Depuis le début de 2020, le sort des blogueurs et lanceurs d’alerte, déjà préoccupant sous la gouvernance de l’ancien Président Mohamed Ould Abdel Aziz, ne cesse de se détériorer.
I. Une suite sans fin
1. Le 2 juin, la police procède à l’arrestation de Salma Mint Tolba, biologiste et auteure présumée d’une série d’audio remettant en cause des aspects de la riposte sanitaire du gouvernement ; elle accusait, ce dernier, de gonfler le chiffre des contagions, pour mieux capter l’aide extérieure.
Dans la foulée, deux autres personnes, qui auraient participé à la diffusion de tels document la rejoignent : il s’agit de Mohamed Ould Semmane et Sidi Mohamed Ould Beyah.
Quelques jours plus tôt, un communiqué du gouvernement annonçait l’ouverture d’une enquête sur de telles allégations. La virulence de la réaction aux fauteurs de doute et de panique, laissait entrevoir la fermeté de la réaction officielle. Mohamed Abdallahi Ould Bounenna est capturé par les forces de l’ordre qui le conduisent dans un lieu secret ; le lendemain l’y suit un autre écrivain en ligne, Mohamed Salem Ould Soueid Ahmed.
2. Le 3 juin 2020, le journaliste et influenceur Eby Ould Zeidane reprend le chemin du Commissariat de police, quelques mois après son interpellation durant plusieurs jours, en février. Il subissait alors un interrogatoire en compagnie d’un groupe éclectique de militants de la laïcité, de féministes et de promoteurs des droits de l’individu. Les interrogateurs, d’un niveau de culture général qui témoigne assez de l’effondrement du savoir, opposent, aux prisonniers, des accusations dont le cumul paraîtrait absurde du point de vue de la rationalité : blasphème, apostasie, conversion aux christianisme ou judaïsme, prosélytisme évangéliste, athéisme viennent assaisonner l’appartenance à l’Alliance pour la refondation de la Mauritanie (Arem), une association non-autorisée. A défaut d’assumer, face aux partenaires du pays, la répression contre des jeunes défenseurs de la laïcité dont les mots constituent l’unique arme, l’Etat met en avant le crimes d’«atteinte au sacré», une infraction improbable dans la réalité, puisque d’essence immatérielle. D’ailleurs, la majorité des motifs de peine de mort en Mauritanie renvoie à des griefs sans prolongement physique, donc des opinions.
Les raisons inavouables
Eby Ould Zeidane, contradicteur « systémique » des islamistes, réussit, lors de sa première arrestation, à recouvrer la liberté, en même temps que d’autres détenus de la période, à l’exception de 6 majeurs auxquelles manquait le soutien d’une tribu. Tous seront oubliés dans les méandres de l’univers carcéral. Ahmed Mohamd Elmokhtar, Abderrahmane Haddad, Othmane Ould Boubacar, Mohamed Ould Jeddou, Mohamed Ould Amar et Mohamed Ould Hayda croupissent en maison de correction, à Dar Naim, co-pensionnaires de délinquants à machette, d’assassins et de jihadistes ; au moment d’investir leurs cellules, ils achevaient 15 jours de garde-à-vue, dans le local de la Direction de la sûreté de l’Etat (Dse). A la fin du mois de mai 2020, Eby ould Zeidane publie de nouveaux textes sur Facebook ; il y critique le dogmatisme des sociétés islamiques, la validité de la polygamie et celle du jeûne du Ramadan, au regard du cycle de la lune. Selon lui, ses coreligionnaires ont beaucoup dévié de la voie du Prophète Mohamed. Dans ses commentaires, il argumente que les musulmans ont déformé le message de l’Envoyé et escamoté des passages explicites du Coran ; le 3 juin, la police se saisit de sa personne et lui impute des faits d’apostasie et de blasphème, punissables d’élimination du corps, sans délai ni repentir, si l’on considère l’article 306 nouveau, du code pénal.
Déjà, le 30 janvier, des garçons et une fille, invités à une fête d’anniversaire, se retrouvent inculpés d’imitation des femmes, d’après le réquisitoire du procureur, incapable de prouver l’homosexualité des susdits, passible, elle, de l’exécution. Le Parquet évoquera la célébration de la date de naissance comme une attestation d’hérésie car elle prend les mécréants pour modèle et leur impose une peine de deux ans d’incarcération, assortis de rabaissement moral. Le reste de leur existence portera le sceau de l’infamie.
Tuer, par raccourci
Il y a lieu de le souligner, les agents en charge de l’enquête ont pu, à chaque fois, récupérer les téléphones portables des prévenus, extraire le contenu et le diffuser, à grande échelle, sur les messageries instantanées et les groupes de discussions de Facebook. Les fuites occasionnent, alors, la révélation de l’identité des victimes ; dès le début des fuites, les familles s’empressent de les abandonner et une partie du peuple, fanatisé par le wahhabisme périphérique et celui des institutions de l’Etat, les agonit d’injures et de menaces de pendaison, d’égorgements et autres civilités de rigueur parmi les gardiens de la foi pure. Bien entendu, les prévenus comparaissent brièvement devant un juge, avant de recevoir la sentence. A Dar Naïm, ils cessent de bénéficier de soins et s’enfoncent dans la honte et l’isolement, en perpétuelle peur de se faire poignarder. Leur survie rime avec le danger, chaque jour, en particulier ceux justiciables d’infractions à incidence confessionnelle. La propagation de l’apologie du meurtre pieux et sa banalisation ont produit, au sein de la population des villes, un état mental de prédisposition à tuer pour Dieu, sinon emprisonner, torturer et bannir en son nom. A l’inverse, les élus peinent à légiférer contre le viol, au prétexte que l’homme disposerait, en vertu de la chari’a, d’une supériorité ontologique sur la femme.
Aux sources d’une faillite
Certes, les vagues d’arrestations illustrent une option autoritaire au sommet de l’Exécutif. Cependant, à l’examen des circonstances l’actuel gouvernement n’abrite même pas le semblant d’une idéologie de l’ordre qui occasionnerait un usage excessif de la brutalité. De facto, les violations constatées de la dignité des gens découlent, plutôt, de l’absence de technicité, de l’ignorance et de l’incompétence, à tous les échelons de l’appareil sécuritaire. A l’improvisation s’ajoute le degré d’infiltration de la police et de l’administration par l’extrémisme religieux et les zélateurs de la négrophobie. Cette évolution aggrave l’incurie et explique, la succession de plus en plus rapprochée, des alertes. A aucun moment, les autorités ne semblent avoir perçu le dilemme où elles se débattent, de combattre le terrorisme dans le cadre de la coalition du G5 Sahel et d’appliquer, au pays, le programme de Daesh, grâce à l’appui de fractions de l’opinion favorables à l’avènement d’un Etat jihadiste sur le sol de la Mauritanie. La plupart des organisations de la société civile, les partis reconnus, le Parlement et les ambassades accréditées à Nouakchott, s’aveuglent face à l’évidence du lien entre le takfirisme ambiant, la perte de la qualité des services de justice et la facilité du recours privé à la violence.
Initiative de résurgence abolitionniste en Mauritanie (Ira-M)
Nouakchott, le 6 juin 2020