Quand le gouvernement me demande de répondre à Biram. Et Maaouya m’interpelle pour parler à Ghazouani.
Biram,
L’image du pays doit être ta préoccupation, ton combat et un devoir pour tout militant des droits humains, mais surtout un député. Un député, historiquement, élu dans sa cellule… Alors ex-prisonnier, élu député, ces lignes, après quelques recherches et avec modestie, te renseigneront sur ces deux concepts que tu aimes tant utiliser.
En passant, on va essayer d’évaluer votre niveau d’excessivité en parlant du quotidien de la Mauritanie. Biram, tu aimes tant parler de « génocide » et d’ « apartheid ».
Un génocide est un acte « commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », selon les termes de la Convention des Nations Unies du 9 décembre 1948. Cet acte peut être un meurtre, mais aussi une atteinte grave à l’intégrité mentale ou une mesure anti-natalité, l’essentiel étant que l’acte soit dirigé intentionnellement contre un groupe donné. « Cette définition est imprécise, juge l’historien Yves Ternon sur Le Monde.fr, et il est préférable de la limiter à la destruction physique, massive d’une partie substantielle d’un groupe humain dont les membres sont tués pour leur appartenance à ce groupe. »
On dit aussi qu’un génocide est un crime consistant en l’élimination physique intentionnelle, totale ou partielle d’un groupe national, ethnique ou religieux… N’est ce pas là une belle et parfaite illustration de ce qui s’est passé ici et là en Mauritanie entre 1986 et 1992 ? Ces années, appelées années de braise, ont vu le Négro-mauritanien pourchassé, déporté ou tué. Et, il ne fait aucun doute, que la communauté Pular était la principale victime.
Apartheid… Biram,
La notion juridique internationale de crime pour apartheid est définie par la résolution 3068 XXVIII de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) du 30 novembre 1973.
Elle est, en outre, reconnue par le statut de Rome de 2002 instituant une Cour pénale internationale. Le crime d’apartheid est défini comme tout acte inhumain de caractère analogue à d’autres crimes contre l’humanité commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe ethnique sur n’importe quel autre groupe ethnique. Les crimes d’apartheid énumérés sont le meurtre, l’esclavage, la privation de liberté physique, la réinstallation forcée, la violence sexuelle, persécution individuelle et collective.
Biram, c’est connu, et on l’a crié et écrit plusieurs fois. L’esclavage est une réalité. L’un de tes contradicteurs et de surcroit le président de la CNDH a reconnu l’existence de l’esclavage en déclarant que la Commission, lors de la caravane organisée en direction de l’Est du pays, a permis de découvrir 12 cas avérés d’esclavage. L’Etat mauritanien qui refuse de reconnaitre le phénomène a institué des lois et créé des tribunaux pour combattre un phénomène qu’il considère inexistant. Le phénomène est souligné dans le préambule de la Constitution comme crime contre l’humanité et imprescriptible… Pourquoi tant d’acrobatie alors que l’esclavage est un crime d’apartheid.
L’apartheid (mot afrikaans partiellement dérivé du français, signifiant « séparation, mise à part ») était une politique, en Afrique du Sud, dite de « développement séparé » (afsonderlike ontwikkeling) affectant des populations selon des critères raciaux ou ethniques dans des zones géographiques déterminées.
Voici un autre concept qui a provoqué les courroux de ceux qui vocifèrent pour rien, ennemis jurés du partage et du vivre ensemble à la recherche d’une méthode pour panser nos plaies. Lors des dernières élections présidentielles, alors que j’étais assis devant un centre de vote non loin de la clinique IBN SINA, mon attention avait été attirée par la discussion des militants d’un parti très organisé. Parlant à son ami, l’un avait déclaré : «Biram risque de gagner au centre de vote du stade olympique, il ya beaucoup de monde ». Et l’autre de répliquer : « Non. L’électorat de Biram et Kane ce sont les populations des départements de Sebkha et El-Mina ».
Naturellement, ce jeune Mauritanien était en train d’expliquer le vote identitaire. Car ces quartiers de la périphérie Sud et Ouest de Nouakchott sont grandement peuplés par les noirs. Fermons nos yeux et refusons d’entendre mais la réalité est têtue : en Mauritanie, il ya une communauté qui a tout alors que les autres tirent le diable par la queue, parfois ils n’arrivent même plus à trouver cette fameuse queue.
C’est une vérité. Avançons et affrontons notre histoire, notre douleur ; ces crieurs de ventre ne doivent pas nous distraire. Biram, avant que je ne termine ces lignes, Maaouya m’interpelle avec une voix anxieuse remplie de chagrin… essaye de transmettre ces mots au Président Ghazouani. « Moi, Maaouya Sid’Ahmed Taya ma dernière phrase aux Mauritaniens était : « Que Dieu me préserve de mes amis, mes ennemis je m’en occupe ». Que Ghazouani médite cette phrase. Ces gens qui m’ont induit en erreurs sont tous avec vous aujourd’hui, en utilisant les mêmes procédés. A mon époque, ils m’ont tout caché par la transformation… ils utilisent le verbe et parfois des scenarios incroyables pour des intérêts personnels et personnifiés.
Quand je n’étais plus valable pour leurs intérêts, j’ai été éjecté du pouvoir. Les heures qui ont suivi ma chute, les mêmes personnes qui m’applaudissaient hier ont vite occupé les rues pour me vilipender. Ils ne sont autres que ceux là qui, aujourd’hui, useront de tous les moyens pour saper votre volonté d’ouverture politique et qui cherchent à vous éloigner de vos opposants, comme Biram.
De mon temps, c’était les mêmes campagnes qu’ils utilisaient contre les individus qui ne sont autres que ces citoyens mauritaniens qui cherchent plus de justice que je n’ai pas pu comprendre mais surtout cette justice que je n’ai pu rendre à l’époque. Ils m’ont «roitelisé» et aveuglés alors qu’ils n’étaient pas avec moi, encore moins avec la Mauritanie.
Alors Monsieur le Président regardez autour de vous et essayez de voir ceux qui ont accompagné vos prédécesseurs, vous vous rendrez compte que ce sont les mêmes… Préservez-vous d’eux, ils sont les véritables dangers qui peuvent miner la réalisation de votre projet d’une Mauritanie apaisée et réconciliée avec elle-même. Une Mauritanie qui a beaucoup souffert de nos actes.
Ne vous occupez pas des danseurs du ventre du pouvoir. C’est leur métier. Ils ont dansé sous Maaouya (moi). Ils ont aussi dansé après Maaouya car le système se recycle. Ces derviches tourneurs n’échappent pas à leur destin : celui de danser, encore danser, toujours danser… ».
Modestement, comme je l’avais écrit il y a 9 ans dans un édito intitulé « Repenser la Mauritanie » dans les lignes suivantes et je le pense toujours : Etre ignorant en ignorant qu’on est ignorant et dans l’ignorance qu’on nous perçoit comme un ignorant est la pire des caractéristiques grandement partagée, hélas, par la quasi-totalité des Mauritaniens. C’est le Mauritanien dans son quotidien, c’est l’exercice du saut de sa propre ombre.
Le ridicule et la honte comportementale, on s’y plait ; c’est notre moi : l’inadmissible qu’on admet comme mode d’emploi, de conduite ou de vie. Le mensonge comme règle ou un art de vivre. Un art qui gouverne notre intelligence ou vision pour verser dans le sectarisme et la cécité du commun communautaire. C’est cette façon de faire qui grippe la Mauritanie, qui la fait souffrir. Ce pauvre pays qui nous a tout donné et que nous continuons de mutiler jusqu’aux fondamentaux. Un demi-siècle d’existence dans la culture de l’incivisme et de la navigation à vue.
Alors, il faut repenser ce sempiternel projet de pays dans ses attributs et ses fondamentaux pour les devoirs et droits des citoyens. Ces hommes et femmes qui peuplent cette zone géographique qu’est la Mauritanie ont besoin d’être éduqués à l’école du civisme. Une école de la promotion et de la vulgarisation des règles de vie en communauté, les règles de l’honnêteté, de l’humanisme, de partage et de l’acceptation de l’autre dans sa différence. L’école du bannissement de l’opprobre, du mensonge et de l’individualisme narcissique.
Dans l’invention de cette nouvelle Mauritanie, on optera pour une journée de civisme, de partage et de la connaissance de l’autre. Durant cette journée, on nettoiera ensemble nos rues, on mangera ensemble et on se contera notre histoire récente, même celle des atrocités. On chantera « Je jure de ne plus mentir, de ne plus tricher, de ne plus voler, de ne plus trahir. Je donne ma vie à la Mauritanie et à son unité ».
On l’inscrira dans notre loi fondamentale et servira comme règle d’enquête de moralité à toute personne désirant briguer un poste électif, en premier lieu le fauteuil présidentiel. Et cette règle s’appliquera tout au long du mandat électif ; son manquement conduira à l’éviction du fauteur.
La Mauritanie ainsi repensée nous évitera de continuer à être les damnés de cette partie de la planète. Et on méritera la Mauritanie : l’Afrique en miniature.
Camara Seydi Moussa