Avec la libération massive de prisonniers, parmi lesquels des terroristes connus, Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) impose son leadership au sein de la mouvance djihadiste et s’impose comme un interlocuteur incontournable du pouvoir malien.
Le rayonnement d’AQMI s’explique d’abord, ces derniers mois, par le recul du mouvement armé concurrent, l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS), cible prioritaire de l’armée française depuis le sommet de Pau, où Emmanuel Macron avait convoqué les Présidents des pays du G5. Ainsi l’EIGS a perdu son chef militaire, le Sahraoui Abdel Hakim, donné pour mort après une frappe de la force Barkhane contre un convoi de plusieurs véhicules le 17 août à Tamalate, au Mali.
Fort de ses succès militaires, AQMI soigne le moral des troupes, en démontrant sa fidélité aux combattants, même de deuxième rang. La libération de 204 détenus conforte sa popularité. Dans un communiqué publié après l’échange et traduit par notre confrère Wassim Nasr, l’organisation militaire invite les « savants, professeurs, moudjahidines, soutiens et autres, dans les prisons des pays arabes et occidentaux » à rester patients. « On ne vous oublie pas et nos épées ne seront pas rangées avant de vous libérer »
AQMI a, par ailleurs, renfloué ses caisses, avec les rançons fraîchement gagnées (entre 10 et 20 millions d’euros selon les sources). Le grand méchoui renvoie, dans ces rudes contrées, une image d’opulence.
AQMI démontre aussi son unité sur le terrain. Sur les mêmes images, on voit, en effet, assis côte à côte, priant ou se faisant l’accolade, des hommes d’AQMI et de Morabitoune, l’organisation dont Mokhtar Bel Mokhtar était le chef jusqu’à sa mort.
L’unité et la force
Logique, puisque les otages étaient détenus par ces deux organisations, précisément. Trois sur les quatre (Sophie Pétronin, Soumaïla Cissé et Nicola Ciacchio) étaient entre les mains du groupe commandé par Talhat Al-Libi (AQMI). C’est lui, autour de la table de jeu, qui avait la main décisive, car les autorités maliennes, que ce soit le Président Ibrahim Boubacar Keita ou la junte qui l’a renversé, étaient prêtes à beaucoup de concessions pour libérer Soumaïla Cissé, le chef de l’opposition. Dans un audio en langue peule diffusé au lendemain de son enlèvement, un ravisseur de l’homme politique malien s’en vantait déjà: « Soumaïla est un très gros poisson. Nous en retirerons beaucoup d’argent. Nous exigerons que nos cadres soient relâchés. »
L’otage française Sophie Pétronin permettait, elle, de neutraliser la France dont le potentiel de nuisance sur le processus de négociation était réel. Or malgré la volonté aujourd’hui de se démarquer des termes de cet échange otages contre prisonniers, les autorités françaises ont laissé faire l’ex Président Ibrahim Boubacar Keita, qui avant la h-junte militaire avait démarré ces négociations avec les groupes armés.
De l’autre côté, engageant l’Italie et le Vatican, qui aurait, selon certaines sources, payé 10 millions d’euros de rançon, le prêtre italien Pier Luigi Maccalli était, lui, détenu par Abou Walid Sahraoui, actif au Niger, où le religieux avait été enlevé en septembre 2018.
Bien qu’ayant officiellement rallié l’Etat islamique alors qu’il appartenait à Morabitoune, Abou Walid n’a jamais quitté le redoutable groupe responsable des attentats meurtriers de Bamako, Ouagadougou et Grand Bassam. Il a joué sa carte, lui-aussi, autour de la table. Sans se démunir totalement puisqu’on lui impute les enlèvements du Roumain Lulian Ghergut, au Burkina Faso, en 2015 ainsi que celui de l’Américain Jeffrey Woodke, au Niger, l’année suivante. Les deux hommes sont toujours retenus en otages. Ainsi que l’Australien Ken Elliott, qui aurait, lui, été enlevé à Djibo, au nord du Burkina Faso, en 2016, par l’autre branche de Morabitoune dirigée par Belmokhtar.
Depuis la mort du charismatique émir algérien, on ne sait pas qui est le chef de cette organisation qui détient donc toujours trois otages occidentaux. Abou Walid ne figure pas sur l’album de famille. Il se trouverait actuellement dans le sud de la Libye.
Yiad Ag-Ghaly, figure paternelle et éminente, trône en blanc
Celui qu’on voit, trônant au centre de plusieurs photos, c’est le vieux chef touareg Yiad Ag-Ghaly vêtu comme un imam d’un boubou et d’un chèche immaculé, figure paternelle et éminente. Il est toujours l’émir d’Ansar el Dine et dirige la faitière d’AQMI au Mali, le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans, qui coiffe toutes les autres organisations et en assure la promotion politique et surtout, locale. Malien, Azawadien, il incarne AQMI au Sahel. Sans avoir directement participé au jeu.
A sa droite, sur une photo, on peut voir l’artificier algérien d’AQMI, Taher Abou Saad, lunettes noires et chèche kaki, qui a perdu un bras et la vue en manipulant une bombe : une figure historique de l’organisation, qui devait bientôt être jugé par la cour d’assises. A sa gauche, l’ancien commissaire islamique de Gao, Aliou Mahamane Touré, condamné l’année dernière à dix ans de prison.
Une autre star djihadiste identifiée presque à coup sûr sur les photos, qui figure bien sur la liste des 204 prisonniers libérés, est l’imam Mahamoud Barry, ancien cadre militaire d’Ansar Dine proche d’Amadou Kouffa, le chef du Front de Libération du Macina.
Ces images pleinement assumées, à visage découvert, sont très rares. Les terroristes maliens ne se cachent plus.