La tension entre le Maroc et la Mauritanie a atteint des niveaux sans précédents. Bien que les relations entre les deux pays aient été tendues depuis que le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz est arrivé au pouvoir en 2008, les deux pays ont maintenu le statu quo.
Toutefois, un nouveau tournant a été atteint en décembre 2015 lorsque les autorités mauritaniennes ont levé le drapeau mauritanien sur la ville de Lagouira, que le Maroc considère comme faisant partie de sa souveraineté.
Bien que le Maroc ait par la suite envoyé une délégation de haut niveau pour rencontrer le président mauritanien et contenir la situation, les choses n’ont pas changé et la Mauritanie a persisté à prendre des mesures que le Maroc considérait comme “provocatrices.” Après avoir levé le drapeau mauritanien à Lagouira, le président mauritanien a reçu des délégations du Polisario, a annoncé un deuil national de trois jours suite à la mort de l’ancien dirigeant du Polisario, Mohamed Abdelaziz, et a envoyé une délégation officielle pour assister à ses funérailles.
Par ailleurs, le président mauritanien a refusé de recevoir une délégation officielle marocaine avant le sommet de l’Union africaine tenu en juillet dernier à Kigali, au Rwanda. En outre, la Mauritanie ne faisait pas partie des 28 pays qui ont soumis une motion à l’Union africaine pour appuyer le retour du Maroc à l’organisation.
La tension entre le Maroc et la Mauritanie va crescendo
La situation s’est aggravée lorsque le Maroc a envoyé des membres de la gendarmerie à Guerguerat, situé à quelques kilomètres des frontières marocaines avec la Mauritanie. Après que le Polisario a envoyé ses troupes dans la zone et les a placées à seulement 200 mètres des forces marocaines, la Mauritanie n’a pris aucune mesure pour éviter l’escalade. Pour beaucoup d’observateurs, il semble que la Mauritanie cherche à imposer un fait accompli et à rendre la zone de Guerguerat et Lagouira sous le contrôle du Polisario.
Une analyse des relations Maroc-Mauritanie au cours des six dernières années montre que le président mauritanien a adopté une doctrine politique qui ne considère pas le Maroc comme un allié stratégique. Il semblerait plutôt que Mohamed Ould Abdel Aziz considère le Maroc comme une menace pour la Mauritanie et sa stabilité. Un argument qui étaye cette hypothèse est que si le Sénégal est l’allié traditionnel du Maroc et soutient son intégrité territoriale, ses relations avec la Mauritanie sont tendues. Par conséquent, il y a fort à parier que la Mauritanie voie d’un mauvais œil l’alliance entre Dakar et Rabat et considère, par conséquent, l’établissement d’un Etat dans le Sahara marocain comme un moyen d’éviter d’être encerclée par le Maroc et le Sénégal.
Le signe majeur de la détérioration des relations entre les deux pays est que la Mauritanie n’a pas nommé un nouvel ambassadeur à Rabat depuis plus de cinq ans et a réduit le niveau de sa représentation diplomatique à Rabat à son niveau le plus bas. Parmi les facteurs qui pourraient expliquer pourquoi le président mauritanien a tourné le dos à Rabat et favorisé l’agenda algérien, se trouve, en premier lieu, le fait que le Maroc accueille le milliardaire mauritanien Mohamed Ould Bouamatou depuis 2010. Bouamatou est accusé par les autorités mauritaniennes d’essayer de déstabiliser le pays et de déformer son image.
Après avoir été l’une des personnalités les plus proches d’Ould Abdel Aziz et contribué à son élection en 2009, Ould Bouamatou est devenu un de ses majeurs détracteurs. D’après les médias mauritaniens, le président mauritanien a vu d’un mauvais œil la participation de Bouamatou au Forum de Crans Montana en mars dernier dans la ville de Dakhla. En outre, en mai dernier Bouamatou a accueilli à son palais de Marrakech une réunion avec la participation de plusieurs personnalités d’opposition, dont Ely Ould Mohamed Fall, considéré comme l’un des plus grands adversaires du président mauritanien et un des candidats aux élections présidentielles prévues pour 2019.
Par ailleurs, les mesures prises par Ouel Abdel Aziz contre le Maroc laissent penser qu’il donne aux relations entre les deux pays un caractère personnel nonobstant les intérêts stratégiques qui lient la Mauritanie au Maroc et le lien entre la stabilité de son pays et celle du Maroc et de la région. Le refus d’Oueld Abdel Aziz de rencontrer la délégation marocaine envoyée par le roi Mohammed VI à Nouakchott avant le sommet de l’Union africaine en juillet dernier est venu en réaction à l’incapacité du roi Mohammed VI de tenir une réunion avec lui en marge du Sommet Inde-Afrique, tenu à New Delhi en octobre 2015. Il est également probable que son refus soit venu en réponse à l’incapacité du roi à recevoir le ministre des Affaires étrangères mauritanien avant le Sommet de la Ligue arabe tenu à Nouakchott en juillet dernier.
Il semblerait également que le président mauritanien soit agacé par le fait que le souverain marocain n’ait pas inclus la Mauritanie dans ses nombreuses visites aux pays d’Afrique subsaharienne ces dernières années. Cette “négligence” a été mal reçue à Nouakchott qui a lu en filigrane que Rabat ne la considère pas comme un allié important dans la nouvelle politique étrangère initiée par le roi.
La déclaration de Chabat et l’impératif de rétablir le dialogue
Alors que les observateurs exprimaient leurs appréhensions quant à la montée de la tension diplomatique entre le Maroc et la Mauritanie depuis août dernier, le secrétaire général du parti de l’Isitqlal, Hamid Chabat, a jeté de l’huile sur le feu en affirmant que la Mauritanie “fait partie des frontières historiques du Maroc”. Les Mauritaniens n’ont pas tardé à réagir par le biais d’un communiqué qui fustige Chabat et demande aux Marocains de présenter des excuses officielles.
La déclaration de Chabat est dangereuse car non seulement elle alimente la tension entre les deux pays, mais elle présente le Maroc comme un État qui ne respecte ni la souveraineté des pays voisins ni la Charte des Nations unies. Il fallait donc que le ministère des Affaires étrangères réagisse et clarifie la position officielle du pays.
La détérioration de la relation entre le Maroc et la Mauritanie exige une gestion sereine et perspicace, qui ne laisse aucune place à l’improvisation. La diplomatie n’est pas un domaine régi pas des réactions non calculées ou des déclarations populistes, mais par le pragmatisme et la sagesse. Il est vrai que le résident mauritanien a pris des mesures qui l’ont rapproché davantage de l’Algérie. Cependant, il ne faut pas oublier les liens historiques entre les deux pays et les relations fraternelles entre leurs deux peuples.
A l’avenir, le Maroc devrait adopter une nouvelle politique de la main tendue à la Mauritanie et éviter que Ouel Abdel Aziz ne prenne des mesures qui servent l’Algérie et le Polisario. Le premier bénéficiaire de toute rupture entre Rabat et Nouakchott est Alger, qui fera tout ce qui est en son pouvoir pour isoler le Maroc et contrecarrer son effort de retourner à sa famille africaine. Par conséquent, la déclaration du ministère des Affaires étrangères clarifiant la politique étrangère du Maroc à l’égard de la Mauritanie a été un pas dans la bonne direction.
Nul doute que la décision du roi d’envoyer le chef de gouvernement marocain à Nouakchott et son appel téléphonique avec le président mauritanien aideront à désamorcer la tension entre les deux pays. Après la visite de Benkirane en Mauritanie et la lettre royale qu’il a transmise au président mauritanien, le ministère marocain des Affaires étrangères devrait œuvrer avec son homologue mauritanien au rétablissement de la confiance et des canaux de communication entre les deux pays.
Un sommet entre les dirigeants des deux pays, une visite officielle du roi Mohammed VI en Mauritanie ou une visite du président mauritanien au Maroc contribueraient certainement à apaiser la tension. Une telle mesure est susceptible d’aider à rétablir la confiance entre les deux pays et à rassurer les dirigeants mauritaniens que le Maroc n’a aucun intérêt à déstabiliser la Mauritanie et que sa stabilité est au cœur de la politique étrangère marocaine, basée sur la préservation de la stabilité de la région et la non-ingérence dans les affaires internes des pays voisins.
Samir Bennis Conseiller politique et diplomatique basé à New York, rédacteur-en-chef de Morocco World News.
Source : The Huffington Post