Entretien avec M. Samba Thiam, président des forces Progressistes du changement (FPC)

Entretien avec M. Samba Thiam, président des forces Progressistes du changement (FPC)La justice a démarré des enquêtes sur les cas cités dans le rapport de la CEP. Plusieurs personnalités dont l’ancien président Aziz ont été auditionnées, mais aucune d’entre elles n’a été placée sous mandat de dépôt. Que vous inspire cette espèce de feuilleton d’été ?

Samba Thiam: On est, je crois, placé sous mandat de dépôt, en général, quand toute la procédure est épuisée et que les preuves de votre culpabilité sont dûment établies, mais encore et surtout, quand les magistrats ne sont soumis à aucune pression externe et travaillent en toute liberté et conscience…

Que cette mise sous dépôt tarde toutefois de façon excessive, malgré des charges accablantes avérées pour certains, justifie le doute qui saisit déjà un bon nombre de mauritaniens, qui n’y croient plus vraiment et pensent, à juste raison peut-être, qu’il ne s’agirait là que d’une mise en scène grossière, un canular pour amuser la galerie, à la fin duquel les vieux compères finiront, sans aucun doute, par se retrouver.

– Parlons des convocations répétées de l’ancien président par la police des crimes et délits économiques. Que vous inspirent ces va-et-vient ? Pensez-vous que la justice sera rendue à l’Etat et aux mauritaniens pour les préjudices qu’ils ont subis, selon le rapport de la Commission d’enquête parlementaire (CEP)?

– A mon sens, ce va-et-vient ne peut traduire que deux choses : soit l’on ne sait pas où l’on va, soit l’on hésite encore à saisir le taureau par les cornes, à engager le fer avec l’ami de 40 ans ; ceci, par ailleurs, dénote, quelque part, que notre justice n’est pas encore tout à fait libre et indépendante, en dépit de ces professions de foi entendues ici et là.

Est-ce que la justice sera rendue aux mauritaniens pour les préjudices subis, me demandez-vous ? Je ne saurais vous répondre, car la difficulté avec l’actuel gouvernail, c’est qu’on a l’impression d’être dans une sorte de halo, dans un moment crépusculaire. Rien ne se distingue ni ne s’affiche clairement, comme pour brouiller les pistes … Voilà qui rend donc difficiles et la perception et une lecture claire et limpide des choses en ce moment.

C’est en pleine agitation autour de la remise au gouvernement du rapport de la CEP que le président Ghazwani a marqué l’an I de son premier quinquennat. Avez-vous remarqué une rupture entre lui et son prédécesseur dans la gestion des affaires publiques ? Si oui laquelle ? Sinon quels sont les points de similitudes entre les deux amis de 40 ans ?

-Rupture dites -vous ? le mot me semble un peu fort et impropre pour décrire la situation. Je parlerais plutôt de détente. Sous l’ère Ghazouani , nous assistons, en effet, à une décrispation dans les rapports politiques, apaisés et assainis, entre le Pouvoir et l’Opposition. Cela est indéniable.

Entre les deux présidents, je note une différence nette de personnalités, de méthode ou de style ; celui de marabout marqué par la courtoisie, beaucoup de tolérance, à l’opposé de l’arrogance et du mépris affichés du général Abdel Aziz vis-à-vis de tous ceux qui osaient relever la tête. Assez de tolérance et de patience de la part de Ghazouani, pour accorder à Aziz le bénéfice de l’application des règles de droit, règles que le ‘’Président des pauvres’’ méprisait hautainement, punissant et embastillant ses opposants justes pour le plaisir ou par esprit de revanche…

Faut-il s’embarrasser de formes ou de règles avec quelqu’un qui s’en moquait royalement ? La question reste ouverte…Une nouveauté, à l’actif du nouveau locataire de la maison brune, l’amorce, comme pratique, d’un contrôle de l’action gouvernementale.

Là, donc, s’arrêtent leurs différences, me semble-t-il… Pour le reste, je constate plutôt une similarité dans la poursuite et la pérennisation du Système. Il suffit, pour s’en convaincre, de revoir toutes ces nominations et tous ces résultats de concours dans l’année 2020, dont le dernier en date, était relatif au recrutement d’élèves officiers. Je vous fais l’économie de ce qui se passe dans les autres secteurs…

Non, il n’y a pas rupture mais continuité dans le fond …

– Entre les amis de 40 ans la rupture est semble-t-il consommée. En êtes-vous surpris ou non ? Pourquoi ?

. Je ne partage pas cette affirmation, comme je l’ai montré plus haut. Au vu de mes observations personnelles, je ne crois pas qu’il se soit produit une rupture, ou alors elle reste à prouver. Mais bon, wait and see, disent les Anglais, le temps finira bien par nous édifier.

– Le président Ghazwani a reçu nombre d’acteurs politiques de l’opposition, mais pas vous. Pouvez-vous nous en dire les raisons ? A votre avis, pourquoi, malgré sa volonté de normaliser les rapports entre la majorité et l’opposition, le président Ghazwani refuse d’accéder à la requête de l’opposition de tenir un dialogue national ?

-Je reformulerais la question autrement ; pourquoi reçoit-il tous les leaders de partis légalement reconnus et ne le fait pas pour Monsieur Ibrahima Moctar Sarr, président de l’Ajd ? Et secondairement, pourquoi jugea-t-il utile de s’entretenir avec des personnalités politiques arabo-berbères, tout court, et s’abstient-il d’échanger avec nous autres, comme acteurs politiques ? Dans la même veine, pourquoi remet-il les victimes de l’arbitraire du Prince ou de l’Etat dans leur bon droit de manière sélective ? Pourquoi certaines victimes et pas toutes ?

Il appartient, je crois, au président Ghazouani de répondre à ces questions-là, pas à moi…

Concernant la deuxième partie de votre question, j’avoue demeurer perplexe comme tout le monde. Le Président prétend se concerter avec chaque acteur politique sur les questions d’intérêt national, mais se cabre dès qu’on évoque un dialogue national, qui constitue, pourtant, une demande générale ; ne dit-on pas ‘’que le Tout est plus que la somme des parties’’ ? Comprenne donc qui pourra ! Si, à défaut de quoi, il prenait, au moins, des mesures fortes, significatives, pour rassurer, on aurait tout compris. Mais rien !

– Quelle lecture avez-vous faite du 2e gouvernement de l’ère Ghazwani ?

-Nous nous attendions, pour marquer la rupture, à un coup de balai, au choix d’hommes rien que de qualité, propres surtout ; mais nous avons assisté à la mise en place d’un attelage fourre-tout. Des gens mouillés, indexés par la CPE, qui restent, malgré tout, maintenus dans l’équipe qui nous gouverne, contre toute logique. Encore de l’hésitation, toujours de l’hésitation, à moins d’une vision de cap brouillée …

– Lors de la mise en place de la CEP sur la gestion de l’ancien président par l’assemblée nationale, certains parlementaires se sont demandés pourquoi elle ne couvrirait pas ce qu’on appelle le passif humanitaire. En vain. Comprenez-vous pourquoi ce dossier qui continue de diviser la Mauritanie n’a pas fait l’objet d’enquête et que les gouvernements précédents refusent d’abolir la loi d’amnistie ?

-Peut-être faut-il le mettre sous le compte d’une stratégie qui se cherche… Certains dossiers étant jugés difficiles et complexes, l’on préfère, par gradation, aller du plus simple au plus complexe, qui sait ? Enfin, quand l’heure viendra, cette loi d’amnistie sera forcément abrogée, forcément !

Que répondez-vous à ceux qui, au sein de la composante négro-africaine, vous trouvent trop radical, ou extrémiste’’ ? jugement qui aurait expliqué ce qui s’est passé lors du choix par la CVE de son candidat à la dernière élection présidentielle ?

– Je crois que ce qu’on me reproche c’est, en réalité, mon franc-parler. Je suis un homme politique et non un politicien, je ne louvoie pas. Que le verbe gêne voire choque parfois, ça se peut…Mais, ‘’ mon propos n’est pas de séduire mais de dire ce qui est ‘’, pour emprunter la formule. Si j’ai été écarté par un lobby et non par la base populaire de la CVE – il faut le préciser – c’est, me semble-t-il, en raison du profil ; le mien s’accommodait mal des compromissions…

– La question de l’Etat civil reste toujours l’une de vos préoccupations. Quelle évaluation vous faîtes de la commission mise sur pied par ould Abdel Aziz ?

– En vérité, cette commission avait été créée, non pas pour résoudre les problèmes des populations, mais pour les besoins d’agenda électoral du Président déchu. Nous avons observé quelques tournées médiatiques tapageuses, sans aucune efficacité, car 3000 dossiers de citoyens dorment à Boghé, des milliers d’autres restent pendants à Nouakchott et dans les régions Sud où, chaque jour que Dieu fait, des citoyens, en file indienne devant les bureaux à partir de 5h du matin, souffrent d’aller-retours sans fin ! Comment expliquer que l’Inde avec son milliard d’habitants ait pu régler son enrôlement biométrique en 4 ans et que la Mauritanie avec ses 4 millions d’habitants peine à le faire, voilà plus de 10 ans ? Il y a une mauvaise volonté manifeste de la part des pouvoirs publics !

D’aucuns affirment que ‘’la Mauritanie a changé’’ depuis l’élection de Ghazouani, c’est votre avis ?

Je respecte toutes les opinions, sans forcément les partager. Pour ma part, je pense qu’on pourrait plutôt parler de détente, sans plus ; changement c’est trop dire ; il est espéré, mais tarde encore à se montrer.

– Quel problème, entre autres, considérez- vous, comme étant un frein au développement du pays ?

Le Problème d’ordre ou, dit autrement, le désordre général ambiant –un fléau – partout présent, qui ne traduit rien d’autre que l’absence de l’Etat. Nous n’avons plus d’Etat, l’anarchie est partout installée ! L’embryon d’Etat que nous avions hérité de Moctar s’est délité, effondré avec les régimes militaires successifs.

Chacun fait ce qu’il veut, comme bon lui semble, en toute impunité ! Sans la restauration de l’ordre -socle de toute chose- il est impossible de redresser ce pays, d’édifier un Etat …un facteur essentiel qui, du reste, semble avoir été omis dans la Déclaration de politique générale du Premier Ministre.

-Vous avez pris connaissance de cette Déclaration ? Si oui qu’en pensez-vous ?

-Oui, je l’ai lue avec attention. Elle s’inspire, pour l’essentiel, du discours d’investiture du Président. Cette déclaration donne l’impression de chercher à épousseter, procéder à quelques retouches techniques, sans toucher à la structure profonde du Système, de sorte à garder les mêmes qui gouvernent tout…On retrouve la même litanie, mystificatrice, sur ’’L’Islam ciment de notre Unité…’’ ; pas un mot sur la prise en compte des langues nationales, alors que ‘’la diversité linguistique est le pivot de la Diversité’’ – diversité que nous prétendons respecter – ; rien que des généralités…

Si je devais en ramasser l’esprit je dirais : ‘’déclaration d’intentions généreuses, beaucoup de bonnes idées, mais diagnostique du mal, sur bien des secteurs, erroné’’. D’où risque de faire fausse route, à nouveau, car l’on sait qu’on ne peut guérir un malade sur un diagnostic mal posé …

-Que pensez-vous de la situation de crise à Darel Barka ?

-Je dois vous dire, d’emblée, que j’ai été ravi de la ferme détermination des populations locales, toutes ethnies confondues, à résister à la spoliation de leurs terres de culture. Je les félicite au passage. J’ai été offusqué, par contre, par l’attitude surprenante des autorités régionales qui se sont comportées, comme du temps des rezzou, tirant des coups de feu pour intimider les villageois ; A

l’opposé, j’ai apprécié la réaction plus posée des autorités supérieures dans la gestion, momentanée de cette crise, totalement différente de celle habituelle du général Aziz, au réflexe répressif. Cela dit, nous devons enfin prendre conscience que la question des terres est une question récurrente, sensible et délicate à laquelle il faut trouver une solution juste et équilibrée ; solution de long terme, juste, associant, nécessairement, les populations concernées.

– On voit très peu de partis politiques à leadership arabo-berbère, comme vous les appelez, lors de vos activités. Quels rapports entretenez-vous avec leurs leaders ? Pourquoi cette méfiance, à votre avis ?

-Vous aussi, manifestement, les appelez comme ça non ?

Nous entretenons de bons rapports en général avec ces leaders …Mais, vous comprendrez que les effets d’une longue diabolisation, sciemment entretenue, ne disparaissent comme ça !

– Où en sont les démarches en vue de la reconnaissance de votre parti, les FPC ?

Elles se poursuivent. Je continue d’interpeler le Président de la Cour suprême à ce sujet, sans grand succès … 4 ans que mon dossier dort sans raison objective dans ses tiroirs ! Aux dernières nouvelles, le verdict aurait été dit, mais reste secret !!! On vous juge, mais l’on se garde de vous communiquer -vous partie civile- le verdict ? Dans quelle République sommes-nous ?

– Et votre régularisation administrative où en est –elle ?

– Toujours au point mort ! L’Etat continue de bloquer, voilà 13 ans, mon dossier de régularisation administrative, légitime, en raison, simplement, de mes positions politiques d’opposant…Je m’en étais ouvert, récemment, au président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme qui s’était saisi du dossier, avec enthousiasme, mais demeure, manifestement, impuissant à le débloquer, voilà plus de 8 mois.

Bref, le recouvrement de mon droit légitime a tout l’air d’être conditionné à mon allégeance politique au Pouvoir. C’est cela ‘’la Mauritanie des droits de l’homme’’…que notre diplomatie bancale s’évertue à vendre à nos partenaires extérieurs, mystifiés !

Le pouvoir vous accuse de réclamer l’alternance au sommet alors que vous le refusez pour vos partis. A quand l’alternance au sommet des Fpc ?

S’il ne tenait qu’à moi il y a longtemps qu’elle se serait produite, et que j’aurais passé le témoin. Croyez-moi.

Propos recueillis par Dalay Lam

Source : Le Calame (Mauritanie)