Dans l’ombre des pouvoirs militaires (26) : L’irruption des ONGs. Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

Étienne où l’occasion ratée

De profondes mutations

Depuis la fin de la guerre froide, avec la disparition du bloc de l’Est, l’effervescence politique d’antan baissa sensiblement. Les partis politiques et les syndicats professionnels avaient perdu la principale source de mobilisation de leurs troupes: la confrontation idéologique entre les deux systèmes qui se partageaient le monde d’après-guerre.

Des formes d’organisations, anciennes dans leur conception, mais désormais toutes neuves après réactualisation et adaptation aux nouveaux profonds changements dans le monde occupèrent tout le terrain. Elles portaient le nom d’Organisations Non Gouvernementales (ONG).

Les ONGs, notamment dans les pays sous-développés, tendent à submerger tout l’espace libéré par les partis politiques d’hier et les puissantes organisations syndicales fragilisées par les mutations rapides en cours depuis dans le monde entier.

Pour la recherche de solutions à leurs problèmes, les populations se tournèrent vers les ONGs. Les administrations gouvernementales, ainsi que les partis politiques et les organisations syndicales perdent de plus en plus confiance au sein des larges masses populaires au profit des ONGs. Celles-ci construisent des écoles, des points de santé, des points d’eau, alimentent des cantines, distribuent vivres et argent liquide aux pauvres populations, notamment rurales.

En un mot elles initient des actions à impact direct sur les populations-cibles. La démarcation déclarée de la politique, strictement respectée sur le terrain, donne un avantage certain aux ONGs. Hier, les partis politiques, et dans une grande mesure les organisations syndicales, ne cachaient pas leurs ambitions visant à prendre le pouvoir, officiellement, afin de s’en servir comme champ d’application de leurs programmes politiques.

Aux yeux des populations, la lutte ouverte pour la conquête du pouvoir suscite souvent une grande méfiance, parfois même une profonde crainte de se voir entrainer dans des confrontations violentes avec les détenteurs du pouvoir encore en place. Cette susceptibilité disparut dans les relations avec les ONGs.

Dans ce cadre, une courte expérience avec une ONG étrangère mérite d’être citée.

 

Un certain déracinement

Il était une fois, portant le nom prestigieux de l’un de ses ancêtres, Sidi, un jeune, servant comme instituteur dans la localité de Elbassra situé sur la route Rosso-Nouakchott. Elbassra, Dubai, Arafat, Oumelghoura , ainsi que Elvellouja, Elghouds et autres surnoms empruntés à d’autres pays généralement arabes, sont donnés depuis quelque temps à de nombreuses localités ou quartiers urbains de chez nous.

Ceux-ci portaient avant des noms originaux et enracinés dans la culture séculaire de notre pays. J’espère que nos autorités politiques et administratives prendront à temps des mesures pour arrêter cette tendance dégradante de notre patrimoine topographique. Ma conviction est que Elbassra portait avant un célèbre nom local et qui l’identifiait plus facilement.

 

 

Les ambitions du jeune Sidi

Le jeune Sidi, connu pour ses ambitions démesurées et généralement d’intérêt général, fit la connaissance d’Étienne un jeune universitaire français. Celui-ci, encore très jeune, s’exerçait à l’apprentissage de l’action humanitaire. Il gérait une ONG appartenant à sa mère.

Sidi, impressionné par l’impact plus que positif de l’ONG d’Étienne sur les habitants de Elbassra, décida d’inviter celui-ci chez lui à Chara. Ce qu’il avait réussi sans beaucoup de difficultés. Arrivé à Chara, le jeune universitaire français fut fortement impressionné par le village de Chara et ses habitants. Là, il découvrit ce qu’il n’a pas eu la chance de voir nulle part ailleurs en Mauritanie en dépit de son flair de chercheur: une population de condition haratine, assez évoluée et enracinée dans la culture traditionnelle, menée par une élite évoluée d’intellectuels modernes de grande valeur.

Étienne prit l’initiative de s’investir ici. Pour lui, Chara, à travers l’ONG de sa mère, devrait servir de laboratoire pour le développement humanitaire en Mauritanie.

Deux mois après, un grand conteneur, au nom de l’ONG d’Étienne, plein à craquer de matériaux divers fut débarqué au port le plus proche. De modestes frais de douane et de transport devraient être payés par Sidi pour disposer du contenu du conteneur. Sidi devra aussi trouver un grand magasin pour y vider le conteneur. Modeste instituteur, Sidi ne possédait aucun moyen pour résoudre tous ces petits problèmes.

Il demanda de l’aide à un parent commerçant. Sans hésiter celui-ci intervint aussitôt. Le lendemain il déchargea le contenu du conteneur dans l’un de ses magasins. C’était en plein hiver de 2003. Le matériel du conteneur, en dehors de quelques outils divers comme une chaise roulante, comportait essentiellement presque dans les mêmes proportions, des quantités importantes de livres, principalement scolaires, et des habits de seconde main assez variés mais en parfait état encore.

Probablement sous l’influence d’un mauvais conseil, Sidi écarta toute proposition de partage de la charge du conteneur entre les membres de la communauté. Sidi et le commerçant décidèrent donc de procéder par la solution la plus simple: Sidi s’appropria de tous les livres et le commerçant sous prétexte de se faire rembourser s’empara de tout le reste du matériel.

En ce moment, les trois premiers hauts fonctionnaires de Chara, premiers diplômés des grandes écoles étrangères, habitaient non loin de chez le commerçant et son magasin bien garni. Pour pouvoir supporter un loyer relativement élevé, les trois hauts fonctionnaires aux trois modestes salaires habitaient une maison à trois chambres. Quand un visiteur passait voir l’un d’eux, hospitaliers qu’ils sont, ils sortirent simultanément pour l’accueillir. L’image n’échappa pas au commerçant connu pour ses insinuations humoristiques assassines. Une fois il engueulait ce qu’il considérait comme une ingérence d’intrus dans ses affaires intérieures, lui et son nouvel ami provisoire Sidi. Il fit allusion à peine voilée aux trois hauts fonctionnaires en ces termes:« …. Et puis, simultanément, tous les trois (à l’image de rats), sortirent, chacun de son trou, pour s’inventer des propositions dans ce qui ne les regarde absolument pas ! ». Une image hautement poétique qui pourrait remuer dans sa tombe Elmoutenebi, le célèbre poète Abbâsside.

 

Chez « le gardien des biens saints »

Evaluant la situation qui se présente, aidé de son flair habituel de psychiatre, Mahmoud passa aussitôt chez quelqu’un comme moi. Il lui demanda d’intervenir pour éviter le scandale. Une réunion d’urgence fut convoquée chez le commerçant gardien « des biens saints ». Il a été expliqué à la petite assemblée familiale combien c’était risqué de mal gérer ce premier geste-test de l’ONG d’Étienne et sa mère.

Comme il a été demandé aux deux patrons du conteneur de collaborer avec l’assemblée dans l’exécution d’un petit plan de sauvetage de la situation. Ils étaient rassurés que rien ne sera enlevé de leurs mains. La HILUX du commerçant devrait être chargée de divers matériaux du conteneur. Il faudra payer le service d’un technicien TV. Puis aller aussitôt à Chara. Il faudra organiser une mise en scène de distribution des divers objets du conteneur. Le plan fut exécuté dans ses moindres détails et intégralement filmé. Même la chaise roulante trouva preneur: une pauvre jeune handicapée des périphéries du village de Chara. Elle s’en servait jusqu’à récemment.

Le film fut envoyé à Étienne et sa mère. A la vue du film, selon son fils, celle-ci explosa de joie.

 

La grande déception d’Etienne

Quelques semaines après, l’ONG décida de construire un jardin d’enfants au village de Chara. Malheureusement de mauvaises volontés s’interposèrent pour saboter la suite. La construction du jardin fut bâclée. Les fonds mobilisés par l’ONG pour sa construction dans les normes techniques requises furent dilapidés devant les yeux d’Étienne et en dépit de ses protestations. Il remarquait qu’une petite bande de complices s’affairaient pour tout détourner à leur profit et en dehors de toute concertation avec une assemblée élargie du village.

Déçu et découragé, Étienne se retira en catastrophe du lieu, fuyant ainsi la petite bande des mauvais fils de Chara qui pourrait l’entrainer dans il ne sait quel pétrin.

Imaginons que les choses auraient été bien gérées, je parierai que l’innocent village de Chara allait se passer de tout service de l’Etat mauritanien. Ma conviction fut que le jeune Étienne et sa généreuse maman envisageaient énormément de bonnes choses pour Chara chéri de Sidi.

Malheureusement les mauvais esprits existent partout. Ils sont toujours présents pour miner toute bonne action entreprise par de bonnes volontés, de bonnes fois.

(À suivre)