Dans l’ombre des pouvoirs militaires (19) : Deux expéditions en Afrique Nord et Sud. Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

En Afrique du Nord (fin)

Difficile retour : On se mit à préparer notre retour via le Maroc. On tapa à la porte de toutes les agences de voyages. Impossible de trouver place dans un avion pour le Maroc. Comme solution il a fallu changer notre itinéraire pour passer par l’Algérie. L’Algérie en pleine guerre civile était peu fréquentée par le trafic aérien. En survolant Alger la capitale algérienne suspendue aux flancs des montagnes, nous avions remarqué des dizaines d’avions cloués au sol faute de passagers. Un climat de désolation et d’abandon régnait sur le  gigantesque aéroport d’Alger.

On y avait passé quelques deux heures de temps. A  peine trois avions l’avaient survolé. Des étudiants mauritaniens, en début de vacances,  avaient emprunté le même vol que nous en direction de Casablanca. On voulait qu’ils nous informent sur les échos en Algérie des nombreuses actions terroristes rapportées fréquemment par les médias internationaux. Ils nous avaient répondu que, comme nous, ils apprennent les mêmes actions des medias internationaux et qu’ils n’avaient jamais remarqué de pareils événements en Algérie. Au Maroc notre séjour fut facilité par deux bonhommes à l’altruisme sans bornes : Chérif Ould Bah qui nous a hébergés chez lui. Il  représentait  l’Organisation Islamique au Maroc. Quant à l’autre : un monsieur d’une générosité exceptionnelle.  Je l’ai perdu de vue depuis. J’ai compris tout récemment qu’il serait Abdessalam Ould Hourma, l’actuel chef du parti Sawab.

L’agréable séjour au royaume chérifien : Tous les deux sont des parents de mon ami Ethfagha. Abdessalam qui représentait à l’époque l’Action pour le Changement(AC) de Messaoud Ould Boulkheir, n’avait pas hésité à  nous accompagner dans notre tâche, nous servant de guide, durant tout notre séjour au Maroc. Chérif Ould Bah appartient à la famille spirituelle de mes parents. Il  m’avait profondément marqué par son intelligence. Chérif, à propos de la situation politique en Mauritanie, ne cessait de nous bombarder avec cette remarque : « Je comprends que tel opposant historique tient un discours d’opposition. Mais ce que je ne peux absolument comprendre est que quelqu’un, comme « tel », connu pour son passé de docilité au système installé depuis 1960 dans notre pays, se permette de nous donner aujourd’hui des leçons d’opposition ! ». « Je me suis toujours demandé si ce dernier croit vraiment à ce qu’il dit et depuis quand il avait appris à parler ainsi! », conclut Chérif. La remarque de Chérif ne plaisait pas du tout à mon ami Etfagha. Pourtant sa remarque me tapa constamment sur les tympans à chaque fois que j’entends un novice en matière d’opposition s’en prendre à un régime qui n’a rien de différent avec un précédent régime qu’il a déjà servi.

Au Maroc on a limité notre mission à l’action de propagande pour notre parti et contre le régime de Ould Taya. A Rabat, nous avions visité la tombe de Mohamed V, le père de Hassan II, célèbre pour sa résistance au colonialisme français. A côté de la tombe de celui-ci, celle   encore vide en ce moment de son fils ainé le roi Hassan II. Ce dernier  a tenu à préparer sa tombe alors qu’il était encore en vie et bien portant.  A Casa, l’autre «  vieille ville française », mon compagnon a eu le privilège de visiter sans moi la prestigieuse grande mosquée Hassan II, la plus grande du royaume. Je ne me souviens pas des raisons de mon absence de cette visite. De toutes façons il semble que la mosquée dite marocaine de Nouakchott, dans laquelle j’ai prié de nombreuses fois, constitue un prototype réduit de celle de Casa. Donc c’est comme si j’avais visité la première.  De même, on raconte  que l’aéroport de Casa constitue à son tour une copie réduite de celui de Charles De Gaulle à Paris. Ce qui pourrait aussi me dispenser de voir ce dernier.

Maroc-Sénégal : kif-kif : Au Maroc, un trait distinctif me frappa dans la rue marocaine. Il s’agit, nonobstant la couleur des visages,  d’une curieuse ressemblance avec la rue sénégalaise. L’influence culturelle du Maroc sur le Sénégal me sauta de prime abord  aux yeux. Le caftan ou djellaba marocain, le bonnet rouge ou rayé en noir-blanc, les babouches de toutes couleurs et autres habits que j’ai rencontrés chez les Sénégalais, sont là dans toute leur splendeur avec des Marocains égrenant souvent leurs chapelets à la manière sénégalaise. La culture sufiste, Tijaniteou Ghaderite, s’exprime de la même façon dans les deux pays.

Des dizaines de mendiants en file indienne, souvent tous aveugles et menés par celui d’entre eux qui avait le privilège d’avoir  un centime de sa vue épargnée par la cécité, sillonnaient, exactement à la manière de mendiants sénégalais, les allées des marchés marocains en chantant en chœur une chanson aux mots arabes mal articulés. Autre caractéristique commune : la monnaie marocaine  le dirham,  trouva son expression dans « le Dérome » sénégalais, l’unité monétaire en Cfa interprétée en wolof, principale  langue nationale du Sénégal. Il semble que le citoyen maure de Mauritanie n’arrive pas à dissimuler sa gêne devant la complicité culturelle affichée entre un citoyen marocain et un citoyen sénégalais face à la forte réserve que le premier exprimait souvent en présence d’un maure mauritanien. En un mot, au royaume chérifien, le sénégalais se sent chez lui alors que le mauritanien, notamment le maure (blanc ou noir) est traité comme n’importe quel étranger.

Le casse-tête Sahraoui : Autre « découverte » au Maroc. Le Maroc avec une population qui atteindra d’ici peu les 40 millions d’habitants vivant sur une superficie de moins 200.000 km2 (évidement moins le Sahara occidental), soit près de 100 habitants au km2,  a toujours cherché à élargir son espace. Cette situation pourrait expliquer en grande partie la tendance à l’expansion territoriale des différents régimes marocains. C’est ce que j’avais tout de suite compris après mon court séjour dans ce beau pays, ancré dans son histoire millénaire.

Depuis,  je soupçonne  qu’il est difficile à  un intellectuel marocain de résister à la tentation de l’idéologie expansionniste. Le peuple marocain a grand besoin de respirer. Malheureusement beaucoup pensent qu’il ne peut le faire à pleins poumons qu’au détriment de ses voisins. En même temps je crois comprendre que l’Algérie, considérant ses rivalités traditionnelles avec son voisin marocain pour le leadership dans la sous-région maghrébine, ne pouvait en aucune manière accepter qu’un pays jugé par elle hostile s’interpose entre elle et la façade Atlantique.

Le « casse-tête marocain »  consiste donc à trouver le moyen magique de stabiliser les populations nomades du Sahara Occidental, populations  habituées à la libre mobilité dans un espace sans entraves frontalières et sans aucune forme d’autorité étatique. L’aspiration de celles-ci à l’indépendance trouve sa source dans cette souveraine liberté du nomade saharien. Une situation presque identique à celle des peulhs sur les deux rives du fleuve Sénégal.

La sagesse mauritanienne : Dans toute tentative sérieuse de recherche de solution au fameux problème du Sahara Occidental, il y’a lieu de prendre en compte tous ces aspects. Toute négligence de l’un d’eux risque, dans le meilleur des cas, de perpétuer la même situation. Avec le temps, la Mauritanie a heureusement compris qu’en aucune manière elle ne pouvait faire partie du problème. Tout au plus elle pourra contribuer à sa solution. Curieusement aucun de nos hommes politiques, nostalgiques du président Mokhtar Ould Daddah ne s’était hasardé à inclure dans son  programme partisan les anciennes  prétentions de la Mauritanie sur le Sahara Occidental. La fameuse « politique de réunification » n’avait pas survécu à son promoteur et sa première victime, le président Mokhtar.

En Mauritanie, traumatisée encore par la guerre du Sahara et  surtout depuis l’irruption du phénomène terroriste dans la sous-région  on cherchait désespérément la paix, la paix ! La paix à tout prix ! Chez nous, aujourd’hui, la paix est la priorité des priorités. Je pourrais bien comprendre  une certaine opinion qui a tendance à proposer de sacrifier, tout au moins provisoirement, le supposé gras mouton de la démocratie pour le compte de la paix dans notre pays, cerné de toutes parts  par de nombreux incendies sur ses frontières.

 

L’ivresse  du  retour en Mauritanie   

L’ivresse d’un passager : A la fin de notre séjour on se rendit à Casa pour prendre le vol Casa-Nouakchott. Ce vol d’Air Algérie a failli nous être fatal. Un passager  mauritanien, un quinquagénaire, d’apparence honnête homme, portant un boubou bleu tout neuf, avec lequel, à quelques reprises,  j’ai partagé le thé chez certaines marchandes mauritaniennes à Casa et à Rabat. Il donnait l’impression d’être un homme  jouissant d’une certaine sagesse. En plein vol  il se leva de son siège. Il se mit à se balader  dans les allées.

Il aborda dans leurs sièges plusieurs passagers, des jeunes femmes pour la plupart. Quelques minutes avant l’embarquement, je l’avais remarqué au bar de l’aéroport. Tout indiquait qu’il s’était gavé d’alcool. Les membres de l’équipage de l’avion d’Air Algérie prirent aussitôt conscience de sa situation et surtout du danger qu’il puisse présenter. Dans ses déplacements anarchiques il fut escorté en permanence par deux d’entre eux. Une fois il demanda à voir le pilote de l’avion dans sa cabine de pilotage.

Son escorte l’accompagna jusqu’à lui. A quelques reprises il regarda par le hublot avant de crier : « allez : venez voir la ville d’Agadir au Maroc », puis un peu plus tard, « la ville de Zouerate en Mauritanie…. ». Les passagers n’arrivaient pas à dissimuler  leur inquiétude. On craignait surtout que dans ses errements il finisse par entrer en conflit au corps à corps avec  son escorte. Ce qui pourrait déstabiliser l’avion en plein vol. Heureusement les choses n’en étaient pas arrivées jusque-là.

Tous  poussèrent un ouf de soulagement après l’atterrissage à l’aéroport de Nouakchott. Ils se pressèrent pour quitter l’avion après que tout danger fut écarté depuis qu’il s’est immobilisé au sol. Nous avions foulé de nouveau le sol mauritanien. Nous étions plus que satisfaits d’abord de notre retour sains et saufs, satisfaits aussi de notre recette politique considérant que nous avions fait connaître notre parti au sein de nos communautés d’immigrés  dans trois pays du Maghreb. Nos chefs politiques, les initiateurs de notre mission, n’étaient pas de cet avis. Pour eux toute  activité politique qui n’apportait pas de nouvelles voix pour le congrès était considérée comme insignifiante et sans aucun intérêt.

Mini-mission à Zoueirat : Avant de me programmer pour une nouvelle mission à l’extérieur, je me rappelle avoir accompagné un autre ami dans une mission d’implantation du parti à Zoueirat.  Notre mission se limitait uniquement à la ville de Zoueirat. Mon compagnon porte le nom de Yaaghoub, un ancien officier de la marine nationale. Au début des années 1970,  il avait lui aussi milité au sein du Mouvement National Démocratique (MND). Il se pourrait qu’il ait eu des ennuis politiques qui seraient à l’origine de son départ, probablement « involontaire », de la marine.

On était descendu  chez le nommé Datt Omar, un jeune employé, cadre à la SNIM. Je ne le connaissais pas avant. C’était un garçon jouissant d’une grande intégrité morale.  Dans son activité politique et syndicale, il était secondé par Khalidou Moussa,  un employé de la société minière, un ancien promotionnaire du secondaire. Dans ce début  de l’année 1996, l’influence politique de l’UFD /EN dépassait à peine quelques 200 travailleurs de la SNIM de Zoueirat, presque tous négro-africains, sympathisants principalement au MND. Ce qui pourrait être à l’origine d’un certain découragement de mon compagnon Yaaghoub. C’était à Zoueirat que je découvris qu’il était plutôt assez proche des amis d’Ahmed Ould Daddah. Il retourna très tôt à Nouakchott. Il me disait qu’a priori il me faisait confiance. Il promettait qu’il apposera sa signature à côté de la mienne dans le procès-verbal final  clôturant  notre campagne d’implantation à Zoueirat.

Mission inutile : Malheureusement il oublia vite cet engagement. Ce qui va amener la direction du parti à initier l’envoi d’une deuxième mission  chargée de réviser l’implantation que j’avais effectuée pratiquement seul à Zoueirat. Ils ne m’avaient rien expliqué. Peut-être, comme j’avais conclu dans une note écrite de protestation contre l’envoi d’une nouvelle mission d’implantation à Zoueirat: « hajetoune vi nefssi yaghouba », comme dit un proverbe arabe. Littéralement : « pour une raison  intime dans le subconscient de Yaaghoub ».  La mission du parti était venue dans l’avion qui devait me ramener à Nouakchott.

Elle était composée uniquement de Khadijetou Diallo,  cadre dirigeant du MND. Je l’avais  croisée dans l’avion  qui devrait me ramener à Nouakchott. J’escaladai les escaliers de l’avion au moment où elle en descendait. Elle voulait me retenir pour continuer avec elle sa nouvelle mission. J’avais catégoriquement refusé. Je lui avais expliqué que matériellement il n’y avait plus rien à réviser.

Deuxièmement, pour des raisons de santé  je ne pouvais plus passer une seule nuit à Zoueirat. En effet, depuis quelques jours une terrible vague de chaleur  s’abattait sur la ville. Au début de notre arrivée il faisait encore frais. On était complètement dérangé par des vagues interminables de mouches le jour et de moustiques la nuit. Puis brusquement la canicule s’installa. Elle  décima  entièrement ces petits insectes  plutôt « domestiques » quand on considère qu’ils ne cessaient de vivre avec l’homme en même temps que ses troupeaux d’animaux  ou son chien  ou son chat de compagnie.

Ces derniers jours, tout indiquait que la canicule   s’en prenait cette fois-ci aux personnes.  Les maisons des cadres possédaient des murs doubles avec climatisation. Celles des ouvriers n’en possédaient point. Les chambrettes de leurs petites maisons au toit en zinc brûlaient à faire cuir toute main nue qui se hasardait à se poser  pour une fraction de seconde, même sur leur façade intérieure. Depuis deux jours, uniquement à cause de la chaleur,  je souffrais de maux de tête insupportables. Raison pour laquelle je pris la décision d’achever rapidement ma mission pour fuir Zoueirat  pendant que j’étais encore en vie. La nouvelle missionnaire du parti rebroussa chemin aussitôt. Les amis l’avaient convaincue de l’inutilité de procéder à  une nouvelle  implantation du parti à Zoueirat.

(A suivre)