Entretien avec le Professeur Lô Gourmo, vice-président de l’Union des Forces de progrès (UFP)

Entretien avec le Professeur Lô Gourmo, vice-président de l’Union des Forces de progrès (UFP) Le CalameVotre parti, l’Union des Forces de Progrès (UFP), a tenu les assises de son 4é congrès ordinaire du 28 au 31 août dernier, sous le thème de « la clarification et du renouveau ». Quelles appréciations en faites-vous et quelles sont les principales décisions issues de cet événement ?

Lô Gourmo : Ce Congrès restera, à tous points de vue, dans les annales de l’histoire de notre parti, l’un des plus importants au plan politique et organisationnel et le plus réussi au plan de son déroulement, en dépit du corona et des tentatives multiformes de le saborder de la part de certains de nos anciens camarades et des milieux aziziens en plein désarroi.

Pour les uns et les autres, le Congrès devait être une occasion rêvée de tirer un trait sur un parti décidément dérangeant et devenu insupportable pour eux, en le disloquant de l’intérieur, tout en cherchant à le délégitimer, de l’extérieur.

Des renégats connus depuis l’époque du MND à l’ex Ministre agitateur Izidbih, en passant par de vilains blogueurs thuriféraires de l’ex dictateur… tout le ban et l’arrière ban de la galaxie azizienne a rayonné de mille feux pour ternir l’image de ce congrès, après avoir échoué à l’empêcher.

Même par voie de justice, et rétroactivement ! Peine perdue. Donc la tenue et la réussite de ce Congrès est une très grande victoire des forces démocratiques et patriotiques du pays. C’est un évènement qui dépasse de loin en portée, la seule vie normale d’un parti.

Il cristallise la lente émergence d’un nouveau contexte politique et probablement une autre reconfiguration de l’arène et des jeux politiques dont les acteurs, à leur tour, se repositionnent graduellement en raison de ce nouveau contexte.

Toute la classe politique a été représentée à ce Congrès, majorité comme opposition. Le message du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi à l’adresse du parti et du président Mohamed Maouloud fut un moment fort et porte témoignage de cette évolution en cours. De même la Déclaration du RFD en cette occasion…

Donc, ce Congrès renforce le camp démocratique et patriotique du pays et contribue à clarifier la situation après l’échec cuisant de la tentative des aziziens de reprendre du poil de la bête lors de l’épisode lamentable de « la crise des références » en octobre et novembre dernier. C’est la principale réussite politique du congrès.

Au plan interne, ce congrès a apporté une autre clarification : montrer à une opinion publique déroutée par des mois et des mois de campagne d’intoxication et de falsifications sans retenue des faits, quel est l’état réel de ce parti auquel beaucoup de monde est subjectivement très attaché même sans y adhérer.

280 et quelques délégués, plus de 400 voix, pour 47 moughataa représentant plus de 23 000 adhérents au terme d’une campagne d’implantation de plusieurs mois. Ces délégués « fantômes » tout le monde a pu les voir pendant 3 jours, débattre dans des ateliers au siège du parti et voter au Palais des Congrès.

Ce sont des ouvriers, des paysans, des cadres, des jeunes, des vieux, des femmes de tous horizons, de toutes nos ethnies venus de toutes nos régions. Ceux de nos anciens camarades qui misaient sur une participation squelettique à une « mascarade »,pour justifier après coup leur invraisemblable dissidence, en sont pour leur frais.

D’un seul coup, les « bases » du parti comme ils aiment s’y référer, administrent une belle leçon universelle : la vérité est dans les faits et non dans les affirmations creuses et les déformations.

La 2ème clarification tient à notre discours, notre ligne, notre orientation stratégique et nos positions politiques actuelles sur le pays et sur le monde qui nous entoure. Le Rapport Moral du Président a fait le point sur la situation interne du parti.

Il a décrit en détails les coups bas dont notre parti a fait l’objet, la tentative de liquidation qui a été menée contre lui, les efforts qui ont été déployés pour éviter d’en arriver à la situation actuelle de départ volontaire de certains vieux militants, malheureusement aveuglés de mille et une manières par leurs propres erreurs d’appréciation, leur individualisme en matière de discipline et leur sensibilité aux manipulations de nos adversaires.

Il a donné notre point de vue sur l’étape actuelle de notre lutte pour une Mauritanie, unie, libre, démocratique, solidaire et prospère. La Déclaration Politique Générale, adoptée à la quasi-unanimité, conforte notre vision, rappelle la nature de notre parti, ses principes fondamentaux, ses racines historiques profondes dans les courants de libération nationale anticoloniaux et anti-néocoloniaux, en particulier le MND, ses perspectives d’élargissement dans les couches populaires opprimées, ses rapports avec le pouvoir et le type de société que nous voulons édifier en tant que parti démocratique, sociale et de masse.

Le quatrième congrès du parti s’est déroulé dans un contexte de profonde déchirure. Un groupe de responsables et cadres au sein duquel on retrouve certaines figures historiques de l’UFP, a même dénoncé un congrès de « l’exclusion » et de « la liquidation ». Quelle est votre réaction par rapport un tel discours ?

Cette page des polémiques est close entre nous. Nous ne sommes plus en discussions entre deux « tendances » mais entre deux partis politiques. Il ne reste à nos anciens camarades qu’à enrichir la scène politique avec une nouvelle formation politique, s’ils se décident enfin à prendre leurs responsabilités. Le congrès ne peut pas « exclure » des cadres dirigeants absents de toutes les instances depuis au moins 8 mois pour leur quasi-unanimité et dont aucun ne s’est présenté au congrès pour n’avoir tout simplement pas voulu couper leur carte de membre !

Quant à la « liquidation », encore une fois, il faut rechercher la vérité dans les faits. Vous les journalistes, vous pouvez aisément rendre compte de ces faits, en ce qui concerne tout au moins l’état de mobilisation lors du déroulement du congrès, et vous pouvez également faire le point sur les chiffres avancés par les uns et les autres pour tenter de convaincre sur la représentativité de chacun.

Quelle évaluation faites-vous du faible score de votre candidat à l’élection présidentielle du 22 juin 2019 ? Au-delà d’un processus électoral verrouillé par les autorités de l’époque, le parti et le candidat n’ont-ils pas une importante part de responsabilité dans cette défaite ?

Ces « scores » dans des élections jouées d’avance sont absolument insignifiants. Le rapport de la Commission d’enquête montre le degré de fourberie et de maîtrise du système de corruption qui a règne dans le pays sous la dictature d’Ould Abdel Aziz.

S’il a contrôlé de cette façon la vie économique du pays, comment voudriez-vous qu’il se comporte sur le plan électoral ? C’est bien parce que M. Ould Abdel Aziz a créé une machine à frauder d’une ampleur sans précédent que notre congrès précédent de 2012 a fait de la lutte contre les élections bidon, l’une des tâches centrales du parti.

Notre tactique de boycott des élections est une application de cette ligne tactique de 2012 en matière électorale. Si nous avons participé aux élections législatives et municipales de 2018 et présidentielle de 2019, c’est parce que le contexte avait été changé par le départ définitif de l’ancien Chef d’Etat dont nous exigions tous qu’il ait lieu comme l’imposait la constitution et comme lui, cherchait par mille et un moyens à l’écarter.

Contrôlant totalement le processus électoral, M. Ould Abdel Aziz a distribué à chacun les « notes » (scores) qu’il voulait, selon ses propres calculs et ses propres appréhensions. De toute la classe politique, Mohamed Maouloud est celui qu’il détestait le plus car c’est celui qui incarnait le plus ses contrevaleurs : constance, probité, sens du devoir envers les autres et de l’unité pour notre nation.

Ce fut son plus ardent opposant. Le seul qu’il n’ait jamais rencontré depuis les fameux Accords de Dakar en 2009. Et aujourd’hui encore, nous sommes sa cible principale ! Voilà pourquoi il a voulu coûte que coûte empêcher le Président de notre parti et candidat d’une vaste coalition patriotique populaire, de se présenter, en lui refusant tout parrainage par les édiles UPR, contrairement à ce qu’en a dit le Président de IRA, M. Biram Dah Ould Abeid. Sans parler du véritable embargo financier qu’il a imposé aux hommes d’affaires en matière de financement, nous concernant.

Donc, seuls les naïfs et les gens de mauvaise foi pourraient croire à cette farce des 2% ! Lors de sa dernière conférence de presse, Ould Abdel Aziz nous le confirme directement : ce sont les « Kadihines » (l’UFP actuelle, dans ses propos) furent ses ennemis stratégiques.

En même temps et très curieusement, nous faisions l’objet d’une véritable campagne de destruction massive de la part d’une toute petite minorité de cadres très connus, décidés de quitter le parti après l’avoir purement et simplement disloqué. Une de nos ex camarades de direction, a présenté publiquement la candidature du Président du parti, comme « un suicide » alors même que l’instance de direction à laquelle elle appartenait (le Comité permanent) avait retenu sans aucune opposition, sa candidature pour la proposer au Bureau exécutif.

En fait, c’est à une véritable tentative d’assassinat politique dont a fait l’objet le Président Maouloud. Ils avaient un parti à l’intérieur du parti et ce parti avait pour première tâche de paralyser nos efforts et notre action. A tout cela s’ajoute notre impréparation matérielle et nos difficultés financières pour faire face aux défis électoraux quand la plupart de nos autres concurrents se faisaient allégrement et généreusement financer par des mécènes.

Quel bilan faites-vous d’une année du président Mohamed Cheikh El Ghazouani aux commandes de la Mauritanie ?

Etrangement cette année rappelle une des périodes par laquelle est passée la présidence de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, lorsque, rompant avec les chaînes de ses soutiens militaires, il amorça un virage démocratique, en débutant par une décrispation d’une scène politique tendue par son élection parrainée par ces mêmes militaires.

A l’époque, il y’avait le Basep, géré comme une milice par Mohamed Ould Abdel Aziz et instrumentalisé pour s’attacher par la terreur, les services d’une grande partie de l’Assemblée Nationale et du Sénat.

Sidi ould Cheikh Abdallahi tenta de forcer le destin et d’opérer le changement démocratique du système dont il avait été l’héritier direct. Il fut interrompu dans son élan et renversé par son « parrain ». Aujourd’hui le contexte n’est plus le même.

En face d’un Général Aziz hors présidence, démuni de Basep et à la recherche d’un parti à utiliser comme arme, il y a un autre Général, moins martial et moins arrogant certes mais un Général qui, de surcroît, connaît ses fourberies. Quoi qu’il ait espéré ou qu’il puisse espérer, la donne a changé du tout au tout.

La création de la Commission d’enquête parlementaire et l’amorce d’un rapprochement entre les différentes formations politiques du pouvoir et de l’opposition pour tenter de sortir le pays de l’impasse en sont des indices concordants. De même que le changement de discours du Chef de l’Etat et de son Gouvernement vis-à-vis de la question centrale des concertations nationales sur les grandes questions qui préoccupent le peuple.

Pour le reste, nous pensons que la bonne volonté affirmée et les gestes symboliques très importants en soi, ne sont pas cependant, suffisants pour sortir le pays de la situation de grande morosité économique et sociale qu’il traverse avec en plus cette pandémie qui accentue toutes les crises. Il faut des mesures fortes, de rupture avec le passé, en matière de gestion et, plus généralement, de gouvernance.

Il y’a tant de déséquilibres essentiels à corriger que toute poursuite du statu quo sur les grandes questions qui se posent à nous, serait dangereuse à terme. Et bien plus difficile à rectifier. Il en va ainsi de la question du rétablissement de la confiance entre l’Etat et la plupart des opérateurs économiques mis à la touche par le seul Chef d’Etat-homme d’affaires que le pays ait connu.

Il en va ainsi du rétablissement des équilibres inter et entre nos communautés que le régime de Aziz s’est attaché à pulvériser de mille et une manières au point de créer un sentiment de très profonde révolte sourde au sein des communautés victimes, sentiment qui pourrait déboucher sur une situation de chaos.

Donc sur toutes ces questions, notamment l’esclavage, le passif humanitaire et les discriminations, le partage plus équitable et plus productif des richesses, la lutte contre les spoliations notamment foncières dans la Vallée etc., l’attente est grande et le Gouvernement est attendu avec impatience pour tourner la page de la paralysie et même de la régression.

Quel est le point sur l’enquête préliminaire ouverte après la transmission à la justice, le 05 août dernier, d’un rapport établi par une Commission d’Enquête Parlementaire (CEP), dénonçant la corruption dans l’attribution de 109 marchés publics pendant la décennie de gouvernance de l’ancien président, Mohamed ould Abdel Aziz, qui a valu à ce dernier une mesure de garde à vue du 17 au 24 août dernier ? Malgré des convocations répétées de plusieurs personnalités par les limiers de la police chargée de la répression des infractions à caractère économique et social, on a le sentiment que ça cale ?

Je ne puis rien dire au sujet de ce qui se passe en matière d’investigations policières qui semblent se poursuivre sans relâche. Je constate seulement que, pour le moment, les droits des uns et des autres sont respectés, même à écouter en ondes ultrasons, M. Izidbih qui s’est découvert subitement une qualité qu’on ignorait de lui depuis plus d’une décennie : défenseur des Droits humains et spécialement celui des droits de la défense.

Il s’agit de dizaines et de dizaines de dossiers révélés par les enquêtes parlementaires de crimes économiques d’une ampleur inédite. Donc, les autorités compétentes doivent y consacrer le temps nécessaire pour faire toute la lumière, tout en veillant au respect rigoureux du droit des personnes directement concernées, y compris leur statut de personnes présumées innocentes.

Au bout du compte, en toute transparence, le parquet devra décider de la suite à donner : classement sans suite ou mise en accusation. Il n’y a rien qui indique, au vu de l’expérience du parquet et compte tenu de l’imbroglio naturel de ce genre de dossiers, qu’il y’ai piétinement dans la procédure préliminaire en cours au parquet des crimes économiques.

Que dit cet article 93 de la constitution auquel s’agrippe l’ancien président de la République pour ne pas répondre aux enquêteurs de la police anti-corruption ?

Les activités criminelles, de « simple » délinquance, ne rentrent pas dans le cadre défini par l’article 93 de la constitution. La Haute Cour de Justice est réservée aux actes de haute trahison accomplis dans l’exercice de la fonction présidentielle.

Voler, piller, faire du trafic de drogue ou d’influence, ne pas payer les impôts ou blanchir de l’argent ou en faire le recel, ne constituent pas des actes « accomplis dans l’exercice de la fonction présidentielle ». Etre un délinquant mafieux c’est ne pas être un Président de la République en exercice mais agir comme un citoyen ordinaire en faute avec le code pénal ! Donc ce dont est accusé Aziz par le rapport de la CEP c’est d’avoir eu une telle conduite délinquante. La police étayera ou contestera.

Cela n’empêchant en rien que soit également en cause, soit dans les dossiers en cause soit dans d’autres, des faits susceptibles d’être qualifiés de Haute Trahison au titre de l’article 93 si l’Assemblée Nationale par la suite devait mettre en œuvre le processus d’accusation pour Haute trahison prévu par la constitution et la loi organique d’application.

Un collectif de 60 avocats pour défendre les intérêts de l’Etat, qui devrait se constituer partie civile en cas de poursuites des présumés auteurs des faits incriminés dans le rapport de la CEP. Une partie de l’opinion qui juge ce nombre élevé. Comment vous justifiez une telle armada qui regroupe la crème du barreau ?

L’opinion est tellement facilement manipulable ! 60 ou 80 avocats pour combien de dossiers ? Il s’agit de « dossiers » extraordinairement complexes avec des tenants et aboutissants non seulement internes au pays mais aussi à l’étranger.

Qui va fouiller tout ça, décrypter, étudier profondément les cas, les comparer avec d’autres, dépouiller la jurisprudence et même faire la comparaison avec des cas similaires dans le monde, accompagner la société civile, etc. Par ailleurs, ces avocats pourraient par exemple rejoindre et renforcer les avocats déjà en exercice pour l’Etat et les autres collectivités et entreprises publiques (communes, Ports, Snim, etc). En soi donc, le nombre d’avocats annoncé n’a rien d’abracadabrant.

Il faut focaliser l’attention sur des choses importantes et non la dévier sur des détails. Le peuple attend la justice et le reste du monde nous observe. Ce n’est pas le moment de céder à des manœuvres de diversion…

Propos recueillis par Seck Amadou

Source : Le Calame (Mauritanie)