Cette déclaration de l’activiste des droits de l’Homme était applaudie par les mauritaniens épris de justice, elle avait en même temps choqué les partisans du système politique en vigueur depuis l’indépendance du pays. Le débat formel et informel sur la question de la discrimination de certains mauritaniens, sous ses différents aspects est ainsi relancé.
Il serait anodin pour nombre de mauritaniens de parler de discrimination religieuse dans le pays, l’islam y étant la seule religion. Cependant les autres formes de discriminations apparaissent comme une évidence dans cette nation de moins de 5 millions d’habitants.
Il n’est un secret pour personne que le choix politique est très déterminant dans l’évolution professionnelle en République Islamique de Mauritanie. Le fonctionnaire ou le salarié mauritanien, pour être promu à un poste, doit appartenir dans la majorité des cas au parti au pouvoir. Une bien triste réalité qui a toujours existé, qui perdure et s’enracine au fil des années. La grande majorité des dirigeants des grandes entreprises, la grande majorité des cadres de l’administration territoriale et de l’État central, pour ne citer que ceux là, sont du parti au pouvoir ou des proches du parti au pouvoir.
Dans l’armée, la police et la gendarmerie, c’est la couleur de la peau, la caste et l’appartenance ethnique qui conditionnent le grade et le poste occupé au niveau du commandement. Sauf exception, les noirs, les personnes de castes « inférieures » et les citoyens mauritaniens d’ascendance servile sont toujours au bas de l’échelle dans le régalien et dans l’administration publique de manière plus générale. Aujourd’hui, les généraux de l’armée et les commissaires de polices mauritaniens sont massivement issus de l’ethnie maure, ils sont clairs de peau et ne sont en aucun cas Zenagas, Moualems ou Hartanis. Cette situation s’aggraverait dans les années à venir puisque les actuels élèves de l’école militaire sont quasiment tous maures blancs.
La région ou l’appartenance géographique est également source de discrimination. Si vous habitez le Guidimakha, vous avez surement moins de chance qu’un Taganit ou un habitant de l’Adrar d’occuper un poste stratégique dans les établissements publics et même privés. De mémoire, un natif des régions du Guidimakha, du Gorgol, de l’Assaba et du Brakna n’a jamais été premier ministre de la République Islamique de Mauritanie. Toujours en parlant de l’origine géographique, c’est aussi connu qu’un habitant du 5ème ou du 6ème arrondissement de Nouakchott n’a pas les mêmes chances d’accès à l’emploi que ses frères bourgeois de Tevrag Zeina.
En Mauritanie, d’autres formes de discrimination basées sur l’apparence physique et l’origine familiale existent pareillement. En effet, lorsque vous vous présentez à un entretien d’embauche, habillé en wax ou en « demi-saison », vous auriez moins de chance que celle ou celui qui vient en melhfa ou en boubou blanc sur une chemise repassée ou non. En outre, les concours de l’administration publique, les sélections préalables à l’entrée de l’école militaire et à l’École Nationale d’Administration nécessitent d’avoir le bon nom de famille pour faire partie des effectifs.
Sans être exhaustif, nous allons finir avec le facteur de discrimination liée à la langue maternelle ou la langue parlée.
Le Poular, le Soninké et le Wolof sont reconnues par la constitution mauritanienne en tant que langues nationales et pourtant elles ne sont toujours pas enseignées à l’école. Cette discrimination se trouve amarrer dans la constitution de la Mauritanie en son article 6 qui officialise la seule langue arabe alors que les 3 autres langues sont juste reconnues langues nationales… Autre part, les chaines de télévisions et de radios nationales accordent un temps de diffusion en Arabe de loin plus important que celui des trois autres langues réunies.
Le fléau de la discrimination a une grande ampleur en Mauritanie et cela n’est pas sans conséquence dans un pays multilingue, multicolore et multiculturel. Il a façonné et divisé les frères mauritaniens en deux grands groupes loin de ce que la diversité ethnique, linguistique, culturelle et raciale pourrait apporter à la nation : le groupe des bras longs et celui des discriminés. Ces deux grandes catégories regroupent chacune, paradoxalement, à la fois les composantes de toutes les langues, toutes les couleurs, toutes les cultures et de toutes les régions.
Les bras longs sont une élite qui s’est construite progressivement depuis l’indépendance du pays en 1960 et prend de plus en plus de place et d’importance dans les gouvernements successifs. Les membres de ce groupe sont en général richissimes, ont pour doctrine le favoritisme et ou occupent souvent une bonne profession dans une grande administration publique. Lorsqu’ils abandonnent cette position, c’est pour se hisser à la tête d’une grande entreprise ou une grande banque avant de revenir dans une ambassade ou dans un ministère. Ce va et vient des membres de l’élite s’apparente à celui des pions du jeu de dames qui reviennent à chaque fois que le jeu reprend.
L’élite mauritanienne, d’ailleurs de type féodal bénéficie, conserve et défend un certain nombre de privilèges au risque de naviguer à contre courant de la morale et à entraver le développement du pays. Au jour d’aujourd’hui beaucoup de signaux montrent que ce groupe n’est pas encore prêt à partager sa part du lion. Au contraire il voudrait même aller jusqu’au bout de sa domination : depuis quelques années, il a commencé l’expropriation des dernières terres qui restent aux pauvres.
Quant aux discriminés, les seuls parmi eux qui ont encore la chance de s’en sortir sont ceux travaillant avec les organismes internationaux qui privilégient les compétences à la différence des organisations nationales. Quelques tristes réalités caractérisent les discriminés de la Mauritanie : la pauvreté et l’auto exclusion.
Du fait de leur faible taux d’employabilité, de leur pauvreté et de leurs conditions précaires, les discriminés mauritaniens ont de plus en plus du mal à satisfaire leurs besoins, même les plus élémentaires. Contrairement à ce qui est répandu, en Mauritanie il y a encore des ménages qui ne prennent qu’un seul repas par jour et qui habitent des taudis. En outre, ils ont du mal à accéder à des structures de santé et de se faire soigner, les infrastructures de santé du pays étant souvent en très mauvais état de fonctionnement et mal équipées.
Les mauritaniens qui ont de la chance traversent le fleuve pour se faire soigner au Mali ou au Sénégal. Les plus fortunés d’entre eux se font hospitaliser en cas de maladie, au Maroc, en Tunisie, en Espagne et en France. Les rares structures sanitaires opérationnelles se concentrent à Nouakchott et sont inaccessibles car étant privées avec un tarif dissuasif ou exigeant là aussi un bras long. Aujourd’hui, quel mauritanien peut se faire soigner sa carie dentaire ? Quel mauritanien peut passer au scanner ? Quel mauritanien peut se permettre un bilan de santé ? Ce luxe exclut les sans bras longs.
Un autre malheur d’appartenir aux discriminés hélas peu compris de l’opinion est celui lié à la scolarité. Les enfants des discriminés se retrouvent entassés dans des salles de classes vétustes, des bâtiments délabrés sans table-bancs avec des effectifs pléthoriques. À titre d’exemples, une salle de classe du lycée de Selibaby peut compter jusqu’à 100 élèves assis à même le sol ; les écoles des quartiers populaires de Nouakchott tombent en ruine… Dans ces configurations, il est légitime et même obligatoire pour tout bon mauritanien de s’apercevoir que les écoles du pays sont de vraies fabriques d’inégalités. L’employabilité, le niveau de connaissances et la chance d’obtenir le bac chez les élèves scolarisés dans les établissements publics sont très faibles comparés à ceux de leurs compatriotes dans les écoles privées et ou pouvant s’offrir des cours de soutien scolaire.
Les conditions d’existence des discriminés se révèlent alarmantes mais le plus inquiétant est que les individus de ce groupe s’auto-excluent.
Très souvent, certains mauritaniens refusent de se présenter à un concours ou de postuler pour un emploi. Pour eux, fournir cet effort minimum n’en vaut pas la peine. Ils perdraient leur temps dans une compétition où les médaillés sont connus d’avance : les bras longs et leurs proches. La conviction des discriminés est que lors des concours, les copies ne sont jamais corrigées avec du sérieux, la liste des admis étant établie avant le jour de la passation des épreuves. Donc se préparer, se présenter et espérer être admis à un concours est synonyme de gaspillage d’une énergie mentale.
Dans ce sens, l’attitude des discriminés mauritaniens joue contre eux et montre bien qu’ils ont intériorisé psychologiquement la discrimination par le développement d’un complexe d’infériorité et d’un pessimisme. Cette conséquence de la discrimination directe donne à l’élite un argument de taille pour s’installer de plus en plus confortablement.
Le constat est fait : la discrimination, sous ses multiples facettes existe en Mauritanie dans divers domaines. Alors le devoir de tout Mauritanien éclairé serait : D’inviter et même d’exiger de l’exécutif et du pouvoir juridique d’avoir une volonté ferme de punir les auteurs d’actes de discrimination quelques soient leurs positions sociales et politiques ;
D’appeler l’État à mettre en place une politique de discrimination positive digne de ce nom car le fossé entre bras longs et discriminés est immense ;
De condamner le groupe des bras longs socialement et moralement en attirant leur attention sur l’intérêt général et celle de la nation ;
De montrer les méfaits de la discrimination en privilégiant l’information et le dialogue car la discrimination ne viendrait pas seulement des intérêts égoïstes mais aussi de l’ignorance et de l’aveuglement de ses auteurs et victimes c’est-à-dire des bras longs et des discriminés dans le contexte mauritanien.
Une société mauritanienne meilleure et riche de sa diversité est pourtant possible.
DIOUM Ibrahima
Enseignant d’économie-gestion
Académie de Paris
Source : Ibrahima Dioum