Séniya Yarahallah, militante des Droits de l’homme : « Si dénoncer les injustices qui prévalent…

Séniya Yarahallah, militante des Droits de l’homme :
...dans mon pays est de l’extrémisme, alors, oui, je suis extrémiste ».

Le Calame : Pourriez-vous vous présentez vous à nos lecteurs?

Séniya Yarahallah : Je m’appelle Séniya Yarahallah, dite Sonia Haïdara, et suis présidente de l’Association des femmes éducatrices pour la promotion des droits de l’homme (AFEPDH) que je m’investis à défendre en Mauritanie.

– Il ya quelques jours, vous avez été l’objet d’une plainte. Merci de nous expliquer les circonstances de cette convocation.

– Revenant de Gambie ou j’assistais aux travaux de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, j’ai été en effet l’objet d’une plainte de la part d’un soi-disant président d’une association de lutte contre les discours extrémistes [Mohamed ould M’Barek, NDLR] qui considère que personne n’a le droit de s’exprimer librement comme le lui garantit la Constitution.

Si, pour lui, dénoncer les injustices qui prévalent dans mon pays est de l’extrémisme, alors, oui, je suis extrémiste.

– Quelle évaluation faites-vous de la situation des droits de l’homme en Mauritanie ?

-Mon point de vue est que la Mauritanie est un pays qui ne respecte pas les droits de l’homme. Cela se manifeste par les violations quotidiennes de ces droits. Les problématiques du passif humanitaire et de l’esclavage en constituent une parfaite illustration.

– Vous fûtes, à un certain moment, un grand soutien de l’ancien président Mohamed ould Abdel Aziz. Puis il y eut rupture. Pourquoi ?

-Avant de répondre à cette question, je voudrais apporter quelques précisions préliminaires. Membre, depuis 2016, de la Commission nationale des droits de l’homme, je n’ai cessé de dénoncer les dérives de celle-ci ainsi que le mépris et le peu d’égard de l’ancienne présidente de cette honorable institution envers ses membres.

Il y avait des problèmes de gestion comme le retard du paiement des frais de sessions. Mais, plus grave et inquiétant était le risque grandissant de voir le pays dégradé. Mes efforts avec feu Ahmed Salem ould Maciré n’ont malheureusement pas permis de l’éviter.

La réunion du 9 Mai 2017 avec le président Mohamed ould Abdel Aziz n’a finalement servi à rien. J’ai alors compris que la CNDH n’était ni libre ni indépendante et commencé à penser à ne plus soutenir un système qui ne promeut ni la justice sociale, ni la bonne gouvernance, ni la citoyenneté.

Il me fallait choisir : rester là à hocher la tête ou suivre ma conscience et mon devoir de militante des droits humains, en arrêtant de soutenir un régime qui ne donne aucun espoir.

Au cours de la dernière campagne électorale, j’ai fait une tournée avec Ould Ghazwani où il disait représenter la continuité du régime de Mohamed ould Abdel Aziz. J’ai alors décidé, après quelques concertations avec des amis, de quitter définitivement ce milieu et essayer d’autres expériences.

– Vous semblez une farouche opposante au nouveau président Ghazwani. Quelles en sont les raisons ?

-Pour moi, quelqu’un qui s’est opposé à Aziz doit aussi s’opposer à Ghazwani, pour rester dans sa logique, puisque le second n’est que la continuité du premier. Les grandes problématiques nationales sont restées en l’état : esclavage et passif humanitaire.

C’est sous Ghazwani que le fameux concours des quarante-sept officiers a été organisé, pour ne recruter qu’au sein d’une seule communauté : exclusion pure et systématique des Négro-mauritaniens. Regardez également les nominations de ce jeudi 31 Octobre en Conseil des ministres. Notre rôle, en tant que défenseurs des droits de l’homme, est d’interpeller l’Etat sur ces injustices flagrantes et cette marginalisation ambiante, une véritable menace contre l’unité nationale.

C’est au président Ghazwani de démontrer qu’il veut changer et rompre avec le tribalisme, le régionalisme et la ségrégation ; travailler à améliorer les conditions de vie des citoyens ordinaires.

– Vous émettez beaucoup de réserves sur la prétention du gouvernement d’avoir réglé la question du passif humanitaire. Que lui reprochez-vous ?

-Selon moi, le passif humanitaire est loin d’être résolu. Par manque de volonté de l’Etat. L’ex-président Ould Abdel Aziz est le premier à le savoir, malgré sa fameuse prière de Kaédi. Il y a des préalables à ce règlement définitif : le devoir de reconnaissance, le devoir de justice, le devoir de mémoire et le devoir de réparation en constituent les fondements. La banalisation de la question n’est pas une bonne chose et Maouiya n’en est pas le seul responsable.

– Quelles appréciations faites de Tadamoun, de la CNDH et du Mécanisme national de lutte contre la torture ?

-Je commence par la CNDH qui vient d’être dégradée en 2018, pour son entière dépendance du gouvernement, alors que son statut lui confère d’être entièrement libre afin d’être en mesure de dénoncer fortement les violations effectives qui sont régulièrement commises en Mauritanie. J’espère cependant que son nouveau président, un avocat de renom, puisse lui insuffler un sang nouveau et la ramener à son ancien statut.

Par rapport à Tadamoun, sincèrement, je n’ai jamais eu confiance en cette institution : ni en termes de construction de quelques écoles et points de santé, ici et là, ni dans ses procédures, ni dans ses stratégies.

Lors de sa fondation en 2013, elle avait pour mission de lutter contre les séquelles de l’esclavage (assistance, prise en charge, réhabilitation socioéconomique des anciens esclaves…), superviser le retour des expulsés encore au Sénégal et au Mali, les assister dans leur réinsertion en tous ses aspects et lutter contre la pauvreté.

Qu’a-t-elle fait de tout cela ? Allez savoir. Demandez aux victimes qui devaient en être les bénéficiaires. Pourquoi ne pas avoir nommé un harratine, par exemple, comme directeur général de cette agence ? Quant au Mécanisme national de lutte contre la torture, il fait de son mieux, même si les critères qui ont servi à la sélection de ses membres ont fait l’objet de beaucoup de rapports auprès des instances des droits humains.

– Quelles sont les pratiques à bannir pour ne plus continuer à ternir l’image du pays à l’étranger ?

– La Mauritanie est signataire de toutes les conventions internationales, traités et chartes. Elle doit tout simplement respecter ses engagements, choisir les hommes et les femmes compétents et respectables capables de bien la représenter aux rencontres internationales sur les droits de l’homme. Lorsque les organisations de la Société civile dénoncent les éventuelles violations, elles sont dans leur rôle et cela n’a rien à voir avec la flétrissure de l’image du pays. Beaucoup, malheureusement, ne le comprennent pas.

– La xénophobie, le racisme, le discours de la haine, la marginalisation sont des concepts très en vogue en Mauritanie. Qu’en pensez-vous ?

– Non seulement ils sont très en vogue mais aussi, hélas, très en pratique. Les autorités doivent être très fermes là-dessus et appliquer les dispositions légales réprimant ces dangereuses dérives. Mais le problème, c’est quand les autorités elles-mêmes s’y abandonnent ou protègent ceux qui s’y emploient. C’est là vraiment là où le bât blesse.

– Ex-coordinatrice de la Fondation Rahma, comment y êtes-vous entrée et comment en êtes-vous sortie ? Quelles appréciations faites-vous de ses actions ?

– Lorsqu’il la fonda, feu Ahmedou ould Abdel Aziz était sincère, qu’Allah l’agrée dans Son paradis ! Pour les autres, c’est juste un moyen de s’enrichir. J’y suis venue grâce à mes compétences et mon expérience. Bedr déclare que j’ai été débarquée pour incompétence. Il me suffira de lui rappeler que fort heureusement l’incompétence ne tue pas et n’empêche nullement de devenir président.

Propos recueillis par Sneiba El Kory

Source : Le Calame (Mauritanie)