Dans l’entretien qu’elle a accordé à Initiatives News, elle évoque le trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin qui a favorisé la réunification de l’Allemagne. Une occasion pour elle de partager ses sentiments par rapport à la gestion des situations conflictuelles dans l’espace sahélien et en Mauritanie.
Gabriela Linda Guellil, analyse également le l’évolution politique dont elle a été témoin en Mauritanie du fait de sa présence dans ce pays comme ambassadeur de l’Allemagne : le processus électoral qui a vu l’élection d’un nouveau Président de la République.
Spécialisée en études islamiques, la diplomate allemande apporte aussi sa vision sur les questions de l’heure…
INITIATIVES NEWS : Excellence, cela fait un an que vous êtes en Mauritanie. Vous avez été témoin du processus électoral qui a vu l’élection d’un nouveau président issu du pouvoir. Quelles sont les impressions que vous pouvez partager par rapport à cette situation ?
GABRIELA LINDA GUELLIL: Merci de nous donner l’occasion de discuter avec vous et de partager mes impressions durant une année de séjour en Mauritanie, en tant que représentante de l’Allemagne.
J’ai été témoin d’une période fort intéressante du point de vue de la perspective d’un diplomate. Une élection qui a suivi les règles de jeu: la sortie d’un président élu démocratiquement il y a cinq ans, après la fin de son mandat, un président qui a tenu sa promesse de respecter la Constitution. Ce fut un comportement exemplaire dans la région. On pourrait dire pour toute l’Afrique.
Conjointement avec les chefs de mission européens, on a rencontré tous les candidats pendant la campagne électorale -pour nous informer, pour avoir une idée sur les visions et le programme des candidats. On a constaté que chacun parmi eux aurait été capable, c’est notre perception, de devenir chef de l’état et d’assumer les responsabilités que cette fonction entraîne.
Cela montre une maturité politique aussi bien de la part de l’opposition que de tous les acteurs impliqués. Ce n’était pas une campagne fantôme mais une vraie campagne politique avec des candidats qui ont présenté leurs projets de société.
Son excellence Mohamed Ould El Ghazouani est sorti victorieux.Il était suivi par Biram Dah Abeid qui a quand même étonné les observateurs occidentaux. Car on le percevait comme quelqu’un que le pouvoir ne pourrait pas accepter.
IN : Pourquoi cela a étonné ? Est-ce parce qu’il était en prison ?
Dr. Gabriela Linda Guellil: Il était en prison à plusieurs reprises.Il avait pourtant gagné un mandat de député il y’a un an mais il y avait une certaine hésitation à le recevoir, à le faire participer aux événements politiques. Tout d’un coup, il a fait son entrée sur scène.
On a l’impression que la classe politique au pouvoir n’a pas seulement jugé suffisant de ne pas rejeter son succès. Au contraire, ça parait avoir motivé le président Ghazouani d’aller en avant. Ghazouani n’avait pas caché sa vision pour l’avenir du pays : pour obtenir développement et progrès, chercher cohésion sociale, inclusion des autres acteurs politiques qui jusque-là avaient critiqué les autorités quant à la gestion du pays et leur exclusion.
Le message est fort: Ghazouani a invité les autres candidats à un dialogue politique. Pas un dialogue formel, bien sûr, mais comme premier pas, un dialogue personnel, en les recevant individuellement en audience.Les candidats malheureux, qu’il a reçus ont exprimé leur respect, face à cette franchise et ouverture du discours.
IN : De votre point de vue est ce qu’il y a quelque chose qui va changer en termes de rapports politiques en Mauritanie comparée à la situation passée, marquée notamment par un radicalisme de part et d’autre entre pouvoir et opposition?
Dr. Gabriela Linda Guellil : Voilà! C’est ce que je voudrais exprimer. Bien sûr que c’est un début mais il importe qu’après les annonces, il y a eu un suivi concret et encourageant dans la ligne des promesses et des attentes réveillées au sein de la population. En fait ce n’est pas notre opinion en tant qu’observateur qui devrait être la mesure (rires).
Notre évaluation est peut-être quelque chose d’important mais ce qui compte vraiment est le degré de satisfaction de la population mauritanienne, des électeurs qui ont des espérances.
Une grande partie du peuple mauritanien a fait preuve de maturité en ne pas boudant un processus d’élection juste parce qu’on avait jugé fort probable que le candidat du régime allait gagner.
Un grand nombre de Mauritaniens a participé aux élections. Ils ont fait expression de leur opinion politique. Ils ont pu participer à un processus d’élection qui est fort recommandable à d’autres pays de la sous-région, par ce qu’en somme toutes les institutions impliquées ont montré qu’elles respectaient le cadre légal et ont agi avec professionnalisme, comme par exemple la CENI et le Conseil constitutionnel.
D’ailleurs, on avait observé pendant la campagne que quand l’opposition avait fait des réclamations avec aplomb, il y a eu des réponses de la part du gouvernement.
Le ministre de l’Intérieur a réagi, il les a convoqués, il a discuté avec eux et a cédé dans la mesure qu’il jugeait possible. Ceci est un développement qu’on ne peut pas considérer « standard » dans l’un ou l’autre pays de la région. Il s’agit de quelque chose qui demande courage et ouverture politique.
IN : Vous avez analysé le processus dont vous avez été témoin. Vous avez donné vos impressions par rapport au déroulement de tout ce processus, des rapports entre le pouvoir et l’opposition qui est en train de naître. Cela fait plus de 100 jours que le président Mohamed Ould El Ghazouaniest au pouvoir. Il a mis en place une équipe dont les membres sont considérés comme des technocrates. Qu’est-ce que cela peut représenter pour vous qui êtes dans une dynamique de coopération avec la Mauritanie ?
Dr. Gabriela Linda Guellil: J’ai eu l’honneur d’assister à l’investiture de Mohamed Ould El Ghazouani le 2 août, en présence de chefs de l’état et de gouvernement, des ministres et de personnalités illustres venant de l’Afrique, de l’Europe et d’autres pays plus éloignés.
Le président sortant, c’est un point que je veux souligner, a préparé le chemin pour ce processus et son successeur. On a très bien écouté le discours d’El Ghazouani, lors de l’investiture. Un discours qui est facile à comprendre, structuré et clair, concernant les priorités clés tout en assurant continuité et stabilité.
C’est ce qui nous a facilité l’analyse des premiers jours : Je suis très prudente dans l’analyse d’actions dans un temps très limité. Je voudrais quand même noter:selon notre perception le gouvernement travaille. Les membres de l’équipe se sont mis en marche sans beaucoup de bruit ; il y a, il me parait, une grande marge de manœuvre pour tous les joueurs de l’équipe. Le coach a confiance en son équipe.
Lors de la visite de la commission de coopération de notre Assemblée nationale, le Bundestag, nous avons eu l’occasion de rencontrer un grand nombre de ministres et aussi son Excellence le Premier ministre (Ismail Ould Bodde Ould Cheikh Sidiya, ndlr).
Nos députés ont tous salué la franchise et la maîtrise des dossiers qui intéressent, ainsi que la passion combinée avec patience de leurs interlocuteurs et un réalisme qui n’empêche pas de penser «grand». C’est-à-dire, en dehors des mesures immédiates qui sont à prendre, en dehors des espérances des populations à rencontrer,ils cherchent à emmener, à guider le pays vers un avenir prospère basé sur des fondations solides.
C’étaient les commentaires unanimes des membres de notre délégation de députés allemands, qui constituait de membres de tous les partis représentés au Bundestag, de la gauche extrême à la droite extrême. Je prends acte d’une perception positive des premiers pas des responsables au sein du gouvernement mauritanien.
Il y avait aussi l’impression d’échange et d’interaction entre les ministres. Le recours à des personnalités nationales qui ne font pas partie de la classe politique du régime, comme Ould Bouhoubeini, à la Commission nationale des droits de l’homme, montre qu’il y a un esprit d’exploitation du potentiel dont dispose le pays. Cela traduit une certaine disposition du régime de valoriser les compétences qui existent et de reconnaître la richesse de la diversité au lieu de la contraindre.
D’ailleurs, les audiences accordées aux différents candidats, aux opposants, sont un signal fort que le président Ghazouani écoute, cette approche me parait une bonne chose.
IN : Vous disiez que le choix de personnes comme Ould Bouhoubeini à la tête de la Commission Nationale des Droits de l’homme est de bon augure. Pourquoi ?
Dr. Gabriela Linda Guellil : Oui. Si on suit les activités de la Commission, on voit qu’elle a apparemment une marge pour travailler. S’il y a une plainte la Commission enquête, elle fait son boulot pour exécuter les procédures prévues par la loi.
Nous en tant qu’observateurs, qui avions souvent critiqué le pays pour violations de droits de l’homme, du point de vue de cas spécifiques, nous ne nous sentons pas obligés d’intervenir parce que nous avons l’impression qu’on peut avoir confiance aux institutions nationales qui fonctionnent. C’est tout ce qu’on souhaite.
On ne veut pas s’ingérer. C’est un plaisir de voir que les institutions sont capables à remplir leurs prérogatives. Qu’il y a une volonté politique de les laisser faire.
D’ailleurs, je voudrais saisir ici l’occasion pour faire un peu de publicité pour l’engagement de l’Allemagne pour les Droits de l’Homme. Une de nos priorités, pendant le déroulement des activités de la Commission annuelle des Droits de l’Homme des Nations Unies, un des sujets clés que l’on cherche à soutenir et pour lequel on cherche à gagner des partenaires, c’est le renforcement des capacités des institutions des droits de l’homme de tous les pays.
Et là j’espère qu’on va conjointement avec les intéressés trouver les moyens pour appuyer la Mauritanie plus, surtout la Commission Nationale des droits de l’homme.
IN : Ce qui veut dire que vous allez travailler avec la Commission Nationale des Droits de l’homme sur les aspects techniques liés à sa mission mais aussi dans le cadre de renforcements de capacités sur la prise en charge de questions cruciales telles que l’esclavage ?
Dr. Gabriela Linda Guellil On est déjà engagé dans ce domaine à travers la GIZ qui travaille sur ce volet. Je ne peux pas garantir que nos efforts d’obtenir des financements vont aboutir dans un avenir proche. Mais je suis assez certaine que cette approche constructive va porter ses fruits et va convaincre à investir plus parce que cela fait plaisir d’assister à un progrès visible et concret qu’on avait toujours réclamé.
IN : En parlant de changement, votre pays, célèbre cette année la réunification de l’Allemagne grâce à la chute du mur de Berlin en 1989. Vous êtes aujourd’hui en Mauritanie, pays qui à cette époque-là avait connu des déchirements avec les déportations consécutives aux événements avec le Sénégal, et qui actuellement est engagé dans le cadre du G5 Sahel pour faire face à des menaces de déchirements profonds dans la région du Sahel. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?
Dr. Gabriela Linda Guellil : C’est bon que vous ne me demandiez pas des conseils ou des recommandations. Je peux, peut-être, raconter et donner quelques orientations et réflexions à ce qui s’est passé chez nous.
Lors de la chute du mur, il y a trente ans, le 09 novembre 1989, j’étais à Istanbul, jeune diplomate, entourée par une équipe de collègues. Aucun d’entre nous n’avait cru possible que ce rêve – la fin de la séparation de l’Allemagne – qui était même inscrit dans notre Constitution comme but ultime de notre politique pourrait jamais se réaliser de fait.
Voilà que tout d’un coup, une fenêtre s’est ouverte. Il y avait des hommes politiques, des politiciens courageux qui ont reconnu cette chance et qui ont franchi le seuil de l’Histoire.
La réunification d’Allemagne comme projet politique était possible par ce que le monde extérieur était prêt à nous soutenir et nous faisait ce cadeau.La réorganisation du territoire et des structures politiques est une chose. L’union et l’unité nationale pourtant, il faut les gagner à travers la cohésion de tous les citoyens.
Jusqu’à aujourd’hui, 30 ans après, il y a en Allemagne un débat assez vif sur des inégalités et des retards à guérir; il y a apparemment des plaies qui ne sont pas totalement cicatrisées. Il y a aussi des développements politiques, comme dans toute Europe, qui montrent que le processus de cohésion aussi bien en Allemagne que dans le reste de l’Europe, n’est pas encore terminé et que cela reste un grand défi. Nous voulons ouvrer de manière que les fossés en Europe se ferment.
Si on revient au cas de la Mauritanie, il y a de multiples raisons ou explications pour que ce qui s’est passé dans l’histoire récente du pays. Le passé c’est le passé. Ce qu’il faut construire, c’est un avenir. Bien sûr tout en reconnaissant l’histoire. C’est une chose qu’on a toujours enseigné aux enfants allemands à l’école: le passé est passé, on ne peut pas l’ignorer mais il faut regarder vers l’avenir. Il faut reconstruire,se « battre », et cela pas avec l’intention de casser, mais pour construire.
Et là, il faut chercher la participation de tous. Notre chancelière Mme Merkel réitère souvent qu’il faut emmener toute la population. Et elle parle de toute la population, les jeunes, et, chez nous, les vieux qui constituent une masse critique. Et ici, en Mauritanie, ce sont plutôt les jeunes qu’il ne faut pas exclure. Il faut emmener les femmes ainsi que les hommes. On ne peut pas promouvoir les filles au détriment des garçons. On peut réveiller le potentiel de tous sans donner l’impression qu’on prive quelqu’un de quelque chose. Il faut sortir gagnant pour tous.
On a effectué une visite le mardi 29 octobre 2019, à la mairie de SEBKHA. Je ne vous cache pas que j’ai été fascinée par cette jeune équipe constituée autour du maire. Ce dernier a réussi dans un délai très court à augmenter considérablement à travers le système Mouhassil, les revenus de la mairie.
Ainsi la mairie a la possibilité de bouger, de fonctionner de façon autonome, bien que les revenus passent par le Trésor. Ils ont travaillé de manière créative, consistante, engagée presque révolutionnaire. Ils ont sollicité l’expertise de la part de notre agence GIZ. Ils n’ont pas cherché des financements.
Ils ont très bien profité de cet appui et ils nous ont montré qu’ils sont capables de multiplier les revenus en une année. On ne parle pas de pourcentage d’augmentation des revenus, mais d’une augmentation considérable – dix fois plus par rapport à l’année précédente, et même vingt fois plus dans très peu de temps. Et ça c’est exemplaire. Raison pour en être fier.
Il parait que d’autres ont compris ce qui se passe et veulent suivre cet exemple. C’est cela que je considère participation politique et sociale.Cette approche inclusive favorise la cohésion au bénéfice de tous.
L’exclusion qui est souvent critiquée par l’opposition et par la société civile est franchissable. Et c’est possible avec la volonté qu’exprime le chef de l’Etat d’avancer pas après pas dans ce domaine.
El Ghazouani a souligné pendant sa campagne électorale à plusieurs reprises: Souvent l’exclusion se manifeste sous forme de pauvreté. Ceux qui sont pauvres, et c’est le cas partout dans le monde, risquent de ne pas être respectés. Ils risquent même de ne plus faire l’objet d’attention ni d’un minimum d’aide. Il faut les encourager à participer activement pour devenir autonomes.
Même si c’est dans un cadre modeste. Une façon de leur montrer plus d’attention c’est de leur mettre à disposition des services de base, notamment la santé et l’éducation.Ces deux secteurs ont été déclarés priorité du Président, du nouveau gouvernement. Ils sont les priorités du budget adopté par l’Assemblée. On voit déjà les choses bouger dans le domaine de la santé avec des mesures concrètes.
IN : Excellence, vous avez parlé de société, d’exclusion…Avec votre background de diplômée en sciences et études liées à l’Islam, comment analysez- vous les sociétés musulmanes qui vivent une propension au radicalisme de plus en plus de leurs jeunes, du fait justement ou peut-être de l’exclusion ?
Dr. Gabriela Linda Guellil : On trouve la violence partout dans le monde. Et certainement, l’exclusion réveille des sentiments de colère, des fois même légitime. C’est une décision individuelle, comment on réagit à des injustices et de contraintes.
Notre conviction est que répression et oppression n’amènent pas l’extinction des colères. Au contraire, une politique de la main dure pourrait encore susciter plus de frustration et ainsi peut-être pousser, surtout les jeunes, à devenir violents.
Il y a beaucoup de facteurs qui contribuent à une dégradation de la situation sécuritaire, à une déchirure du tissu social. Il faut chercher des moyens d’apaisement pour intégrer ceux qui risquent de devenir des éléments dangereux. Il faut convaincre et vaincre en gagnant les cœurs.
Il y a un aspect de développement et de perspectives économiques. Quand je parle avec les jeunes, ils donnent l’impression que ce n’est pas la pauvreté mais un sentiment d’injustice qui provoque des réactions de frustration et de colère.
Donc on peut faire beaucoup dans le domaine d’équité, de non-discrimination de tous les groupes de la société et de reconnaissance des réactions légitimes de ceux qui se plaignent d’être marginalisés , d’être laissés derrière ou au bord de la société pour ainsi leur permettre de participer de manière constructive et non agressive ou destructive. Il faut convertir leur énergie en ressource pour le progrès du pays.
La religion est normalement une source d’apaisement. Je ne me range pas parmi ceux qui pensent que la religion représente un danger. Souvent, permettez-moi cette observation personnelle, pendant longues années d’échange avec des croyants, le débat n’est pas idéologique. Le combat est politique.
C’est une question de s’imposer. On lutte pour le pouvoir. On essaye de s’accaparer d’une idéologie qui pourrait tomber sur une terre fertile, on exploite la religion tout en discréditant et sacrifiant des valeurs communes. Il faut chercher ce qui nourrit la fertilité de ce terrain et ce qui instrumentalise des enfants innocents.Il faut s’adresser à cela.
Je ne veux pas croire que c’est la religion qui alimente la violence. L’islam est compassion, partage. C’est passion peut-être. C’est en aucun cas destruction de vies ou l’appropriation des propriétés des autres. C’est une cause juste. On répète cela plusieurs fois par jour : « ihdinaessiraat elmustaqiim » (Verset de la sourate Al Fatiha, « mène nous sur le droit chemin, ndlr.). Ce n’est pas un chemin qui aboutit à un bain de sang, qui permet de tuer des femmes et des enfants. Non !
La foi permet de mener un débat ouvert, un dialogue qui respecte la diversité d’opinions. Qui reste, au même ancré dans les traditions. Qui respecte les valeurs de la société qu’il faut chérir.
La Mauritanie a un avantage, comparée à la sous-région. Tous les Mauritaniens sont musulmans. Vous disposez donc d’une base commune qui en principe n’est contestée par personne. Vous pouvez appliquer la Chari’a que tout le monde reconnait et respecte. La société en tant que collectivité partage en grande majorité, les mêmes valeurs que tout le monde connait. Et c’est une forte base, un acquis qu’il faut défendre.
La solution de combattre extrémisme ne serait surtout pas de laisser derrière tout cela et de dire aux jeunes de suivre le modèle des sociétés occidentales pour obtenir un avenir meilleur. Cela serait pour moi quelque chose de très étrange.
Cela réveillerait des sentiments de refus et de rejet. Pourquoi adopter quelque chose d’étrange si on a sur place une culture et une civilisation qui permettent beaucoup de choses, qui permettent progrès et prospérité? Est-ce que ce n’est pas l’islam qui bannit abus de pouvoir et la corruption.
Est-ce que ce n’est pas l’islam qui récuse la stigmatisation et réclame justice ? Et c’est pourquoi j’appelle à l’implication de tous, à un débat ouvert et même passionné avec les savants religieux mais aussi avec les institutions de l’Etat qui portent une responsabilité dans le domaine de l’éducation. Vous avez certains problèmes de communication interne parce qu’une partie de la population est arabophone et une partie ne l’est pas.
Il y a une partie des mauritaniens qui ne maîtrisent pas l’arabe et qui se sentent exclus si l’Etat se présente avec une identité monolithe arabe. Il serait favorable pour la cohésion sociale de trouver les moyens d’une éducation adéquate selon l’arrière fond des intéressés tout en reconnaissant qu’il faut communiquer entre tous.
IN : Avec la nouvelle équipe qui gouverne la Mauritanie, quelles sont les perspectives, à l’horizon 2020 et suivantes, en termes de coopération ?
Dr. Gabriela Linda Guellil : L’Allemagne souligne beaucoup l’importance du multilatéralisme. Elle met l’accent sur les activités des Nations Unies ; on soutient par exemple le secteur de santé à travers le Fonds Mondial de Santéet non à travers des mesures bilatérales. On investit beaucoup dans le système d’alimentation international (PAM). On appuie l‘Unicef et d’autres agences du système des Nations Unies avec des financements considérables.
On essaie d’agir via l’Union européenne, en profitant du poids des partenaires. Nous avons l’impression que les Mauritaniens apprécient beaucoup que la coopération Allemande bilatérale a toujours été solide, durable et soutenable, qu’elle donne des priorités comme par exemple la protection de l’environnement et des ressources maritimes et minières.
IN : Et dans le domaine de la sécurité ?
Dr. Gabriela Linda Guellil : Dans le domaine de la sécurité, c’est la même chose. On essaie d’agir à travers de l’Union européenne et en concertation avec des partenaires. C’est pourquoi on apprécie beaucoup la possibilité d’avoir un partenariat avec la région, avec le G5 Sahel. On cherche aussi dans le contexte de la coopération des partenaires européens le nexus entre développement et sécurité. A cela s’ajoute une initiative franco-allemande récente.
L’aspect de stabilité est d’ailleurs un domaine de notre ministère des affaires étrangères, non du ministère fédérale de la coopération Allemagne.Car stabilité, pour nous, est d’une trajectoire de politique internationale primordiale. Pour cela les diplomates essayent de s’investir avec des activités et des mesures sur le terrain adéquates.
Cela dit, on va continuer le modèle de coopération telle quelle parce que nous avons l’impression que la Mauritanie – je répète – apprécie que toute la coopération allemande pendant des décennies a été solide et qu’elle a porté des fruits dans les zones d’intervention.
IN : A quoi correspond la coopération en termes de masse financière ?
Dr. Gabriela Linda Guellil : Là je ne voudrais pas répondre avec des chiffres parce que c’est l’efficacité qui fait la différence. Il y a une chose qu’il faut savoir, l’Allemagne ne contribue pas avec des moyens budgétaires ou de l’aide financière. C’est l’Europe qui le fait. C’est les grandes institutions financières internationales qui le font. Nous privilégions l’engagement bilatéral. On coopère dans le domaine de l’expertise avec des techniciens. Je viens de mentionner notre expérience avec la mairie de Sebkha. A ma grande surprise ils n’ont pas réclamé de fonds. Ils ont réclamé assistance technique pour trouver leurs propres ressources indépendamment.
Bien sûr, il faut des investissements considérables. Tous les projets dans le domaine de l’éducation vont coûter beaucoup d’argent. Les bailleurs sont là pour aider. L’Allemagne aussi fait partie des grandes institutions financières, c’est leur raison d’être. Ce sont de grandes banques qui peuvent faire des dons aux pays avec des revenus très bas. Il y’a aussi le système des crédits favorables. Il y a beaucoup de possibilités. Un grand groupe d’acteurs.
L’Union européenne en tant qu’Union contribue avec des fonds assez volumineux. Et le Fonds monétaire international, la BAD et d’autres acteurs régionaux sont prêts et capables de soutenir de leur côté. On réclame un peu plus de coordination intelligente.
L’initiative Alliance Sahel vise justement à cela. Il ne s’agit pas d’augmenter la masse mais surtout de rendre les mesures plus efficaces et de permettre plus de transparence parmi les acteurs pour savoir qui poursuit quels objectifs; où et avec qui. Cela pourrait entraîner une concentration sur une certaine région ou pour obtenir plus de financement pour certaines activités clés. L’Allemagne restera à côté de la Mauritanie.
Entretien conduit par Kissima-Tocka
Source : Initiatives News (Mauritanie)