas avérés d’esclavage.

Existent-ils des programmes de réparations ? Je ne suis pas au courant. Grâce à la première loi de 1981, comme avocat, j’ai défendu les premiers groupes d’abolitionnistes. En 2007, il y a eu une loi bien meilleure encore. L’évolution sociale est normale.

Comment pourrait-on aujourd’hui lutter contre les séquelles ? Il faut agir sur la pauvreté, sur tous les plans, santé, éducation, aide au développement rural. Mes visites me montrent que c’est à notre portée. Il y a des projets structurants dans les zones de pauvreté notamment dans le triangle de la pauvreté (triangle de l’espoir pour le gouvernement). Le premier problème, c’est l’eau. L’eau va venir depuis un barrage sur le fleuve Sénégal pour 500 villages. Deux routes vont être construites. L’accès à l’électricité va être étendu. Les régions vont participer à la production. La première chose que les villageois demandent, c’est l’eau. L’eau est rare. Le ministère de l’hydraulique est très actif. Les transports vont aussi être améliorés pour l’acheminement  des  marchandises  et  des  populations.  Il  faut  écouler  les  productions. Mauvaise adaptation des matériels. Les techniques nouvelles sont à développer.

Quel est l’impact des freins psychologiques ? Il faut montrer que les anciens esclaves sont des combattants de la liberté. Que faites-vous en matière symbolique ? La situation est différente, par exemple, de la Martinique. Les esclaves ont joué un rôle fort dans l’histoire de la Mauritanie. De plus en plus d’émissions et de débats mettent en valeur le rôle des esclaves et des anciens esclaves. Aujourd’hui, il est admis que l’esclavage est inacceptable. Situation de la Mauritanie : influence forte du Sud de l’Afrique. Proximité avec le Sénégal et le Mali. Moins du Maghreb. Notre propre réalité doit être prise en compte, structuration sociale particulière. Influence bambara : par exemple caste des griots. Il est accepté que l’esclavage, c’est fini. Il y a une musique, le « gospel » des esclaves , le Medh.

Quelles relations avec la société civile ? Très bonnes. Nous avons trois membres  de la société civile dans notre Conseil d’Administration.

Quelles sont vos coopérations avec des ONG internationales ou avec des organismes internationaux ?  L’Agence  est  de  création  récente.  La  représentante  du  PNUD m’a  dit qu’elle voulait me voir pour étudier les possibilités de collaboration. Il en va de même avec les autres bureaux des Nations Unies, du HCR, quelques ambassades et la Banque Mondiale.

Que peut-on faire pour vous ? J’en parlais avec le département d’Etat américain. Il y a un problème d’image. Image trop simplifiée. On ne veut pas voir la complexité  des situations. L’esclavagisme a existé, mais personne ne voit l’évolution. Certains hauts dignitaires sont des descendants d’esclaves. Ce sont des signes forts. La société a changé. On ne perçoit pas ces améliorations. On a besoin que les Européens et Américains constatent les évolutions. Aujourd’hui, personne en Mauritanie n’est poursuivi pour délit d’opinion. Les délits de presse n’existent plus. Le monde est trop rapide, et on ne voit pas les évolutions qui ne peuvent qu’être lentes puisque l’on travaille aussi sur des mentalités.

Les différentes lois pour lutter contre l’esclavage ? Quelles améliorations ? Celle de 1981 préconisait l’indemnisation des maîtres. C’est n’importe quoi. Loi entachée dès le départ. Après le procès de 1979, c’était les premiers abolitionnistes. La loi n’était pas suffisante. La loi de 2007 doit être mieux connue. Les administrations locales ont conscience de leur rôle. C’est positif.

Loi de 2007 ? Réparations pour les victimes ? La meilleure des réparations, c’est ce que nous faisons. C’est le développement. Il faut donner les moyens pour résorber la misère.

Les réparations individuelles existent : accès à la propriété. Une réforme agraire est-elle envisageable ? Une réforme a été effectuée. Mais les sécheresses ont entraîné  un fort exode rural. Les gens se sont installés dans des bidonvilles où ils n’avaient pas de propriété. L’Etat a offert gratuitement les terrains aux gens. La propriété n’est plus un problème. La propriété est garantie. Même s’il n’y a pas de titre de propriété. Nous voulons aussi améliorer l’habitat. Améliorer les conditions de vie.

Y’a-t-il une volonté de soutenir plus particulièrement les populations d’ex-esclaves en matière d’éducation ? Construire des classes. Donner la possibilité aux parents de ne pas les employer. La modernisation des moyens de production va avec la scolarisation.

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13 heures 30 : Entretien avec la Commission Nationale des Droits de l’Homme – Déthié
Mamadou SALL (Secrétaire Général),  le bureau et des membres du personnel

Présentation des objectifs du CRAN.

MR  SALL :  Du  4  au  8  septembre –  réception  d’un  envoyé  des  Nations  Unis  concernant l’esclavage moderne.

Nous avons une mission de conseil et d’alerte aux autorités. Quelles pratiques ? La Mauritanie partage le fléau de la discrimination. L’Etat a proscrit ces pratiques. Elles n’ont donc rien d’institutionnel. La volonté politique est manifeste, mais les séquelles demeurent. Il y a des distorsions économiques, et pas seulement pour une catégorie de citoyens. La loi de 2007 existe, elle doit être mieux connue. La notion d’esclavage doit être mieux définie et la société civile doit pouvoir se porter partie civile. On doit aussi améliorer la couverture du territoire. La volonté de rééquilibrer les choses existe.

Les choses ne sont pas forcément exécutées comme elles étaient prévues ; nous avons dit et répété : « le soleil ne sèche que ce qu’on lui montre ». Nos moyens doivent être améliorés. Nous devons nous déployer. L’objectif est de faire connaître la loi. Mais cela nécessite des moyens financiers et humains. Sans compter les moyens didactiques. Ces pratiques existent dans d’autres pays, et nous tachons de les dénoncer. Nous avons une forte diversité chez nous : noirs, arabes, etc…

Nous recevions à l’instant des anciens réfugiés qui sont revenus du Sénégal. Certaines formes d’indemnisation ont déjà eu lieu, pas suffisantes parfois. Les moyens de l’Etat doivent être renforcés. Et puis la condition aussi, c’est le temps.

Quelles mesures ont été prises ? Terres, travail, formation ? Quel a été le cadre pour accueillir les réfugiés ici ? L’Agence nationale pour accueil des réfugiés existe depuis 2007 et est dotée de moyens forts.

Quelles solutions pour lutter contre l’esclavage et ses séquelles ? Quelles améliorations de la loi sont possibles ? Sur le plan juridique… Cette loi a des imprécisions : on peut transformer des cas d’esclavage en cas de travail. La disqualification est trop aisée. Il faudrait préciser.

Comment préciser les termes des qualifications ? Définition de l’esclavage, c’est le « droit de propriété sur un être humain » (propriété définie selon l’art. 544 du code civil fr). Tout un panel de dispositions peut être invoqué pour échapper à la qualification et ne joue pas en faveur des victimes. La précision dans les termes est importante, donc nécessaire. Il va falloir travailler sur la question. Quoi de concret ? « On ne voit pas son dos ». Il faut préciser et revoir la définition de l’esclavage dans la loi. Il faut aussi prévoir des voies de recours à la société  civile. Améliorer l’information.

Proposez-nous la loi idéale, nous sommes preneurs. Nous souhaitons que les associations puissent se porter partie civile. L’agence TADAMOUN qui s’est créée il y a trois mois, a en partie répondu à nos attentes. Jusqu’à présent, c’était impossible. La commission nationale fait en sorte, partout, que la victime bénéficie de ses droits. Il nous a été signalé douze cas. L’Etat fait tout pour qu’il y ait justice.

Nous  avons  besoin  de  statistiques ?  Procès ?  Condamnations ?  Notre  commission  est nouvelle.  J’ai  été nommé en  mai.  La  présidence  et  son  équipe  ont  rassemblé six  cas  de jurisprudence  en  la  matière.  Il  nous  fallait  une  visibilité.  Une  des  premières  mesures : déléguer des juristes et des avocats pour savoir ce qui passe. Six cas rassemblés. Les autres échos qui nous parviennent : les magistrats prennent en compte cette loi de plus en plus. Elle reste, par ses lacunes, inappliquée et inapplicable. La définition est trop élastique et permet des disqualifications.

Quelles formations pour les policiers et les magistrats ? La connaissance du droit est aussi importante que l’existence du droit. Parfois les victimes ne savent pas qu’elles sont victimes.

Quelles réparations pour les victimes ? L’indemnisation des victimes n’est pas dans la loi. Dans les coins reculés, les anciens maîtres sont aussi pauvres que les anciens esclaves. Les différences économiques sont faibles dans les poches de pauvreté. On a la politique de ses moyens. C’est très difficile. L’Etat n’a pas à hériter indéfiniment des injustices de la société. La réparation sera collective ; accès à l’éducation, l’eau, la santé…

Quid de la réforme agraire ? Le problème agraire est beaucoup plus large que le problème de l’esclavage. Il y a  de grandes différences entre les populations par rapport à  la propriété foncière. Pour les uns, la terre est collective, pour d’autres, on peut parler de propriété. En plus, il y a l’histoire des dictatures militaires. Mais ici, sans agriculture, il n’y a pas de développement.  Il y a déjà une loi foncière. Nous travaillons, en tant que commission, pour la paix sociale. La loi n’est pas si mal. Et il faut aussi prendre en compte l’analphabétisme. Les paysans ne savent pas lire.

Intervention d’un membre de la commission, sociologue. Débat animé et divergent. Le pays est multi-ethnique depuis plusieurs milliers d’années. Notre fierté, c’est qu’il n’y a pas de racisme. Il ne faudrait pas ramener le problème à une affaire de couleur de peau. Ce qui nous unit, c’est l’islam et la diversité. Au sein de la commission, nous sommes indépendants et nous constituons un pont entre l’Etat et la société civile. On accompagne l’Etat et la société. Des cas sont pris en charge. L’agence TADAMOUN vient de nous. On aide les défavorisés. La question foncière est importante : il y a des affrontements. Les affrontements sont liés au
territoire. Pas de communautés, mais des tribus, ou ethnies.

Quels sont vos actions culturelles ? Les droits économiques, sociaux et culturels vont être travaillés. Les droits, encore et encore, doivent être connus. Lien avec la structuration de l’Etat. Quelles formations ? Quelles informations ? Les gens ne savent pas ce qu’ils encourent comme peines. Le turn-over des fonctionnaires n’aide pas.

Oui, mais par exemple, enseignement de l’histoire ? On peut enseigner les résistances du quotidien. Que pourriez-vous faire ? C’est l’idéal. Je placerais cette question dans le cadre du droit à l’éducation. La qualité de l’éducation doit s’améliorer. L’illettrisme est important. Chez vous comme chez nous. Mais ici les moyens n’y sont pas. Donc par où commencer ? Formation des enseignants ? Je suis partisan de cette option. Nous sommes aussi limités par nos moyens. L’éducation est le ciment des Mauritaniens. Le ciment restera si les progrès éducatifs continuent. Les structures résistent aux changements. TADAMOUN est la concrétisation de la volonté de l’Etat. Ils ont une obligation de réussite. Les objectifs sont clairs, les moyens présents. Pas d’échecs possibles. L’agence est la marque de la volonté politique.

Mme BA : La Mauritanie est multi-ethnique : au sein de chaque ethnie, l’esclavage existait. Seuls les beidanes et les haratines étaient visibles. Mais Blancs ou Noirs, ils partageaient la même culture et c’est très important. Les Soninké et les wolofs faisaient pire… Et l’on parle rarement ce leur cas parce que l’on se focalise sur la couleur de la peau. C’est absolument absurde et regrettable. La couleur de la peau ne doit pas être le seul critère d’analyse. Ce qui continue, c’est l’extrême pauvreté, l’analphabétisme. TADAMOUN est le fruit d’un rapport de la CNDH. Nous publions tous les ans un rapport, et la volonté du chef de l’Etat est concrète. Nous combattons à la fois la pauvreté et l’ignorance. Nous nous exprimerons sur la réforme agraire, qui est nécessaire. En tant que femme, je ne peux pas être propriétaire. L’Etat travaille, vulgarise les lois. L’instruction des gens est nécessaire, c’est le vrai problème. Donc on veut améliorer les choses par tous les moyens.

Mohamed Ibrahim, membre du bureau : la force de la Mauritanie c’est sa diversité. Il n’y a que les  séquelles  de l’esclavage,  pas l’esclavage.  La rapporteuse  en 2008  a donné trois recommandations : rectification de la loi. C’est fait. Création d’une institution : C’est fait avec TADAMOUN. Plan d’action détaillé et global. C’est fait. Nous demandons à être formés pour sensibiliser la population. Les campagnes de sensibilisation sont nécessaires dans les poches de pauvreté.

Le sociologue : L’esclavage existait, pas seulement chez les Maures. Aujourd’hui, il reste les séquelles. Même chez les haratines, même entre eux. En effet, il ya des haratines qui avaient eux aussi des esclaves.

Quelles sont les différences entre les hommes et les femmes en matière d’esclavage ? Comment  avoir  une  approche  genrée ?  La  femme  est  partout  victime,  en  Afrique  et ailleurs. Les femmes sont encore plus victimes. La question de la propriété est importante. Traditionnellement, les femmes ne peuvent pas être propriétaires. Alors, les programmes de TADAMOUN concernent majoritairement les femmes. Sans le soutien des femmes, ce n’est pas possible. Les femmes sont les plus touchées par l’analphabétisme et la pauvreté. Les soutenir, c’est essentiel.

Le sociologue : Il faut un  module  de formation  pour  renforcer  la culture  des Droits  de l’Homme à l’université et dans les programmes scolaires.

Monsieur Sall : La lutte contre les séquelles est féminisée aujourd’hui. Les femmes sont seules face aux aléas de la vie. La pauvreté touche plus les femmes. Eradiquer les séquelles de l’esclavage : cibler une action de progrès économique avec un accompagnement des femmes. La commission est à l’Etat ce que l’anticorps est à  l’organisme. Nous sommes en charge du progrès, de l’alerte.

25 SEPTEMBRE 2013

11 heures : Entretien Ministre de la Justice.

Tout le cabinet est présent. L’ambiance est légère. Le Ministre nous parle en préambule de sa vie dans le Loiret.

Le ministre présente la situation en quatre points

1) La position du ministère

2) Actions concrètes / vision /information

3) Mesures récentes

4) Recommandations

Toutes les sociétés du monde ont des problèmes d’inégalités sociales – esclavage, racisme. Il en va de même pour tous les pays africains. Les valeurs démocratiques sont admises dans la majorité des sociétés. Mais certaines sociétés n’ont pas atteint les niveaux de développement suffisants. Il serait dangereux dans un tel débat de s’enfermer dans des visions théoriques d’universitaires idéalistes. En Mauritanie, comme dans toutes les sociétés africaines, il y avait de l’esclavage. Les pays africains et européens pratiquaient l’esclavage. Le Tiers Etat français a fait la Révolution. Il y a de fortes inégalités en France toujours. Chaque peuple doit corriger les distorsions. Il faut du calme et de la sérénité. Pendant longtemps, il y a eu des hommes de gauche pour lutter contre les distorsions. En 1981, des hommes ont dénoncé l’esclavage. D’où la loi spécifique. Certains ont essayé de soutenir l’esclavage à travers une vision religieuse. Alors, la loi s’est basée sur l’avis juridique de quarante oulémas. Ils ont unanimement déclaré l’incompatibilité de la charia et de l’esclavage. Nous avons lancé de nouveaux combats.

Il y a opposition aujourd’hui entre ceux qui pensent qu’il y a esclavage, d’autres qu’il y a séquelles. Le président ne veut pas s’enfermer dans ce débat sémantique. Faits, séquelles, il faut agir. D’où la loi de 2007 : l’esclavage est  un crime contre l’humanité. La qualification très forte, très volontariste. Il reste des relations familiales inégalitaires. Et on les trouve autant chez les Peuls que chez les Maures ou les Soninkés. Le volet juridique est insuffisant. Nous ne nous gargarisons pas de slogan. D’où politique économique de développement avec des investissements dans le triangle de l’espoir. Les gens ne sont pas libres, non pas à cause de l’esclavage ou de ses séquelles, mais parce qu’il n’y a pas assez d’écoles, il n’y a pas de richesse. Nous combattons la pauvreté.

C’est tout l’objectif de l’agence TADAMOUN. Mon prédécesseur à ce ministère est issu d’une famille de ceux que l’on nomme anciens esclaves. Des conseillers, des ministres sont issus de familles d’anciens esclaves. Mais ils ont étudié. Et ils sont issus de plusieurs ethnies, de plusieurs castes. Allez taper à toutes les portes. Les journalistes sont libres. Nous avons libéralisé le journalisme, le mouvement associatif. En 1984, j’étais étudiant, j’ai adhéré à « Touche pas à mon pote ». Les ministres français ne partageaient sûrement pas votre opinion. Tout   le   monde   n’est   pas   consensuel.   Nous   allons   de   l’avant :   modernisation   de l’administration. Etat de droit. Nous voulons un pays de liberté. Les contradictions de cette société ne sont pas celles que l’on croit. Il y a des castes qui continuent à se combattre par exemple chez les Soninkés et les Peuls. Le tribalisme est plus dangereux que les séquelles de l’esclavage.  Le  nationalisme  négro  africain  face  au  chauvinisme  arabe.  Ce  sont  là  des situations biens plus préoccupantes.

Réparations, comment faire en Mauritanie ? Programme ? Débat ? Recours collectifs ? Associations  partie  civile ?  Elargir  les  critères  de  l’esclavage ?  Requalification  plus complexe ? Les associations qui militent sur ce créneau – c’est mon impression de militant de gauche – font de l’excès de zèle dans leur dénonciation de ce fléau. Voici l’exemple d’une affaire. Une femme avait une ménagère. Il n’y avait envers elles aucune relation d’ascendance esclavagiste. Elles n’appartenaient même pas à la même tribu. Il faut savoir que chez nous, l’esclavage se pratique au sein d’une même tribu. La ménagère avait un salaire. Les deux femmes  se sont querellées.  Dans  cette  tribu  guerrière,  il  est malséant  qu’une  dame  soit insultée. La dame a été insultée par sa ménagère. Il y a eu une bagarre puis plainte pour esclavage  par  l’IRA.  Le  procureur  de  la  république  a  ordonné  d’arrêter  la  patronne. Arrestation avec qualification esclavage. La tribu de la ménagère s’est mobilisée : j’ai reçu les chefs des tribus. Vous voyez donc comment il y a des amalgames. On a besoin des ONG pour le combat. Ne soyez pas craintifs. Le président de l’IRA est un ami personnel. Il y a des abus. Il y a du zèle.

Attention aux castes et aux tribus. Attention aux incompréhensions. Il y a des efforts considérables pour que les gens se rencontrent, se reconnaissent. Ces associations doivent se concentrer sur l’essentiel, proposer du concret. Oui, l’association doit pouvoir se porter partie civile. Oui pour élargir les qualifications. Oui pour les syndicats comme partie civile. On doit pouvoir assister les populations illettrées.

L’agence TADAMOUN fait de la discrimination positive. Nous y sommes très favorables. Nous combattons les discriminations par la discrimination positive.

Procureur  général  de  la  République.  La  Mauritanie  est  très  diversifiée,  avec  plusieurs ethnies. J’étais rédacteur en 1981 de la loi. On a déconstruit les obligations religieuses. J’avais 21 ans. Nous avons exigé de notre société cette loi. Mais il n’y avait pas de sanctions prévues. En 2007, nous y avons introduit des sanctions. En 2010, c’est sous ce gouvernement qu’il y a eu –  privilège historique – les premiers procès, il y a eu des condamnations. Un chérif (descendant du prophète) a été condamné. C’est important. Cela marche depuis 2010. Il y a une volonté réelle. Mais les gens ont du mal à changer de vie, le mode de vie est important. Boubacar Messaoud (IRA) est mon ami personnel. Les associations n’ont pas encore le droit d’être partie civile.  Mais c’est compliqué : nous sommes  une société tribale. Donc c’est complexe. Attention aux abus. Les cas ont été traités de la bonne manière.

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12 heures : Entretien Ministre de l’Intérieur

Ministre nommé  deux semaines plus tôt. Ancien wali (préfet) d’une région pauvre et difficile.

Ministre de l’Intérieur. De grands efforts ont été faits contre l’esclavage. L’Etat développe des programmes contre les séquelles sur le plan économique et social. Il y a des textes juridiques contre esclavage. Des programmes économiques, sanitaires et scolaires pour les haratines. C’est la raison de la création de l’agence TADAMOUN L’Etat investit beaucoup. Il a créé un institut ministériel contre esclavage et pour les droits humains. Les autorités sont armées. Les pratiques sont sanctionnées et réprimées. Les autorités sont sanctionnées si elles n’interviennent pas. Les médias sont libres. Tout cela favorise la cohésion sociale. Il y a une autorité autonome de régulation des médias. C’est une situation rare dans les pays du Tiers- Monde. Les journalistes ne sont plus poursuivis, ne peuvent plus être arrêtés. Nous voulons devenir une démocratie complète. C’est une politique du président de la République. Madame la présidente de la commission des Droits de l’Homme à Genève a témoigné des efforts.

Il y a quelques semaines, j’ai reçu un haut fonctionnaire international qui nous a félicités. Il faut faire attention au zèle des associations. Il y a des différences en Mauritanie.

Le ministère organise-t-il des formations pour les policiers ? Oui, il y a eu dans plusieurs villes de nombreux ateliers de sensibilisation pour les officiers, les magistrats, les administrateurs, sur la base de la loi de 2007.

Travaillez-vous  sur  la  question  des  discriminations ?  Le  racisme  n’existe  pas,  grâce à l’Islam. La loi interdit les discriminations. Cette question ne se pose pas en Mauritanie. La plupart des imams sont aujourd’hui des descendants d’esclaves. Ils connaissent le Coran. Tout le monde peut pratiquer le métier qu’il veut. Ne vous fiez donc pas aux propos de certaines associations. Allez dans le pays, voir la vérité des choses. Je parle d’égalité réelle.

Comment la  police  enquête-t-elle sur le racisme ?  La loi réprime  les individus  et les autorités qui cachent les problèmes liés à l’esclavage ou au racisme. C’est prévu dans la loi. L’autorité locale sera condamnée et sanctionnée si elle ne s’y conforme pas. La sensibilisation et la formation des responsables sont en cours. La société civile est sur le terrain. Les ONG peuvent dénoncer les problèmes et sensibiliser. Nous développons un programme avec les Nations Unies afin de former les autorités. Deux fois par ans, nous présentons nos actions et les évolutions sur le terrain au bureau des Droits de l’Homme des Nations Unies à Genève. Combien de pays africains et des autres continent qui connaissent des faits d’esclavage ou des séquelles en font autant ?

Avez-vous lancé des enquêtes sociologiques pour aider les policiers ? La promotion des Droits de l’Homme varie selon les pays. Des ONG assurent le suivi. Droits de l’Homme, Droits des femmes, etc… Des dizaines d’associations travaillent en Mauritanie, et elles ont l’appui  des  ministères  et  de  la  commission  nationale  des  Droits  de  l’Homme,  du Commissariat des Droits de l’Homme, etc… C’est le travail de la société civile, pas de la police, qui appuie cependant ces initiatives. La société doit s’approprier la culture des Droits de l’Homme,  et le fait que les discriminations  sont mauvaises  pour tout le monde.  Les sanctions sont appliquées pour tout le monde. C’est l’objet de l’agence TADAMOUN.

Les efforts de la Mauritanie gagneraient à être vus et diffusés par vous. La Mauritanie est
victime des mécontents qui viennent en France pour la critiquer. Il serait incompréhensible que l’on ne retienne que le son de cloche de certains groupes aux intérêts peu clairs.

Des anciens réfugiés existent,  ils paraissent sincères dans leurs revendications et ne veulent pas en faire un fonds de commerce. Nous souhaitons échanger dans la durée, avec  ces  personnes.  Comment  ces  personnes  pourraient-vous  soutenir ?  C’est  quand même l’Etat mauritanien qui vous a invités à venir voir de vous-mêmes. Nous allons tout le temps à l’ONU. Nous n’avons rien à cacher. Ici existent la pluralité et la démocratie. Les manquements, si vous les constatez, doivent être remontés jusqu’à nous et nous appliquerons la loi. La liberté d’expression est totale. Invitez qui vous voulez à venir ici. C’est simple, il y a la télé, la radio, c’est libre.

Pourrez-vous nous envoyer les programmes de formation et de sensibilisation – s’ils sont communicables  –  pour  que  nous  puissions  avancer  de  notre  côté ?  C’est  le  haut- commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies qui construit ces programmes.

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13 heures : Entretien avec le Président de l’Assemblée Nationale (un Haratine)

Votre volonté d’information est louable. Le problème de l’esclavage et de ses séquelles existe, différent  en  Mauritanie  comparé  à la  France.  Je suis  le  fondateur  du  mouvement  contre l’esclavage en 1978. Nous sommes nombreux à penser que l’esclavage continue ici. Il n’y a pas de chaînes en fer, mais des chaînes religieuses. Nous sommes croyants, et cela enchaîne parfois plus. Le problème se pose. Les discriminations existent aussi, entre Arabes et non- Arabes. Il y a différentes cultures et communautés, différentes langues. La cohabitation entre Arabes et non-Arabes, l’esclavage, a toujours empoisonné la structuration de l’Etat et de la Société. Nous avons réglé certains problèmes. L’esclavage comme problème a été posé en 1978. La volonté du pouvoir a été de bloquer l’émergence de la problématique de l’esclavage. J’étais à 20 ans secrétaire de l’administration, j’ai assisté à des réunions. J’assistais à ces réunions et je posais la question. On me répondait qu’il n’y avait pas l’esclavage. J’étais très jeune, la voix tremblante. Par la suite, on a donné à l’opinion des cas pratiques d’esclavage. Nous étions des militants. On n’allait pas trop chercher pour ne pas bouleverser les mœurs, très ancrées. Mais cette situation ne se rencontrait pas que chez les Arabes, mais dans toutes les composantes de la société mauritanienne. On s’est toujours contenté de nous intéresser à des  cas flagrants.  Des  victimes  venaient  se confier  à nous. Notre réaction  était  simple : présenter le cas aux autorités. Mais à cette époque, dans les années 1970, il n’y avait pas de volonté de prendre en considération les plaignants. Il y avait quelques pressions aussi, les victimes se rétractaient. Le mouvement s’est amplifié, on en parlait, il y avait des forums internationaux. En 1981, les choses ont commencé à évoluer. Le régime militaire a voulu trouver une solution. Ils ont consulté les oulémas, les exégètes de l’islam. Ils ont donné leur interprétation. Ils ont dit que c’était proscrit par la religion, et que ça pouvait changer par la volonté du Prince,  en rachetant  les esclaves  et en indemnisant  les maîtres.  Cela nous a révoltés. Grâce aux esclavagistes, nous avions de la publicité gratuite. Personnellement, j’ai senti que les pouvoirs publics devenaient de plus en plus préoccupés par ça. Ils voulaient s’en débarrasser. En 2007, on a organisé un voyage d’étude au Niger. Au Niger, on a vu la constitution  et  la  formule  nigérienne  m’a  paru  heureuse.  J’ai  demandé aux  autorités  de transition de modifier la constitution, le chef de l’époque a réagi de manière réactionnaire. Sa réponse était choquante. Aujourd’hui, sur le plan juridique, on a vraiment avancé, malgré les négationnistes. On a réussi à faire voter cette loi et à qualifier l’esclavage de crime contre l’humanité.

Des  ONG  comme  SOS  esclaves  n’étaient  pas  contentes.  Certaines  choses  ne  sont  pas permises par la loi. Les associations ne peuvent pas se porter partie civile. Je suis un dirigeant responsable, il faut aller par étape, je ne veux pas briser la société, je me projette dans l’avenir. Mon engagement est né après avoir vu ce qui se passe en Afrique du Sud, après avoir voyagé aux USA. Mais nous sommes fragiles, je choisis la méthode non-violente. J’ai 70 ans. Je suis pour ce qui nous libère, mais pas au point de tout briser.

Le dialogue s’est ouvert en 2010. On en est là. C’est acquis. Ce que nous n’avons pas acquis, c’est l’exécution systématique des lois. Des cas se retrouvent devant un juge, un magistrat, un cadi,  un  commissaire  de  police.  Nous  devons  condamner  comme  le  veut  la  loi.  Nous n’arrivons pas à le faire tout le temps. Les pouvoirs publics sont frileux pour accepter que les choses avancent. TADAMOUN : je ne suis pas satisfait de cette agence. C’est devenu un fourre-tout. Elle doit régler tous les problèmes structurels en Mauritanie : racisme, esclavage, discriminations, réfugiés. Elle doit tout gérer. On parle de séquelles de l’esclavage, ce qui me choque. L’esclavage existe et il faut l’éradiquer. Nous travaillons à deux vitesses. Au niveau juridique, les instruments favorisent la lutte. Mais la pratique quotidienne, le plus important, nous sommes au point zéro. Personnes n’accepte d’en parler comme j’en parle. C’est notre société, c’est notre problème, nous devons lutter tous ensemble. On m’a souvent dit que je parle uniquement des pratiques des Arabes, mais je parle de ce que je connais le mieux. Je suis descendant d’esclave, propriété des Arabes. Ils sont blancs, je suis comme je suis. Je suis leur esclave. L’esclave soninké ou halpoular est moins visible. Je me suis rebellé très tôt. Mon semblable soninké ou wolof ne se voit pas.

J’ai le souvenir d’une discussion toute la nuit avec un esclave halpoular près de la mer. Lui ne voulait pas se « libérer », on le traitait comme un troubadour. Il peut rentrer partout, etc, les cadeaux. Je n’ai jamais compris. C’est aussi un problème de castes.

Je dirai que nous avons avancé avec une loi très positive, qui est perfectible. Au moment du vote, le courant passait bien. On m’a insulté dans cet hémicycle, y compris mes semblables. Cette assemblée a adopté la loi sans bagarre. La patience a permis à tous de l’admettre : l’esclavage  existe.  Je ne désespère pas. Au point de vue de la pratique.  J’ai été préfet, gouverneur, ministre. Je fais de mon mieux, avec d’autres. Je veux avant tout préserver la cohésion sociale.

Comment pouvons-nous être utiles ? Je suis tellement soucieux de la cohésion, mais nos dirigeants sont soucieux de l’opinion internationale. On disait que j’allais recruter des mercenaires. C’est l’opinion qui influe sur nos dirigeants. Trop axer sur la question, comme des militants, c’est risquer d’altérer la cohésion sociale. Ils vont exacerber les divisions. Attention aux situations difficiles à contrôler. Conseillez les autorités, c’est déjà très bien. Sans passer par l’opinion. Aidez la société civile, en matière juridique.

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14 heures : Entretien avec le Président du Conseil Constitutionnel Mauritanien.

Que pensez-vous de l’esclavage et du racisme en Mauritanie ? Que faire pour améliorer la loi ? Que pouvons-nous ? Comment notre pays peut-il préserver la liberté et la diversité des cultures ? Les pratiques esclavagistes ont existé. Fondement juridique religieux. Le 05 mars 1978 il y a eu le mouvement de libération des Haratines. Certains ont une vision erronée de l’Islam. La religion est égalitaire. Certains se servaient de l’Islam pour préserver des intérêts. A la fois sous la pression de l’opinion nationale et internationale, il y a eu abolition en 1981. Ensuite, les avancées ont été très timides. Toutes les forces étaient mobilisés, pas seulement les anciens esclaves. Beaucoup dénonçaient et luttaient contre cette pratique inhumaine.

Le problème demeure encore aujourd’hui au niveau des mentalités. Il faut révolutionner les mentalités des anciens esclaves. On est conditionné par la stratification sociale. L’environnement nous impose des conditionnements. Plus on est éduqué, plus on peut se débarrasser de certaines tares. Tous les régimes depuis, ont essayé d’apporter une contribution visant à éradiquer, au moins atténuer les pratiques esclavagistes. Le pouvoir actuel, dans le cadre d’un débat national, avec les forces politiques, a criminalisé les pratiques esclavagistes. Ceux qui s’y adonnent peuvent être jugés et condamnés.

Sur  le  plan  du  droit,  la  question  de  l’esclavage  ne  se  pose  plus.  L’esclavage  a-t-il été éradiqué ? Non, il y a l’aspect pratique. Il y a une classe des anciens esclaves. Ce sont des marginaux  sur  le  plan  économique.  Nous  devons  créer  des  structures  qui  permettent l’insertion. L’initiative de l’agence TADAMOUN : lutte contre les séquelles de l’esclavage.

Il y a deux facteurs déterminants pour atténuer le problème. Les oulémas doivent être mis à contribution. Classe éminemment influente. Ils règlent les problèmes du quotidien ou les problèmes plus graves. Il faut les mettre à contribution. Les envoyer en mission. Convaincre les autres oulémas très conservateurs. Un débat entre eux doit être engagé. Il faut organiser le débat. On n’a pas vu de condamnations à ma connaissance. Les magistrats sont-ils convaincus que l’esclavage est un crime ? Je me pose la question.

Faudrait-il les former ? Bien sûr. La volonté doit être forte sur la formation des magistrats. Les forces vives pourraient organiser un grand débat national. J’ai été en Afrique du Sud. Les Noirs ont-ils été rétablis dans leurs droits ? Non. J’ai visité. Les pouvoirs publics devraient engager  une  action  de  sensibilisation.  Et  mettre  à  contribution  les  religieux :  oulémas, marabouts, imams. Leur influence est grande. Certains n’ont aucun lien avec l’Etat. Il faut qu’ils battent campagne. Ce serait une avancée importante dans le changement des mentalités. Leur classe a soutenu l’esclavage pendant longtemps. C’est difficile de se dédire. Mais le monde a changé. Il faut accepter que les gens soient égaux.

Le deuxième problème, c’est l’économie. Il y a des groupements d’Haratines dans le pays, des villages. Ils constituent la main d’œuvre, ici, à Nouakchott. Les enfants ne sont pas scolarisés. On a créé les cantines scolaires pour encourager la scolarisation. La pauvreté pousse les parents à employer les enfants.

Quelles actions en matière culturelle peut-on mettre en œuvre ? Personnellement, j’établis des priorités. Et ces priorités ne sont pas culturelles. Education. Alimentation. Je ne suis pas contre l’idée, mais il y a des priorités. Ceux qui ont en charge le dossier pourront vous répondre. Je suis dans mon petit coin, de ma petite expérience. J’ai lutté contre. J’ai connu la
prison pour ça.

Mais aujourd’hui, le cheval de bataille des pouvoirs publics doit être économie et éducation avec l’aide des religieux qui n’aident pas à l’avancée rapide des mentalités. Il n’y avait pas d’infrastructures  en  Mauritanie.  C’était  un  vaste  désert.  C’était  difficile.  Je  suis  né  à la frontière du Mali. Je mettais dix jours pour venir à Nouakchott. Il y a eu contact avec le goudron. Il faut aussi encourager le métissage entre les communautés. Cela facilite la disparition des préjugés. Cela fait disparaître les stratifications féodales anciennes. C’est un peu utopique, mais c’est comme ça : nous évoluons positivement. L’Etat est égalitaire. J’ai fait beaucoup de postes. Je n’ai juste pas été président. Depuis 1992, je fais partie de l’Etat, je suis descendant d’Haratines. Il n’y  a pas de discriminations. Vous verrez ça dans les petits campements, dans les villages, dans les quartiers périphériques. Il n’y a pas de système idéal.

Et les réparations ? Revendiquer, être victime d’une justice, c’est légitime. J’ai été victime, c’est inhumain : toutes les sociétés l’ont fait. Tout crime appelle réparation. La réparation n’est pas forcément matérielle. On peut présenter des excuses. On peut développer. Mais il faut la volonté. La société  doit l’accepter. En Afrique, les forces vives ont été « exportées », puis colonisées. C’est un crime énorme. L’humanité doit évoluer.

Ordonnance  de  1981 :  indemnisation  des  « ayants  droits ».  C’est  là  qu’interviennent  les juristes. On nous a arrêtés. On a comparu  devant une Cour Martiale. C’était un régime militaire. Il fallait trouver un fondement juridique. Ils ont amené certains oulémas. Il y avait ceux qui étaient contre, ceux qui étaient pour. Les pour disaient que l’Islam autorisait, qu’il fallait racheter sa liberté, comme l’Islam le prévoyait.

Avoir peur de la réparation, c’est attiser les problèmes. La réparation permet la Justice et la Réconciliation. On ne peut pas supporter l’injustice indéfiniment. On finit souvent pas le comprendre par la force. Nous devons accepter une société  plus juste et plus égalitaire. J’adore Nelson Mandela. Il a invité  les Noirs à pardonner. Bâtissons une nouvelle Afrique. Nous devons éviter la violence. Encourager les couples mixtes, octroi de logement, octroi de prêts.  Les  communautés  doivent  s’interpénétrer.  C’est difficile  ici.  On  se marie  dans  sa catégorie, sa tribu, sa région. La société reste comme elle est. C’est une idée importante. Nous sommes  tous  musulmans.  Il  y  avait  des  mariages  mixtes  entre  les  chefs  religieux.  Des guerriers arabes se mariaient avec des filles de chefs négro-africains. Les problèmes de race n’ont existé qu’après l’Indépendance. On a créé ce type de problème pour déstabiliser. Il faut trouver des moyens pour faire se rencontrer les communautés. C’est valable en Afrique. J’ai vu ce qui s’est passé au Burundi et au Rwanda. Ce sont les leaders politiques qui créent ces divisions. En Guinée par exemple ? C’est la faute de la classe politique ! Heureusement dans notre pays, on ne peut pas présenter une liste électorale sans diversité culturelle et ethnique.

Les lois de représentations existent, mais il y a des querelles : « et nous ? Et nous ? Etc… » Le premier ministre haratine a été nommé de 1984. Aujourd’hui, il y en a partout dans les ministères et les administrations. L’équilibre national, l’unité nationale, la stabilité exigent que toutes les communautés soient associées à la gestion de l’Etat. Comme avec les candidatures aux élections. Si les élections sont libres, c’est important. Mais ce sont les élites. Qu’en est-il des villages ? Des régions ? Des campements ? Les conditions de vie de tout le monde sont les mêmes… Mais ce sont les mentalités.

Le recensement ? Problème : mobilisation de la population. Taux d’inscription peu élevé.
Exemple : on ne laisse pas le bétail pour aller s’inscrire. C’est le rôle des acteurs politiques, des partis de mobiliser, d’aller chercher les électeurs. Il faut envoyer des émissaires. Il faut mobiliser les électeurs.

Dernier point : le rôle du CCM. Nous veillons à la constitutionalité des lois. Nous veillons à l’application des lois.  Nous veillons à la conformité  des élections. Nous avons un rôle consultatif auprès de l’Etat.

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15 heures : Entretien avec le Président du Sénat assisté de son Directeur de cabinet

La problématique de l’esclavage est la même dans toute la sous région. Les séquelles de l’esclavage existent. Nous n’avons pas la spécificité des organisations « extrémisantes ». J’ai été adhérent de ces organisations, et sympathisant. La pratique traditionnelle de l’esclavage n’existe plus. La batterie de lois qui a accompagné l’indépendance a aboli l’esclavage. Mais les mesures de développement économique n’ont pas suivi. Au début du processus démocratique à partir de 1991, une petite marge est née sous la dictature militaire. Mais le régime a continué. Je suis de la génération d’opposition née de cette ouverture. On a voulu faire avancer le pays. Certains compatriotes voulant se faire entendre, ont parlé de marché aux esclaves, il n’y en a jamais eu. Nous avons eu des occasions pour parler des complicités des autorités. Ce n’est plus d’actualité. Lors du coup d’Etat que j’ai accompagné, le 3 août 2005, au matin, jour du coup d’Etat, j’ai été contacté par un ami. Des journalistes de Reuters et CBS sont venus couvrir l’événement. Ils ont rencontré des problèmes avec les policiers qui ne voulaient pas les laisser entrer dans le pays, conformément aux instructions des autorités antérieures. J’ai réussi à avoir le président. Cela en dit long sur le régime précédent. Mais là on leur a dit : vous allez où vous voulez. Avant le 3 août, c’était une dictature. Maintenant vous êtes libres. Ils sont restés deux semaines. C’est le début de l’ouverture. Nous avons voulu le maximum de transparence, d’accès à l’information.

Comme vous, vous êtes les hôtes, vous allez où vous voulez. Tout le monde parle français. N’attendez pas. Je suis du pouvoir. Allez voir les autres. Biram le président de l’IRA ne se rend même pas compte que si l’IRA existe aujourd’hui, c’est grâce à cette ouverture.

Il y a eu de l’esclavage. Il y a des descendants d’esclaves dans les rouages du pouvoir. Il n’y a pas de racisme institutionnel. Il y a eu des exactions dans les années 80, 90. J’ai vécu ça. Le retour des réfugiés. Ce sont des rapatriés. Ils ont été ramenés avec le HCR. Il y a eu des oublis, des imperfections, je ne le nie pas. L’opération a été positive. La conférence nationale de type vérité et réconciliation a été un succès en 2005.

Que pensez-vous des réparations ? Tous les débats ont lieu en Mauritanie. Nous sommes des anciens colonisés. Voilà aussi des réparations qui ont du sens. Il faut nous intégrer dans cette recherche de réparations. La sous région tout entière a été victime du colonialisme, qui n’avait pas interdit l’esclavage, étant lui-même esclavagiste.

N’hésitez pas à nous faire part d’éléments juridiques sur les réparations, ou restitution de  biens  mal  acquis.  On  a  été pillé  sur  tous  les  plans.  C’était  quasiment  le  deal  de l’indépendance. Les négociateurs de l’époque n’ont jamais été dans cette idée. Les colons étaient les maîtres. On est une société  en mutation. Le gouvernement n’a pas de complexes. Quand on est mauritanien, on doit être pluriel, dans la philosophie et le comportement. Nous sommes en transition socio-culturelle et économique. Le diagnostic est clair. Le principal responsable des malheurs de la Mauritanie ces dernières années, c’est le président déchu Ould Taya qui est au Qatar, cette petite dictature en or. Je suis de la région qui a eu le plus grand nombre de déportés. Je sais donc de quoi je parle. On a même voulu dresser les communautés les unes contre les autres. Mais il y a eu des bonnes volontés. Notre triste histoire des Années 80, on doit la décomplexer, en parler. On a les instruments économiques. Des lois d’abolition ne seront pas efficaces tant qu’il y aura dépendance économique. Il faut trouver par exemple ceux qui détiennent la terre et qui font travailler  des gens sur ces terres. Il y a eu des expropriations par l’Etat. On critique. 500 et 600 hectares appartenaient à un individu, et des centaines de personnes dépendantes. Il y a redistribution. Les populations bénéficient de la redistribution. Les propriétaires doivent s’adresser à l’Etat. Les familles nécessiteuses ont reçu des terres. L’exécutif ne communique pas assez. On n’a pas à faire leur communication. Pour nous, au niveau des pouvoirs locaux, il faut communiquer. Je ne suis pas langue de bois. On n’acceptera pas de déviations. On suit avec les populations qu’on représente. On communique avec l’exécutif. L’administration locale dévie, on alerte.

Y  a-t-il  un  cadre  légal  de  réparation  foncière ?  Oui,  la  première,  c’est  en  1981  par ordonnance. Après il y a eu la réforme foncière, très difficile à l’époque. Il y avait en fait une complicité entre maîtres et exploitants. Ils ne voulaient pas de cette réforme – terres des ancêtres. Avancée, mais timide. Les juntes se succédaient. Il y a une tendance à la stabilité.

L’esclavage, il n’y pas d’échanges marchand de personnes. Au Sénégal, on a les castes. Il n’y a pas d’échanges marchands, il y a des structures traditionnelles, des phénomènes culturels.

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16 heures 30 – Entretien avec l’ Ambassadeur de France

Intervention de l’ambassadeur. Le président Aziz est né à Dakar. Il est le président des Mauritaniens. Sur le plan économique, les relations avec ses voisins africains sont très importantes. La visite de Macky Sall a été vrai succès. Aziz est perçu comme orienté vers l’Afrique subsaharienne, plutôt que vers le Mahgreb.

Sur l’esclavage, nous avons des relations de confiance avec le gouvernement. Politique étrangère et politique intérieure, dont les Droits de l’Homme. C’est un militaire, mais qui est ouvert. On peut parler avec lui. Cela prendra du temps sur le sujet. Les événements de 1989 sont dans tous les esprits. Depuis, des actions ont été menées. Globalement, on a réussi le retour des réfugiés. La loi de 1981, loi de 2007. L’ouverture se poursuit. Il y a eu des rencontres avec les représentants des FLAM. Il y a une volonté de la part des autorités d’avancer. L’ambassade accompagne le mouvement d’ouverture. Le président sait ce qu’il doit aux Français. La sécurisation du territoire était la priorité. AQMI n’est plus dans les rues. Aujourd’hui, la Mauritanie est maillon fort. Le risque s’est déplacé vers l’est. Il y a des résultats. Sur le plan macro-économique, un fort taux de croissance, l’inflation baisse. La richesse n’est pas encore également répartie. L’indépendance de la justice est douteuse. Il y a une volonté de juste répartition des richesses et des pouvoirs. Le président Aziz a une vraie volonté d’ouverture. Mais la Mauritanie ne fait toujours pas partie de la CEDEAO. Pourquoi ? Les organisations sous-régionales sont pourtant importantes.

Un  contexte  porteur  aujourd’hui  pour  ces  sujets.  Birham  a  fait  avancer  les  lignes.  Les autorités ont surfé dessus. Bihram est bien entouré avec des imams. Il fait bouger les lignes sur les pratiques esclavagistes. Le Gouvernement a pris acte de sa capacité de nuisance. La volonté d’adhésion des haratines va loin. Les pratiques esclavagistes sont plus ou moins acceptées. L’ancien pouvoir dans le temps a joué un groupe contre l’autre. Il faut inciter le pouvoir à poursuivre l’ouverture. La logique d’accompagnement est nécessaire. La France peut le faire. A travers l’IRA, avec l’Union Européenne. Nous espérons que cela ira dans le bon sens. L’Agence Française de Développement  n’intervient pas directement. Mais plutôt sur l’énergie et les infrastructures. Dans le champ social, éducation et santé, aussi. Objectif Justice et Sécurité : formations des policiers et des magistrats pour quelques pays de la région en matière d’approfondissement de l’Etat de Droit. Il y a une avocate française détachée au ministère de la Justice.

L’agence TADAMOUN est de création récente. A voir. Dans le domaine culturel, on a du mal aujourd’hui à voir les différentes composantes de la société mauritanienne. On peut jouer avec la musique, ou autre ? Notre coopération se doit d’être discrète. Les Mauritaniens et les Maures en particulier sont un peuple fier.

Sur  le  recensement :  la  volonté  politique  efface  les  problèmes  techniques.  Mais  ici,  la commission électorale indépendante était consensuelle, mais pas très énergique. La  date fixée par la CENI. Le président n’était pas très content du choix. On s’oriente vers un nouveau report avant la fin de l’année.  Le président ne veut pas de fusion entre les différents scrutins (présidentielle,  municipales,  législatives).  Il  va  y  avoir  une  dose  de  proportionnelle.  Le système est complexe. Sur les 13 régions, 7 seraient ouvertes au scrutin proportionnel et 6 au scrutin majoritaire. Les jeux sont ouverts. Il y aura une meilleure représentativité. Les équilibres politiques vont se recomposer. Le président souhaiterait que le Sénat soit présidé par un haratine, le président de l’assemblée Nationale serait un négro africain. L’idée d’un gouvernement d’union nationale a été écartée par le président.

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18 heures 30 : Rencontres avec la société civile.

L’esclavage existe encore en Mauritanie. On ne peut pas en parler. L’Etat Mauritanien ne veut pas qu’on en parle. Le problème doit être discuté. Chacun doit apporter son avis. La Commission Nationale des Droits de l’Homme a présenté des rapports chaque année depuis 2007. Il y a une institution qui s’occupe des anciens esclaves. Les rapports sont plus précis. En tant que membre des associations, nous vivons la même réalité : nous manquons de moyens et nous voulons présenter des rapports alternatifs à ceux de l’Etat. Il y a une loi. Certains pouvoirs publics locaux ne connaissent pas cette loi. Il faut la vulgariser, la diffuser.

L’esclavage devient tabou en Mauritanie. L’Etat français a une responsabilité. Durant la période  coloniale,  les  Français  ont  favorisé  certaines  communautés.  La  France  a  une responsabilité. Les ONG doivent être soutenues. Certains Etats occultent la question. Soyez notre porte-parole. On demande un dédommagement de la France pour les haratines. Ils ne sont pas propriétaires, ils sont pauvres. L’agence TADAMOUN a été créée. Nous sommes écoutés par ceux qui n’ont pas d’ambition politique. La société civile n’est pas écoutée. A Nouakchott et ailleurs. Les haratines ne peuvent se libérer. Il y a un racisme ancestral. Les autorités accordent des privilèges.

Il   nous   faudrait   des   éléments   concrets.   Avez-vous   des   documents   permettant d’interpeller ? Donnez-nous des documents. Nous avons besoin d’éléments fiables.

Le débat sur l’esclavage n’est plus tabou. On en parle de plus en plus. A Nouakchott, ca va. Dans les villages, la majorité des esclaves n’est pas au courant de ce qui se passe à la capitale. Le problème est celui de manque d’informations. Les gens sont dominés parce qu’ils ne sont pas allés à l’école. Ils n’écoutent pas les informations. Un esclave libéré n’a rien. Partir où ? Donc, parfois, il reste avec son ancien maître. Le vrai esclavage est économique. Dès lors, le problème devient psychologique. Ils n’ont pas les moyens : ils sont totalement dépendants. Ils savent qu’ils ne sont pas des esclaves mais ils dépendent totalement des maîtres. Il faut travailler sur l’indépendance.  Une bonne sensibilisation permettrait de le faire. C’est lamentable à l’intérieur dans le pays.

Merci pour l’intérêt que vous portez à la Mauritanie. Droits économiques et droits sociaux, rôle d’impulsion de la société  civile, voilà les piliers qui nous permettrons de résoudre les problèmes de la misère. Il faut éviter les généralisations et les affirmations dangereuses. Le rôle de la société civile est d’apaiser. Chacun doit porter les héritages sociaux. Le CRAN s’intéresse à trois thématiques : esclavage, colonialisme, discriminations. Nous avons des personnes intéressées par la loi Taubira. Beaucoup de problèmes que nous vivons aujourd’hui sont hérités du colonialisme. Il faut reconnaître sur le plan symbolique ET financier. Quand je vois comment on traite les africains en Europe. Ils n’ont pas tenu compte du rôle des africains dans la reconstruction de l’Europe.

Nous ne sommes pas là pour donner des leçons.

On doit être plus positifs, quand on se compare au Rwanda.

Attention, la méthodologie n’est pas bonne. Il faut récolter des documents écrits. J’ai animé une  conférence  à   Bamako  sur  l’esclavage  auprès  d’une  organisation  de  Touaregs.  Je présentait l’esclavage en Mauritanie. Nous sommes héritiers de la colonisation. La France avait intérêt à maintenir l’esclavage. En Mauritanie, l’esclavage n’a pas de couleur. Il est de nature particulière. Pas comme aux Antilles. Ici, la législation est très avancée. Nous sommes habiles : personne ne pourra nous libérer. Nous nous en sortirons  nous-mêmes

L’esclavage existe à petite échelle. La liberté s’arrache chez les femmes. Je n’ai pas peur de l’Etat.  Les  séquelles  de  l’esclavage,  les  enfants  issus  de  l’esclavage  ne  réussissent  pas à l’école. Les parents sont sensibilisés, mais ont d’autres préoccupations. Les femmes dans les maisons sont sous-payées, et travaillent dans de mauvaises conditions. Pas le SMIC. Depuis 2012, on essaie de vulgariser la loi. Les femmes, parfois, préfèrent ne pas avoir de contrat. Faire travailler les gens sans contrat, c’est de l’esclavage.

Oui ça existe. Nous sommes spécialisés dans la traque des esclavagistes. Il n’y a pas de volonté de la part de l’Etat. Il n’y a pas de formation. Sur la base de l’interprétation de la Charia (rite malékite). L’affaire Noura tout le monde l’a suivie : l’Etat a tout fait pour ne pas appliquer la loi. Même la brigade de gendarmerie fait tout pour contourner la loi. Comment l’esclave peut-il se défendre ? Cette affaire a montré que l’Etat n’a pas encore mis en œuvre la libération. L’Etat n’a pas la volonté. Rien d’opérationnel.

L’esclavage est pratiqué en ville, en banlieue, en région. Il y a de la discrimination positive quand même. La pauvreté et l’ignorance, voilà le problème. Il faut d’abord le reconnaître en premier lieu. Il faut faire de la discrimination positive.

Il y a d’autres formes d’esclavage. Les enfants confiés  à des marabouts. Enfants contraints d’amener de l’argent à  des marabouts…

Conditions des enfants esclaves : envoyés par les parents à  un proche ou membre de la famille. Ils travaillent dès leur plus jeune âge. Ils ne vont donc pas à l’école. Les filles sont placées comme bonnes. Les enfants ont droit à l’éducation. Pas d’accès à l’école. A l’avenir, cela va augmenter les inégalités. Les esclaves n’ont pas d’état civil. Les enfants non plus. L’Etat doit prendre des dispositions pour qu’ils aillent à l’école.

L’état des enfants des femmes divorcés. Ils sont dans la rue. Donc délinquance. Donc travail et misère. Il y a l’exemple d’une femme divorcée qui a envoyé sa fille à l’école et l’instit l’a exploitée. L’instit lui donnait des notes pour tromper la mère.

L’esclavage est un problème en Afrique. On le trouve au Sénégal, au Mali. Toutes les parties prenantes,  les  ONG  légalement  reconnues  doivent  travailler  ensemble.  Il  faut  qu’on  se réunisse pour construire une stratégie nationale. Il faut être ensemble. Nous les ONG, nous pourrions collecter des fonds. Nous devons définir les priorités.

L’IRA a fait un travail remarquable sur l’esclavage. Les autres organisations n’ont pas fait tout ça. Il y a plein d’autres organisations. SOS esclaves aussi. Avant, c’était tabou.

Nous  avons  discuté avec  l’IRA,  à Paris.  Nous  devons  nous  inscrire  dans  le  futur, envoyez-nous les documents

Tout le monde a contribué. Il y a la thématique esclavage au centre avec l’IRA. S’il y a des contrats domestiques, c’est grâce à  l’IRA. Les anciens ont bénéficié de privilèges au sein de l’Etat. Ceux qui posent les vraies questions, ne sont jamais à  la tête des organisations. Il y a du favoritisme, des réseaux avec l’Etat. Il y a des gens juges et parties.

Quelles sont vos propositions

Justice : parties civiles pour les associations. La loi définissant l’esclavage doit être plus large
Meilleure formation sur ces questions. Le recours collectif doit être possible.

Proposition d’une dame : aide juridictionnelle / aide juridique

Avez-vous des éléments de module de formation ?
Il faut changer les manuels qui légitiment l’esclavage.

Economie : Les droits des femmes améliorent l’activité. Droits des femmes conduisent au développement économique. L’esclavage, c’est inefficace économiquement

Comment on réinsère les anciens esclaves ? VRAIE QUESTION. Obliger TADAMOUN à travailler comme il faut. La société civile doit pouvoir encadrer les anciens esclaves afin de les former à l’activité économique. Il faut accompagner la libération.

Quelles réparations ? Selon nous, pour les esclaves.

Sur les réparations : Les élus ne sont pas informés de cette agence…  donc comment les autres pourraient être informés ?

Une dame de SOS exclus : j’ai scolarisé 3000 enfants à  titre gratuit, tout pris en charge, avec goûter à l’heure de la récréation. Les gens viennent souvent du triangle de la pauvreté. Une femme m’a pris une petite fille de 8 ans. J’ai envoyé la gardienne. La petite a été placée dans une famille proche de notre quartier. Je suis allé voir la femme. J’ai sensibilisé. La mère me dit ok. Mais deux jours après, la petite disparaissait à nouveau. Je retourne. La mère est divorcée. Cinq enfants à charge. L’Unicef m’a aidée, avec la banque des femmes. Je me suis rendu compte de la pauvreté : précarité des logements, un repas par jour. Ces femmes savent faire  beaucoup  de  choses.  La  banque  a  demandé d’ouvrir  un  compte  pour  SOS  exclus. Alphabétiser les adultes, scolariser les enfants. J’ai pu acheter des machines. Il faut l’alphabétisation, la formation, des capitaux.

Culture.  Quels  outils  culturels  ?  Quelles  actions  ?  Dialogue  avec  les  religieux  ? Documentaires sur les combats des ONG ? Comment faire passer le message ? Musique ? Image ? Un lieu ?

Il faut toucher la Mauritanie profonde, les zones rurales, rencontrer les populations et les informer de leurs droits. L’information ne passe pas. Les changements de mentalités, c’est un travail de longue haleine. Toucher les victimes. L’information c’est la clé. Emission à la radio :  très  important.  Une  mission  par  mois,  faire  du  porte  à porte.  Comment  organiser  une émission  ? Améliorer  les  financements.  Nous créons des coopératives.  Il faut assurer  la survie, l’alimentation. Il faut assurer des prêts pour que les femmes travaillent : Les micro- crédits aux femmes, c’est la clé. Une émission de radio en langue nationale afin que le message puisse passer. Pas de différences entre Nouakchott et les régions. En régions, il y a juste des communautés entières. Attention, c’est un système. Il y a la question des prisonniers. Système aberrant. Il y a la question de l’immigration aussi. Pour les informations : il faut appliquer   les  lois.  Quelle  solution  ?  Appliquer   la  loi.  Aucune  condamnation   cette année à Nouakchott. Depuis 2007 : très peu.

Témoignage d’un ancien esclave. Vidéo réalisée par Guy Samuel NYOUMSI.
26 Septembre 2013

Entretien président SOS Esclaves – Boubacar Messaoud

Responsabilité  de la France : la Mauritanie a encore des séquelles – L’esclavage évolue – La
France a une responsabilité.

La question est transversale, sociale. Toutes les populations mauritaniennes considèrent que c’est une chose banale. La dimension religieuse est forte. L’assujettissement est complet grâce au consentement des esclaves. Il y a absence de toute idée de révolte. Je suis descendant d’esclave. Tous mes professeurs me l’ont reproché. « Celui qui ne parle pas de l’esclavage ne veut pas que la Mauritanie avance ».

Il faut tirer la sonnette d’alarme. Attention certains en situation d’esclavages n’ont plus que la violence pour solution. Aujourd’hui, si le pouvoir était dans les mains de la communauté noire, elle tenterait aussi de garder son pouvoir. Tenter de montrer que tout est légitime.

J’ai été au Mali en 2006, dans le cadre d’un réseau de la sous région, au musée national de Bamako. On a fini de visiter le musée. Personne n’avait rien remarqué. Moi j’ai vu qu’il n’y avait rien d’arabe ou de touareg. Ici, dans le palais, il n’y a que des arabes… Là-bas, comme ici, il y a exclusion.  Quand on m’invite, quand je parle, je ne mens plus.

On m’invite à  la radio, à la télé : anniversaire de l’indépendance. 54 hommes sous la tente, mais cinq ou six noirs, cinq ou six haratines, cinq femmes. Il faut avoir la courtoisie de respecter son peuple. Je ne disculpe personne. Il y a une discrimination dans l’intérêt des Arabes. Le nègre, s’il en avait eu les moyens, l’aurait fait aussi. Il y a des comportements discriminatoires partout. Le terme kori établit une distinction entre noirs et blancs en Mauritanie. Il faut respecter, dans la langue, les personnes.

Est-ce  que  les  lois  sont  sérieuses ?  Nous  réclamons  l’application  stricte  des  lois.  Les esclavagistes doivent comprendre que l’esclavage n’est plus autorisé. Les juges protègent les esclavagistes. Liberté conditionnelle ou contrôle judiciaire. J’ai les documents.

Nous avons pris l’habitude de faire semblant. L’Etat prend des décisions qui sonnent bien ailleurs,  mais pas de réalisations. On va dire qu’il n’y a pas de discriminations.  A cause des officiels bien placés. Ce sont des images et des figures qui vous parlent à vous, occidentaux. Mais c’est Aziz qui maîtrise tout.

J’ai une dame qui était bergère, elle a dix enfants sans père. C’est une reproductrice. Les maîtres  ont  été déférés  et  écroués.  On  apprend  ensuite  qu’ils  ont  été libérés,  parce  que « malades ». C’est une question sociale. Pas de culturalisme. L’esclavage n’est pas facile à combattre, le modèle, c’est le maître. Ils sont prêts à mourir pour leur maître. Si quelqu’un vient se plaindre chez moi, j’irai au bout.

TADAMOUN ? L’esclavage n’est pas ponctuel, mais structurel. Il faut une agence spécifique. Alors que TADAMOUN a trois mandats. Les haratines souffrent. Ils sont transformés en caste isolée, marginalisée. Le Conseil d’Administration de l’agence n’est pas représentatif. Il y manque des haratines. Ils mettent un soninké féodal et un maure blanc à la tête ! Nous avons tout sacrifié  dans ce combat. Nous avions réclamé cette agence. Nous avons dit qu’il y a une insuffisance fondamentale dans la loi de 2007 : pas de possibilité de se porter partie civile pour les ONG.

Une femme l’autre jour est venue à Nema, sa fille avait porté plainte. On a trouvé le maître, on l’a obligé à venir. Le monsieur a dit que le maître était son frère de lait. C’est NORMAL entre maître et esclave. La femme disait « je fais ce que je veux, je travaille pour lui, il ne m’a jamais payé». La femme a dit je ne me sépare pas de lui. J’ai téléphoné au Directeur général de l’agence. Il y a un problème de qualification : travail forcé. Il y a différentes qualifications.

Il y a des enfants qui n’ont pas de père parce qu’il y a un droit de cuissage. Les enfants reprennent le nom de leur mère « ould fatma » par exemple. Stigmatisation immédiate et perpétuelle.

Que faut-il faire ? Partie civile pour les ONG. Peines pas appliquées donc conformité à la qualification. Qualifications plus larges, plus précises. Décret d’application pour l’indemnité : réparations claires. Bon exemple : loi sur l’esclavage au Niger où les ONG peuvent se porter parties civiles. Il y a eu un cas de 5ème épouse… forcément une esclave… ll y a le problème des concubines. Autre exemple : le texte de loi : « présumé esclave ». Normal, vu qu’il n’y a pas d’esclaves. Hypocrisie.

Il  faut  soigner  la  maladie  qui  touche  la  Mauritanie.  Il  faut  dire  que  c’est  une  hérésie. Beaucoup de politiciens ont peur de dire aux gens : « vous êtes descendants d’esclaves, vous êtes des bâtards »… discours irrecevable.

Autre argument anti : vous cherchez à séparer les haratines des Maures… En fait c’est une question de nombre. Tout le monde doit devenir citoyen.

Les féodalités sont trop nombreuses. Il y a trop de tribus, sans compter les haratines et les autres ethnies.

Il y a tous les jours ici des contrôles au faciès… Certains noirs sont contrôlés parce qu’ils ont un boubou maure. Suivant l’habillement, il y a des discriminations. L’habit maure protège des discriminations du quotidien.

CONCLUSION

Nos rencontres avec les Mauritaniens sur le thème de l’esclavage et des séquelles ont été très instructives. Nous l’avons dit, nous ne venions point en donneurs de leçons. Nous voulions connaître une expérience, des formes de traitement d’un fléau du passé et de ses séquelles présentes, des formes de traitement pouvant être différentes de celles que l’on applique aux minorités dans d’autres pays, dont la France, l’Afrique du Sud ou les Etats Unis d’Amérique. Des grandes lignes se sont dégagées de nos rencontres, certaines consensuelles, d’autres plus ou moins contradictoires. Avant d’en énoncer les plus fortes, il nous paraît extrêmement important de commencer par celle qui paraîtrait insolite à première vue, une dont on ne parle pas souvent, mais dont la permanence dans le discours de bien de nos interlocuteurs, nous a quelque peu surpris. Il s’agit du rôle pervers qu’aurait jouée la colonisation française dans la racialisation de la problématique de l’esclavagisme mauritanien.

Les Mauritaniens disent souvent avec fierté, qu’ils n’ont pas été colonisés, mais administrés. Ils disent aussi que ce qui arrive dans leur pays depuis les indépendances, est de leur seule responsabilité. Ainsi, il n’a jamais été question pour eux de rendre la colonisation responsable de tous leurs malheurs. L’angle par lequel ils introduisent la responsabilité de la colonisation sur le fait de l’esclavagisme mauritanien, est tout à fait spécial. Pour eux, non seulement le colonisateur n’a pas cherché à éradiquer ce fléau, mais bien plus, il l’aurait instrumentalisé pour diviser les populations autochtones. Certains n’ont pas hésité à comparer la situation mauritanienne à celle du Rwanda. Au Rwanda, les Tutsis qui ne sont pas des négroïdes, avaient été exaltés par le colonialisme qui en avait fait les maîtres légitimes et naturels du pays et des négroïdes Hutus. C’est de cette même souche que naîtrait la racialisation de l’esclavagisme mauritanien. Dans un contexte où tous les groupes – maures, peuls, wolofs, soninkés – pratiquaient en leur sein l’esclavagisme, tous les experts focalisent leur analyse sur la seule situation des populations de culture maure, dont la partie « blanche », les beidanes, aurait esclavagisé les noirs les haratines. Pourtant il est un consensus quasi général sur le fait que les choses ne sont pas aussi manichéennes que cela.

Un autre constat consensuel mérite d’être souligné. Tout le monde reconnaît qu’aujourd’hui, le vrai problème du pays est celui de l’éducation et du développement économique. Quand les populations seront éduquées et qu’elles disposeront de moyens pour subvenir à leurs besoins, alors, rien ne pourra plus faire perdurer quelque forme de servitude que ce soit. En effet, un corollaire de ce constat est que, des personnes sans éducation ne sont souvent pas au courant de leurs droits. Un autre est que, même au courant de leur liberté, des descendants d’esclaves restent dépendants des familles des anciens maîtres.

Autre dimension quasi consensuelle, l’on reconnaît les efforts réalisés par le gouvernement pour mettre fin à tout ce qui a trait à ce fléau et qui divise la société mauritanienne et pour assurer toutes les libertés autant aux citoyens dans leur vie quotidienne, qu’à la presse ou aux observateurs étrangers. De cela, nous pouvons témoigner, remerciant par la même occasion les autorités pour leur invitation et leur accueil, et les divers partenaires rencontrés, pour leur disponibilité. La législation s’est faite de plus en plus ferme depuis 1981. D’autre part, des dispositifs sont mis en place pour lutter contre la pauvreté et l’analphabétisme. Mais beaucoup de voix déplorent un déficit d’information notamment dans les zones reculées du pays.

Si tout le monde dit qu’il y a des efforts à faire, certains pensent que l’ Etat a fait voter des lois, mais traîne à les appliquer, protégeant pas là même, les criminels qui continuent à pratiquer  l’esclavage.  Néanmoins,  à  la  fin  de  notre  séjour,  nous  pouvons  dire  que  la Mauritanie déploie des efforts appréciables pour éradiquer les séquelles de l’esclavege. Les mentalités ont la vie dure et la poursuite des efforts de l’état pour améliorer les conditions de vie et l’éducation des jeunes finiront par porter des fruits.

Les associations, depuis les années 1970, ont fait un travail énorme de sensibilisation des opinions nationale et internationale sur la situation de l’esclavagisme traditionnel et de ses séquelles dans la société mauritanienne. Beaucoup de ces militants de la première heure sont satisfaits aujourd’hui du chemin parcouru. Ils ont rejoint les pouvoirs publics et poursuivent ainsi le travail. Parfois, ils vous parlent des méthodes qu’ils ont employées au temps où les gouvernants faisaient la sourde oreille, et déplorent que, bien que les pouvoirs publics soient à l’écoute de toutes les parties prenantes, certains militants continuent à instrumentaliser cette problématique, détériorant l’image de leur propre pays auprès des observateurs étrangers, alors même que les rapports des Nations Unies, la plus haute instance en la matière, louent le travail mauritanien et les dispositifs dont certains sont les plus ambitieux en la matière.

Comment ne pas souligner les surprises positives que nous avons eu au cours de notre visite. Comment ne pas dire que, chose extrêmement rare pour un pays africain, la Mauritanie a institué une sécurité sociale généralisée. Comment ne pas souligner que le statut de la femme dans tout simplement exceptionnelle dans la société mauritanienne islamique. A ce propos, un correspondant nous disait : « quand vous verrez passer une belle voiture, regardez bien qui la conduit. Neuf fois sur dix, ce sera une femme ». On peut y ajouter que de nombreuses femmes occupent les plus hautes fonctions – maires, députés, ministres, cadres dirigeants, enseignants – et que toutes les listes électorales doivent réserver 25% des places en position d’éligibilité aux femmes. Dans ce pays où la quête de la liberté est quasi obsessionnelle, l’opposition jouit d’un statut unique, le chef de l’opposition ayant rang de ministre, avec tous les avantages et le protocole qui accompagnent cette position autant dans le pays qu’en visite à l’étranger. Il rencontre les dirigeants au moins une fois par trimestre pour parler de la marche de l’Etat et peut réclamer aux ministres, les dossiers dont il a besoin pour mener à bien sa mission.

Les avancées de la Mauritanie dans le dossier des séquelles de l’esclavage sont appréciables. Le pays est ouvert au débat, nous pouvons en témoigner. Les associations ont joué un important rôle pour que cette situation soit atteinte et toutes les parties mauritaniennes, Etat comme ONG, pensent qu’il reste bien des choses à faire, et travaillent à améliorer la situation de leur pays.

 (Reçu à Kassataya le 19 décembre 2014)