Au fil de l’examen du rapport de la Mauritanie par le comité des droits l’homme lors de sa réunion tenue le 5 juillet 2019 à Genève, un expert remarqua, en guise d’observation, » que la charia islamique est l’unique source du droit mauritanien : or, a-t-il fait observer, il existe des antinomies entre la charia et le système international de protection des droits de l’homme, notamment en matière de liberté de conscience et de religion; en outre, le fait de dire que la charia est l’unique source de droit revient à nier le système international «
Un malentendu fatal
Cette remarque reflète, dans sa formulation, un malentendu fatal résultant de la délicate synthèse entre des règles d’inspirations différentes dans le système juridique mauritanien. En effet, la référence constitutionnelle aux ‘’préceptes de l’islam comme unique source du Droit mauritanien‘’ renvoie à un vieux débat sur ce que l’on a pu appeler ‘’ Dichotomie Droit moderne-Droit Musulman‘’, laquelle constitue une caractéristique essentielle du Droit mauritanien.
Déjà en 1962 à savoir au lendemain de l’indépendance du pays, M. Joël disait dans un article publié par la revue Penant sous le titre ‘’ la Réforme de la Justice en Mauritanie‘’ que la distinction Droit Moderne-Droit Musulman doit être fortement relativisée dans la mesure où ‘’ dans les deux cas, le pouvoir législatif constitue le creuset où se fondent les différentes tendances et où s’accomplit l’unité du Droit mauritanien’’.
En vertu de cette option tenant à l’unification du Droit mauritanien et, définitivement, consacrée par la constitution du 20 juillet 1991, il est permis de considérer que toute règle de Droit dit ‘’moderne’’ est islamique dès lors qu’elle n’est pas contraire aux règles coraniques ou autrement dit ne contredit pas l’esprit de la Shar’ia ( loi islamique originelle ).
En tout cas la référence de la constitution aux préceptes de l’Islam ainsi, d’ailleurs, que ses différentes mentions constitutionnelles tenant au caractère islamique de la République, à la considération que l’islam est la religion du peuple et de l’Etat, à l’exigence que le président de la République soit de religion musulmane n’ont jamais exclu et n’excluent point une ouverture aux exigences du monde moderne.
C’est, précisément, ce qui est annoncé dans le préambule de la constitution mauritanienne en ces termes: ‘’ considérant que la liberté, l’égalité et la dignité de l’homme ne peuvent être assurées que dans une société qui consacre la primauté du Droit, soucieux de créer les conditions durables d’une évolution sociale harmonieuse, respectueuse des préceptes de l’Islam, seule source du droit et ouvertes aux exigences du monde moderne‘’.
C’est à partir de cette volonté manifeste de respecter les préceptes de l’Islam auxquels le peuple mauritanien s’attache fortement , que l’Etat mauritanien souverain est tenu de défendre et qui ne sont pas du tout incompatibles, comme on a tendance à le croire, avec les principes fondamentaux des droits de l’homme, qu’il faille analyser les contradictions réelles ou supposées entre le système international de protection des droits de l’homme et le Droit musulman.
Mais à ce sujet, il est permis de constater que les respectables experts internationaux des Droits de l’homme ne se donnent pas souvent la peine d’examiner, au moins à titre d’initiation, le Droit musulman, dans sa complexité.
Il est vrai qu’avec ses multiples nuances, ses fondements, ses branches, ses écoles, son histoire et son évolution, le Droit musulman se caractérise par une pluralité déroutante mais il n’en demeure pas moins vrai que les concepts de sa terminologie les plus galvaudés aujourd’hui, particulièrement, par les médias, peuvent être, aisément, saisis, aussi bien dans leur sens que dans leur portée.
En réalité, il arrive, fréquemment, que des spécialistes des droits de l’homme dévoilent une méconnaissance ou une incompréhension du sujet quand ils manient des notions telles que le ‘’ fiqh’’ ou la ‘’ shari’a’’
Il convient, sur ce point, de souligner que la Shari’a qui signifie littéralement ‘’ chemin tracé ‘’ englobe, exclusivement, les normes qui sont prescrites par le Coran et la Sunna, lesquels sont les deux sources principales du Droit musulman ou Fiqh.
Sur la base de ces deux sources principales et de deux autres sources dites secondaires (Qiyas ou raisonnement par analogie et Ijtihad ou effort créatif des normes), les Fuqahas
(jurisconsultes de l’Islam) des différentes écoles ou rites, ont eu à élaborer la science du fiqh. Ce concept rendu par le terme Droit musulman signifie ‘’compréhension approfondie voire pénétration dans la substance des choses ‘’.
Or il semble que les interprétations , parfois erronées mais souvent sinon toujours controversés, du Droit musulman font l’objet d’une sempiternelle incompréhension, surtout en ce qui concerne les questions liées aux droits de l’homme.
Une incompréhension historique sur l’esclavage en Mauritanie
Dans le registre des interprétations erronées du Droit musulman traditionnel, il convient de citer, en premier lieu, le cas typique de la question de l’esclavage en Mauritanie qui fait l’objet d’une incompréhension historique.
En effet, la triste réputation de la Mauritanie d’être ‘’le dernier pays esclavagiste’’ de la planète est souvent mise en exergue par certains experts ou militants de droits de l’homme pour pointer du doigt le Droit musulman classique, notamment, en mettant en exergue les contenus des ouvrages du fiqh relatifs au statut de l’esclave.
Pourtant dans sa fondation, l’Etat mauritanien a été bâti, juridiquement parlant, sur l’inexistence du phénomène de l’esclavage.
En s’engageant, solennellement , à respecter la Déclaration universelle des Droits de l’homme ainsi et en adoptant, constitutionnellement, les principes républicains impliquant l’égalité des citoyens devant la loi, l’Etat mauritanien a, d’emblée, exclu toute forme d’asservissement.
Au plan légal, la République Islamique de Mauritanie est, donc, en mesure de considérer que sa raison d’être est antinomique avec l’esclavage, lequel appartient à l’Histoire des institutions. C’est, à juste titre, cette vision progressiste qui a été reprise dans une
circulaire adressée le 16 mai 1966 à l’administration territoriale par le ministre de la Justice, Garde des sceaux, Mohamed Lemine Ould Hamoni. Aux termes de cette circulaire intitulée ‘’disparition de l’esclavage ‘’, le Ministre signala aux autorités régionales et départementales que son ‘’ attention est quotidiennement attirée par la survivance des pratiques esclavagistes incompatibles avec la constitution et les lois de la République Islamique de Mauritanie’’.
Après avoir rappelé les principaux textes qui interdisent l’esclavage, notamment la constitution du 20 mai 1961, le code du travail, le code pénal, il s’est exprimé en connaissance de cause sur l’invocation du Droit Musulman en précisant qu’il n’ignore pas que «certains Mauritaniens prétendent que cette législation est contraire aux préceptes du Coran qui, selon eux, justifie l’esclavage. A ces attardés, vous voudrez bien observer que leur interprétation du livre sacré est erronée ».
Malheureusement, la disparition légale de l’esclavage, assez tôt, annoncée par l’Etat mauritanien fut contredite par l’annonce spectaculaire de son abolition par l’ordonnance du 5 juillet 1980.
Il est regrettable que cette annonce, faite dans une louable intention politique tenant, disait-on, à la volonté de décourager les auteurs des pratiques esclavagistes, soit accompagnée d’une interprétation restrictive des règles du Droit musulman.
Au final, cette interprétation restrictive n’a pas pu être appliquée car elle tendait à reconnaitre une pratique éhontée, injuste, exclue par les textes fondateurs de l’Etat et par-dessus tout dépourvue de légitimité islamique.
De toute manière ce vieux débat a été clos avec la criminalisation des pratiques esclavagistes et sur ce plan, il est permis de dire que les règles établies par les Jurisconsultes (Fuqaha ) par rapport au statut de l’esclave sont, pour le Droit mauritanien actuel, réputées non écrites. Ces règles relèvent désormais de ce qu’il est convenu d’appeler l’Ancien Droit.
En pratique, l’ accusation d’esclavagisme, injustement, lancée en référence au Droit musulman traditionnel fait partie de cet ’’ arbre qui cache les enjeux des Droits humains‘’ pour reprendre le titre d’un ouvrage publié , récemment, par le Président de la Commission nationale Des Droits de l’Homme, Maitre Ahmed Salem Bouhoubeyni.
Une profonde divergence de vues qui n’exclut pas une convergence
Bien entendu la sempiternelle incompréhension autour des interprétations controversées se note, également, à travers la profonde divergence de vues en ce qui concerne la liberté de religion car celle-ci demeure, aux yeux des experts de droits de l’homme problématique dans le système juridique mauritanien.
En effet, le Droit mauritanien à l’instar de ceux de nombreux pays musulmans qui ont ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lequel garantit notamment la liberté de religion et qui, en la matière, se sont engagés à respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme, contient des dispositions de droit privé, relevant, notamment, du statut personnel et du code pénal qui sont souvent citées par les experts comme étant liberticides, inégalitaires ou discriminatoires envers les non-Musulmans.
A cet égard, les experts des droits de l’homme invoquent des exemples tels que la sanction pénale de l’apostasie, du blasphème ou le statut des femmes musulmanes, l’interdiction pour celles-ci de se marier avec des non -musulmans etc. Mais à y voir de près, il est permis de constater que les diverses controverses qui ont tendance à se focaliser sur le Droit Musulman, relèvent d’un débat complexe qui touche au dialogue des cultures voire à celui des religions.
Mais même sur ce terrain miné, la profonde divergence de vues n’exclut pas une convergence sur les valeurs universelles qui constituent le fondement de l’idée des Droits de l’homme.
En tout cas c’est au nom de son attachement souverain et indéfectible à l’Islam que la Mauritanie apporte , dans sa constitution, son soutien aux croyances clés telles que la dignité de l’homme et l’égalité qui sont, en définitive, la condition nécessaire pour adhérer à l’universalité des Droits de l’homme.
Certes, les questionnements sur les voies et moyens d’appliquer les principes généraux des droits de l’homme ne manquent pas au vu de certaines spécificités du Droit musulman qui font l’objet d’un grand débat entre les islamologues et autres penseurs de l’Islam contemporain mais ces questionnements qui ne concernent pas, particulièrement, le système juridique mauritanien placent l’Islam mondialisé au cœur d’une tumultueuse remise en question d’un ordre mondial bien controversé et ça c’est une autre paire de manches.
Le Calame.info