Après la démission du recteur de la Mosquée de Paris, vitrine de l’Islam de France, les réseaux douteux de l’ex DRS (services algériens) ont fait main basse sur la direction de cette institution presque centenaire
Le départ du recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubekeur, vieillissant et malade depuis deux ans, était acquis depuis des mois. Son long et médiocre règne, qui a plombé le rayonnement intellectuel de l’Islam en France, aura été marqué par une habileté constante à servir aux autorités françaises un discours convenu sur des valeurs de rassemblement et de tolérance. Les ministres successifs de l’Intérieur et les élus parisiens assistaient volontiers aux ruptures de jeune qu’il organisait à la Mosquée chaque mois de Ramadan. Autant de grands messes rituelles dont tous se sont satisfaits?
La longévité du recteur s’explique surtout par un accord de fait entre les autorités française et algérienne pour le maintenir à son poste au détriment de la vitalité d’un Islam de France dont on ne cesse de réclamer le renouveau.
Le « Serjan » à la manoeuvre
Le départ de Boubakeur aurait pu marquer un nouveau départ, alors que les musulmans connaissent en France des jours difficiles en raison d’une assimilation injuste aux courants les plus réactionnaires du salafisme. La société des Habbous, les vingt sept membres du discret conseil de la Mosquée tous cooptés sans la moindre représentativité, viennent de désigner un successeur sans relief ni légitimité en la personne de Chems-eddine Hafiz, cet avocat qui eut son heure de gloire durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Sa compromission avec l’ex DRS (services algériens), puis avec le président Bouteflika, qu’il a soutenu dans l’idée de se représenter pour un cinquième mandat, suffisait à le discréditer. Les sinécures sont il a hérité comme avocat de sociétés publiques liées au gouvernement algérien étaient, à elles seules, une raison suffisante de ne briguer un tel poste, sous peine de conflits d’intérèt évidents.
La nomination de maitre hafiz est le résultat d’un coup de force fomenté par un ancien sergent de l’armée algérien, Mohamed Louanoughi, devenu le tout puissant directeur général de la Mosquée de Paris, au vu et au su du ministère français de l’Intérieur qui a fait de ce chaouch un interlocuteur constant. Le parcours du « Serjan », comme l’appellent les services algériens, illustre surtout la gestion de ce dossier par l’ex DRS (services algériens), notamment sous Bouteflika.
Et cela avec la surprenante bénédiction des autorités françaises qui en soutenant de telles personnalités, prive l’islam de France de tout relais crédible.
L’ombre de Ben Daoud
Il y a plus grave. Le livre « Chroniques des années de sang », écrit par l’ex-colonel Mohamed Samraoui et paru en 2004 chez Denoël, décrit Mohamed Louanoughi, alias Si Abdallah, comme infiltré dans les groupes islamiste pour le compte des Services algériens, L’ouvrage dévoile son recrutement par le colonel Farid Ghobrini, et détaille son rôle dans l’attentat sanglant à la voiture piégée de Ryadh el Feth à Alger, le 21 janvier 1993, en plein ramadan.
Pour des raisons encore inconnues, le général Abdelkader Ait Ourabi, alias le général Hassan, qui est aujourd’hui en prison va se charger personnellement de l’exfiltration de Louanoughi, alors simple policier au grade de sergent, à Paris. En 1994, Louanoughi est parachuté garde du corps de Boubakeur. Le « Serjan » gravira les marches de la mosquée de Paris, avec la bénédiction du général Ben Daoud, qui fut pendant dix ans l’homme de l’ex DRS à Paris, avant d’avoir à répondre de ses agissements, ces derniers mois, devant la justice militaire algérienne.
Alger, le plan B
C’est que ces derniers mois, le pouvoir militaire algérien, qui a emprisonné et condamné bon nombre de gradés dont le patron du défunt DRS, le général Toufik, a fait le ménage dans les arrière cours des services secrets. Il n’est pas restée inactif dans le dossier de la mosquée de Paris. Le parcours de Louanoughi, son double jeu entre Paris et Alger ainsi que ses affaires immobilières en Espagne, avaient plus qu’irrité en haut lieu. Les réseaux de l’ex DRS qui étaient les siens à Paris n’étaient plus au gout du jour. Il fallait tourner la page.
Le nouveau président algérien Tebboune avait un candidat à la succession de Boubakeur en la personne de Mustafa Cherif, un islamologue respecté, parfaitement légaliste et pluraliste. Cet intellectuel engagé de longue date dans le dialogue inter religieux était venu à Paris avertir les autorités françaises du choix algérien. Ce qui a précipité le coup de force.
Mis au courant, Hafiz et Louanoughi ont forcé Boubakeur à la démission au cours d’une réunion ordinaire prévue de longue date de la Société des Habous. La succession du Recteur n’était même pas à l’ordre du jour. D’où l’examen à Alger des possibilités de d’invalider.
Mohamed Sifaoui, le retour
Une campagne d’intox orchestrée de la GMP et relayée par des réseaux à Paris de lex DRS, dont le propagandiste incontournable Mohamed Sifaoui, qui font croire que le trio Boubakeur, Hafiz, Louanoughi aurait été « félicité » par l’ambassade d’Algérie en France. Les trois font croire qu’il leur a fixé rendez vous avec le président Tebboune en personne. En fait, il leur a demandé d’aller répondre aux demandes d’explication de la sous direction du ministère des affaires étrangères chargée des institutions algériennes à l’étranger.
L’organisation de l’Islam de France a toujours été au mieux uncasse tète inextricable, au pire une boite noire nauséabonde. Il semble qu’avec la nomination du nouveau recteur de la Mosquée de Paris, la situation n’aie pas vraiment changé.
Sollicité auprès de son secrétariat jeudi dernier, pour répondre aux questions de Mondafrique, le nouveau patron de la mosquée, Maitre Hafiz, n’a pas voulu répondre.
Par Nicolas BEAU
Source: Mondafrique