Le 27 février 2021, Diko Hanoune, Secrétaire général de l’Association des Haratine de Mauritanie en Europe (A.H.M.E.), adressait un message à la Banque mondiale sur les conséquences environnementales, sociales et humaines du projet PARIIS Mauritanie financé par la Banque mondiale.
Monsieur le président,
Diko Hanoune
Permettez-nous de commencer d’abord par vous adresser nos sincères salutations et nos meilleurs vœux. Nous venons à travers cette correspondance attirer votre attention sur le projet régional d’Appui à l’Irrigation au Sahel (PARIIS-MR) financé par votre estimable institution à travers son bras concessionnel, l’Association internationale de développement (IDA) à hauteur de 25 Millions d’USD en partenariat avec le gouvernement Mauritanien pour 2,5 Millions d’USD et les bénéficiaires directs à hauteur de 1,5 Millions d’USD. Le PARIIS est un des premier projet opérationnel de l’initiative Irrigation en préparation dans les Etats et au niveau du Comité Permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS) et ses partenaires, pour répondre aux besoins concrets d’investissements des Etats, et assurer au niveau régional la qualité, l‘harmonisation et la réplicabilité des solutions d’irrigation identifiées et mises en œuvre dans les Etats. Le projet, alors même qu’il est au tout début de son démarrage, engendre de sérieux problèmes pour les populations noires du Sud de la Mauritanie. Et ceci du fait que les populations locales propriétaires des terres et qui habitent dans la zone d’exploitation depuis des siècles n’ont jamais été informées de l’existence dudit projet et non jamais été associées à sa mise en place. Les populations ne comprennent pas pourquoi leurs terres sont accaparées par des promoteurs venus d’ailleurs à travers un financement octroyé par la Banque Mondiale. Dans ce contexte, les populations locales du Sud de la Mauritanie de la plaine de Ferrella, à la surprise générale et sans avoir été informées au préalable, ont vu à l’œuvre des pelleteuses, des tracteurs, et des gros engins dans un élan de destruction massif des cultures, des champs, des routes et des lieux de vie. Et ceci dans le mépris total et en l’absence de toute considération humaine. Dans le désespoir, les populations locales ont entrepris des démarches auprès des autorités nationales afin d’obtenir des informations sur les parties prenantes du projet, comprendre les objectifs du projet et surtout pour avoir des explications pourquoi leurs terres héritées de leurs parents sur plusieurs générations ont été octroyées à des promoteurs agricoles sans concertation préalable. A ce jour, les responsables du projet et l’état mauritanien n’ont donné aucune explication aux populations locales. Cette situation a de fait entrainé des manifestations et des affrontements graves entre les populations locales et les services de sécurité et de maintien de l’ordre de l’état mauritanien. Dans le communiqué relatif au projet PARIIS en question sur le site du CILSS, partenaire de la Banque Mondiale pour la mise en place dudit projet, il est indiqué que : « les cibles directes du projet seront les agriculteurs (hommes, femmes et jeunes). Les systèmes d’irrigation prévus bénéficieront directement aux agriculteurs provenant majoritairement de ménages pauvres, avec un accent particulier sur la petite et moyenne irrigation. Et que Le nombre total des bénéficiaires directs est estimé à 7031 ménages dont 42% des bénéficiaires directs des systèmes irrigués seront des femmes. Les zones d’Intervention sont : Hodh El-Chargui, Hodh El-Gharb, Assaba, Brakna, Gorgol, Tagant, Adrar et Trarza. Il est alors très surprenant que les bénéficiaires du projet ne soient pas informés de son existence et ne soient pas associés aux phase d’évaluation, de concertation et de préparation de celui-ci. La Banque mondiale institution de référence avec pour missions principales : (i) la lutte contre la pauvreté, (ii) l’appui et le soutien des gouvernement locaux pour aider les populations démunies, les jeunes, les femmes à se sortir de la pauvreté et du sous-développement, ne peut pas soutenir en connaissance de cause un projet qui va à l’encontre des raisons de son existence et des missions qui lui sont confiées par ses actionnaires états membres. A travers sa politique environnementale et sociale, lorsque la BM octroie aux gouvernements un financement pour investir dans des projets – tels que la construction d’une route, l’aménagement des périmètres agricoles, la fourniture d’électricité aux citoyens ou le traitement des eaux usées- elle vise à garantir la protection des personnes et de l’environnement contre les impacts négatifs potentiels. Sur la base de ce qui précède, Il est alors très surprenant pour nous que la Banque Mondiale, institution de développement de référence, disposant des mécanismes internes de sauvegardes environnementales et sociales, de l’expertise pour évaluer et identifier tous les risques liés à l’exploitation de la terre particulièrement dans les pays comme la Mauritanie ou la loi foncière est défaillante et est taillée sur mesure au profit des agro-businesses et des groupes d’intérêt et au détriment des pauvres paysans. Les experts de la Banque Mondiales basés en Mauritanie et leurs collègues qui ont été en charge de l’évaluation et de la mise en place de ce projet ne pouvaient pas ignorer l’existence de ces risques. Nous considérons que le processus d’évaluation de ce projet comporte de sérieux manquements et ne respecte pas les engagements de la Banque Mondiale en termes d’information, de concertation, de publicité et d’association des populations locales impactées positivement ou négativement pour le financement des projets dans leurs localités. Pour votre information, le gouvernement Mauritanien a entrepris depuis plusieurs années une politique d’expropriation des terres des populations autochtones du Sud de la Mauritanie au profit des hommes d’affaires et des groupes d’intérêt. Ces groupes d’intérêt ne sont motivés que par des intérêts pécuniers immédiats découlant des financements octroyés pour ce type de projets agricoles. Les objectifs de développement, de durabilité et d’assistance aux populations locales ne figurent pas dans leurs préoccupations. Face à cette injustice subie par les population locales et pour éviter que la situation ne dégénère, nous sollicitons, Monsieur le Président, votre intervention auprès du gouvernement Mauritanien, du CILSS et auprès de l’ensemble de vos partenaires du projet PARIIS afin de : (i) demander l’arrêt immédiat des travaux d’exécution du projet pour donner une chance au dialogue à la concertation, (ii) d’organiser une rencontre avec les populations locales dans le but d’apporter toutes les explications requises en la matière afin de les aider à comprendre les objectifs du projet, les prometteurs, les bénéficiaires et surtout pourquoi leurs terres sont utilisées à des fins pour lesquels ils ne sont pas associés et en fin (iii) d’aider à trouver une solution négociée et durable qui sauvegarde les intérêts des populations de Ferralla, propriétaires des terres, et permettre ainsi d’éviter que la situation explosive actuelle ne débouche sur des troubles et des incidents graves dans la région. Tout en espérant une solution pérenne et durable dans l’intérêts de toutes les parties prenantes, nous vous prions Monsieur le Président de croire en l’assurance de notre considération distinguée.Diko Hanoune
Vous trouverez ci-joint la réponse de la Banque Mondiale :
À l’attention de M. Diko,
Nous souhaitons vous informer que le Département de l’éthique et de la conduite des affaires (EBC) du Groupe de la Banque mondiale a transféré le 23 septembre 2022 au Service de règlement des griefs (GRS) de la Banque, la plainte de l’A.H.M.E. concernant le projet d’Appui Régional a l’initiative pour l’irrigation au Sahel (PARIIS) (P154482) en Mauritanie. Le GRS offre aux personnes et aux communautés un moyen facilement accessible de soumettre directement leurs plaintes à l’institution lorsqu’elles estiment qu’un projet financé par la Banque leur a causé ou risque de leur causer un préjudice, ou qu’il a porté ou risque de porter atteinte à leur environnement. Nous avions constaté que la nouvelle plainte reçue le 23 septembre 2022 est une copie exacte de la plainte originale de l’A.H.M.E., datée du 27 février 2021, et qui à l’époque s’adressait au Président et à la direction de la Banque mondiale. En répondant à ladite plainte, l’équipe de la Banque responsable dudit projet a en effet soigneusement examiné la mise en œuvre du projet en ce qui concerne les problèmes que vous avez soulevés, notamment i) l’acquisition de terres, ii) le manque de consultations avec la communauté locale, iii) les conflits sociaux potentiels dans le village de Ferallah a Brakna et l’exclusion potentielle des communautés des activités agricoles du projet. Ensuite, la Banque mondiale a aidé le gouvernement de la Mauritanie à élaborer un plan d’actions complet comportant un calendrier précis afin de résoudre le problème sur le terrain. Les actions entreprises comprenaient la mobilisation d’un médiateur expert pour mener des consultations avec les communautés et trouver une solution acceptable pour toutes les parties. A la suite d’une résolution satisfaisante aux parties plaignantes, le GRS a informé l’A.H.M.E. de cette issue positive le 11 février 2022 (voir pièce jointe), à laquelle nous n’avons reçu aucune réponse. Dans l’optique de l’engagement total de la Banque d’examiner et de répondre aux plaintes, nous souhaiterions de nouveau vous informer des diverses actions entreprises pour renforcer la mise en œuvre du projet en Mauritanie : Le mécanisme de gestion des plaintes (MGP) est déjà établi au sein du projet et est désormais disponible pour les personnes affectées résidant dans la plupart des zones d’intervention du projet. En effet, le MGP a déjà reçu et réglé plusieurs plaintes des individus et des communautés locales. Par ailleurs, 58 comités locaux de gestion des plaintes ont été mis en place et sont fonctionnels. De plus, des comités similaires déjà établis dans les nouvelles zones d’intervention seront en mesure d’offrir leurs services aux communautés locales au plus tard à la fin de cette année. De plus, quatre ONG ont été recrutées pour accompagner les activités de sensibilisation auprès des communautés afin de les informer de l’existence et du fonctionnement du MGP dans les différents sites du projet. En outre, un numéro vert (80 00 10 15) a été mis en place et est disponible à toutes les personnes affectées pour communiquer leurs plaintes. Une campagne d’information sur le but du numéro vert a été largement menée dans les zones d’intervention du projet à travers les radios communautaires et les réunions de sensibilisation. L’information concernant le numéro vert continuera à être annoncée et partagée lors des campagnes de sensibilisation. 5. Ensuite, le processus de screening des instruments du projet pour les investissements potentiels a toujours été renforcé, afin d’assurer une plus grande attention aux aspects sociaux et environnementaux. La Banque mondiale appuie le gouvernement dans son travail avec les plateformes et les communautés locales visant à améliorer la mise en œuvre du projet. Le gouvernement de la Mauritanie continue également à renforcer les mécanismes locaux facilitant la remontée des préoccupations et le partage d’informations. Étant donné que le traitement des plaintes est soumis à des délais, nous vous serions reconnaissants d’accuser réception de cette lettre au plus tard le 10 novembre 2022. Cordialement, L’ équipe de GRS Grievance Redress Service (GRS) 1818 H St. NW, Washington DC 20433 www.worldbank.org/grsEn anglais :
Dear Mr. Diko Hanoune,
The World Bank Group’s Ethics and Business Conduct Department (EBC) referred to the World Bank Grievance Redress Service (GRS) on September 23, 2022, AHME’s complaint relating to the Sahel Irrigation Initiative Support Project (P154482) in Mauritania. The GRS is an avenue for individuals and communities to submit complaints directly to the World Bank if they believe a World Bank-supported project has or is likely to have adverse effects on them, their community, or their environment. We note that the complaint received on September 23, 2022 is an exact copy of the original complaint from AHME, dated February 27, 2021, that was addressed to the World Bank President and Management. On the basis of that complaint, the World Bank team carefully reviewed project implementation in regard to the issues raised by you, including land acquisition, consultations with the local community, potential social conflicts in Ferallah village in Brakna, and potential exclusion of communities from the project’s agricultural activities. The World Bank supported the Government of Mauritania in developing and implementing a comprehensive time-bound action plan for resolving the situation. This included the mobilization of an expert mediator to conduct consultations with the communities, and to find a solution that would be acceptable to all parties. Following a satisfactory resolution of the conflict, GRS updated AHME on this positive outcome on February 11, 2022 (see attached), to which we did not receive any response. In line with the Bank’s full commitment to review and respond to complaints from project stakeholders, we would like to update you on various actions taken to improve the implementation of the Project in Mauritania: The project-level Grievance Mechanism (GM) is now active and accessible to project-affected people in most of the Project intervention areas. The GM has been receiving and resolving complaints from individuals and local communities. 58 local complaint management committees have been established and are functional. New committees are being established in the new areas and will be functional by the end of the year. Four NGOs have been contracted to carry out sensitization and awareness campaigns regarding the existence and functioning of GM in the various project sites. A toll-free number (80 00 10 15) has been established and is available to all stakeholders. An information campaign regarding the purpose of the toll-free number was widely disseminated in the project intervention areas through community radios and other awareness sessions and will continue to be advertised and shared during the sensitization and awareness campaigns. The project’s process for environmental and social screening for the potential investments has also been strengthened, to ensure greater attention to social and environmental aspects. The World Bank is supporting the Government of Mauritania as it works with local platforms and communities to improve project implementation. The Government of Mauritania is continuing to strengthen the local mechanisms for raising concerns and sharing information. Given that complaint processing is bound by timelines, we would appreciate it if you would acknowledge receipt of this letter no later than November 5, 2022. Best regards, The Grievance Redress Service Grievance Redress Service (GRS) 1818 H St. NW, Washington DC 20433 www.worldbank.org/grs