M. Biram Dah Abeid : ‘’Le camp de l’alternance sort affaibli de la farce du 13 Mai, du moins en nombre d’élus’’

Le Calame: Les résultats provisoires du scrutin du 13 mai viennent de tomber. Quelle évaluation en faites-vous ?

Biram Dah Abeid : Il  est  assez  tôt  pour  se  prononcer  sur  l’ampleur  de  la  mascarade  mais  l’on  peut  déjà conclure,  au  su  du  spectacle  sinistre  de  la  Ceni,  que  le  projet  de  démocratisation  de  la Mauritanie vient d’être enterré par le pouvoir et sa clientèle ethno-tribale. Le groupe de courtisans à l’œuvre sous la quasi-totalité des chefs d’Etat, de 1978 à Aziz, est en train de parfaire une fin peu reluisante, voir tragique, pour le président Ghazouani.

Ce qui s’est passé le 13 mai et les jours d’après n’est pas une élection mais une parodie honteuse de  fin  de  règne,  digne  d’un  potentat  de  république  bananière,  sans  ordre,  ni morale  ni  repères.  La  Cité  est  désormais  entre  les  mains  de  malandrins  qui  pillent impunément les richesses du pays et saccagent les résidus agonisants de l’administration, de la justice et des services universels de base. La corruption bat son plein et se banalise comme  le  trafic  des  faux  diplômes,  le  recours  aux  concours  biaisés  et  l’enrichissement illicite, par la manipulation des marchés publics et le conflit d’intérêt. Le népotisme et autres modalités du trafic d’influence relèvent, à présent, d’un mode de gouvernance de type «bédouin sous sa tente », qui s’est aggravé sous ce quinquennat de Mohamed Ould Cheikh Ghazouani. La prédation primitive, naguère privilège des guerriers, n’épargne plus les autres strates  de  la  domination  historique.  Le  retour  des  notabilités,  sur  le  devant  de  la  scène, témoigne de cette régression vers le passé précolonial, le fameux régime de la Seyba ou anarchie.

Le pays est encore divisé entre maîtres et esclaves, les populations haratines (d’ascendance  servile),  quoique  majoritaires  en  démographie,  souffrent  de  l’exclusion,  de  la discrimination,  de  la  pauvreté  et  des  inégalités,  protéiformes,  dans  l’administration, l’économie et tous les compartiments de la vie sociale, comme en témoigne d’ailleurs, leur surreprésentation  au  sein  de  l’univers  carcéral.  Les  citoyens  autochtones  d’origine subsaharienne endurent – et ce n’est pas nouveau – l’oppression matérielle, statutaire et symbolique,  notamment  la  marginalisation  de  leurs  cultures  et  langues.  L’iniquité linguistique  se  double d’un  passif  humanitaire dont  l’impunité  et  le défaut  de  réparation frappent l’esprit. En face et au-dessus, règne un noyau de privilégiés, que soude sa solidarité contre les demandes pressantes de justice.  Envers et contre la masse paupérisée de ceux au nom  desquels  ils  prétendent  agir,  voici  les  gouvernants  du  moment,  prompts  à  installer, grâce au fait accompli et à l’indifférence, la réalité d’une suprématiste arabe-berbère, alors même  que  l’immense  majorité  des  Bidhanes  sombrent  dans  la  misère  et  le  désarroi consécutif.

Les éléments les plus zélés et obscurantistes autour du président Ghazouani se sont permis de défaire le pluralisme et de vider, le vote, de sa substance, ce 13 mai 2023, en abusant du convoyage massif de bétail électoral, des bureaux fictifs, du vote multiple, des urnes non scellées, de l’achat (filmé) des suffrages et du bourrage des urnes. L’objectif de banaliser le scrutin aux yeux des Mauritaniens comporte l’avantage de les rebuter, de leur ôter la faculté de croire en la possibilité du changement, par les voies de l’émulation et du mérite. La Ceni n’est  plus  qu’une  triste  annexe  sous  les  ordres  du  ministère  de  l’Intérieur  bref,  un instrument  du  parti  au  pouvoir,  grâce  auquel  ce  dernier  s’arroge,  avec  insolence,  des victoires de complaisance, dans les circonscriptions de son choix. Les autres, protagonistes, même les alliés de la ménagerie Insaf, n’ont pu se priver de dénuder la mascarade inédite.

Unanimes en cela, ils n’ont manqué de rappeler combien la chienlit, née de l’incompétence de la Ceni des coquins, des parents et des copains, pourrait conduire à la rupture de la paix civile et favoriser l’installation du désordre. Savez-vous combien de parents du Président ont été déclarés élus, au terme du premier tour ?

 

 L’opposition  est  sortie  très  affaiblie.  Ne porte-t-elle  pas  une  grosse  part  de responsabilité dans cette défaite ? Pourrait-elle se relever de ce coup ?

L’opposition  visible  n’était  plus  forte  du  temps  de  Aziz,  elle  ne  l’est  toujours  pas  sous Ghazwani  ;  nous  assistons,  plutôt,  à  l’essor  de  l’insatisfaction  dans  la  rue,  le  sourd grondement du peuple affamé, trompé et brimé. A l’inverse de son versant conservateur qui se satisfait des miettes de concession concédées (avec parcimonie) par le bloc dominant, l’opposition sociale et  populaire reste  en  marge  du  jeu,  car  le  système,  détenteur  de  la prérogative  du  récépissé  de  reconnaissance,  la  rejette,  aux  marges  de  la  légalité,  afin  de contenir la compétition et d’endiguer les effets de la transparence et de l’équité.

Bien sûr, le camp de l’alternance sort affaibli de cette farce, du moins en nombre d’élus ; le score obtenu constitue une incitation à la révolte, une exhortation tacite aux procédés anti-démocratiques pour  s’émanciper  de  l’injustice  mais  nous  ne  tomberons  pas  dans  le traquenard que nous tend le ministre de l’Intérieur. Il doit trouver une ruse de substitution.

 

 Le pouvoir dispose d’une écrasante majorité à l’Assemblée nationale, il peut arguer que le peuple mauritanien lui a donné le quitus pour dérouler le programme du président Ghazwani et donc refuser de dialoguer avec l’opposition. C’est légitime, non ?

Le pouvoir de Ghazwani est un bricolage minoritaire, usé, vomi, miné par la corruption, le népotisme et toutes sortes de discriminations ; la majorité dont il se prévaut est obtenue, laborieusement, contre la volonté du peuple et ce même peuple mauritanien trouvera, tôt ou tard, le moyen idoine de déblayer le chemin de sa libération. Voyez-vous, plus personne n’a peur. Ici et partout ailleurs, nous sommes entrés dans la phase historique où ceux d’en-haut tremblent,  le  sommeil  surchargé  de  cauchemars,  à  l’idée  de  se  réveiller  face  à  une sédition.

 

 Votre  campagne  a  été  marquée  par  un  incident  à  Atar,  un  de  plus  diront  certains. Qu’est ce qui a poussé l’équipe de  TVM à retirer son micro ? Depuis quand l’utilisation du mot Hartani est banni de notre vocabulaire ?  

Notre  campagne  a  été  marquée  d’abord,  sur  toute  l’étendue  du  territoire,  par  les rassemblements  les  plus  imposants  et  enthousiastes  ;  l’on  y  voyait  des  populations engagées, déterminées et sans attente d’une contrepartie. La liesse et l’adhésion ont été tantôt festives  tantôt  graves  et  reflétaient  la  diversité  du  pays.  Une  telle  dynamique  fait peur au pouvoir qui s’appuie sur la division des Mauritaniens, en vue de continuer à piller et sévir. C’est pourquoi le parti RAG est interdit.

Les services de renseignements ont utilisé les journalistes de la Tvm aux fins malicieuses de créer un prétexte qui visait mon arrestation et la décapitation de notre campagne, comme en 2018. Nous avons compris et contourné le piège. La Hapa, sous l’injonction de l’Exécutif, nous a sevrés de notre temps d’antenne légale, durant la campagne, au grief que l’usage du mot Hartani ou l’indexation de présumés tortionnaires – tels Dah Abdel Jelil le président de la Ceni et le général Mohamed Meguet actuel député de l’Insaf – représentent une enfreinte suffisante  à  la  déontologie  de  la  campagne,  pour  nous  réduire  au  silence,  nous  museler.

Trouvez-vous normal que deux personnes, à ce point impliquées dans des tortures et tueries à visée  raciste,  soient  respectivement  l’arbitre  de  l’élection  et  le  futur  Président  du Parlement  ??!!! Dans  quelle  dimension  évolue  la  Mauritanie  !!!Par  ailleurs,  au  lieu  de pénaliser  l’utilisation  du  mot  Haratin,  ne  devrait-on,  d’abord,  réprimer  le  crime  séculaire qu’est l’esclavage et éradiquer ses séquelles, qui contribuent à la reproduction des privilèges de naissance.

 

 Nous sommes à moins d’une année de la prochaine présidentielle, à laquelle vous avez déclaré votre candidature. Diriez-vous, face à la victoire de l’Insaf que le couloir est grand ouvert pour le président Ghazwani pour un 2ème mandat ?

Ghazwani ne pourrait nous battre en 2024, dans un aucun cas de figure ; il ne dispose que deux choix s’il entend m’éliminer et chaque option entraîne des conséquences lourdes pour son avenir politique : M’empêcher, par des moyens illégaux, de me présenter ou orchestrer, à l’image du 13 mai dernier, une nouvelle imposture. Ni l’une ni l’autre ne le met à l’abri du risque de la défaite. Bien entendu, une fois élu, je n’engagerais aucune chasse aux sorcières et éviterais de régler les comptes  et  d’apurer  les  mécomptes… Agir  sous  la  dictée  de  la revanche, me mettrait en danger et effrayerait mes compatriotes. Aussi, m’en garderai-je.

 

Propos recueillis par Dalay Lam
Le 24/05/2023
Source : Le Calame