La Mauritanie, enjeu stratégique entre le Maroc et l’Algérie

La Mauritanie que traverse la seule route de commerce possible entre le Nord et le Sud du Sahara joue désormais un rôle clé dans le développement économique de l’ensemble de la région. Une analyse de Mohamed Mahmoud Ould Maloum

Le développement de l’Afrique passe la construction d’infrastructures routières modernes reliant les grandes capitales africaines, condition d’un commerce intra africain et de liens resserrés avec l’Europe, via le détroit de Gibraltar. Deux grands projets ont été longtemps en concurrence. Le premier axe qui avait été envisagé était une route transsaharienne reliant l’Algérie au Niger (209 millions d’habitants en 2100[1] ) par les postes frontaliers de Guezzam en Algérie et Arlit au Niger avant de se prolonger jusqu’à Lagos au Nigeria (750 millions d’habitants en 2100[2] ). Cet axe, longtemps privilégié par Alger,  a été abandonné en raison de  l’insécurité grandissante causée par AQMI au Sahel.

Le deuxième axe, désormais privilégié, passe par le Maroc et la Mauritanie, avant de rallier Dakar et Lagos en traversant les différentes capitales d’Afrique de l’ouest situées sur l’océan Atlantique. Il s’agit de prolonger l’unique route transsaharienne entièrement goudronnée depuis l’achèvement en 2005 du dernier segment reliant les deux principales villes mauritaniennes, Nouakchott et Nouadhibou.

Passage le plus sûr entre l’Afrique occidentale et l’Europe, cet axe donne à la Mauritanie un rôle de « pays de transit » et même de possible verrou sur cette route allant du Nord vers le Sud du Sahara.

L’Algérie, l’accès vers l’Atlantique 

L’Algérie qui a fermé ses frontières avec les cinq pays limitrophes pour des raisons de sécurité[4], s’est interdite ainsi tous les passages terrestres vers l’Afrique subsaharienne. L’ouverture, en août dernier, du premier point de passage frontalier entre l’Algérie et la Mauritanie, depuis leur indépendance, un passage baptisé « Mustapha Ben Boulaid », un des fondateurs du FLN [3]  révèle une reconnaissance implicite par Alger  de l’intérêt de se « connecter » à cette route qui jouxte l’Atlantique. Ce poste officiellement vise seulement « à faciliter les échanges entre les deux pays ». Ils en veulent pour preuve la récente ouverture de la grande foire commerciale algéro-mauritanienne à Nouakchott. Une première depuis leur indépendance.

C’est avec méfiance que le voisin Marocain scrute a récente « lune de miel » entre elle et la Mauritanie . Le poste de « Mustapha Ben Boulaid », craint le Maroc, pourrait être une nouvelle tentative de « l’isoler », s’il se révélait  concurrent avec le passage privilégié dont elle dispose avec la Mauritanie, puis le Sud du Sahara. Or on sait combien les autorités marocaines tiennent à leur  commerce prometteur avec l’Afrique subsaharienne.

L’Algérie réalise d’une pierre deux coups : mettre fin à son « isolement » géographique et bénéficier d’une « porte » d’accès indirect sur l’océan Atlantique via le nord ouest de la Mauritanie.

Reste la lancinante question de la souveraineté sur le Sahara Occidental, territoire disputé entre le Maroc et  la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) dont le siège se trouve à rabouni, dans région de Tindouf, à la frontière Est du Maroc. C’est par la route qui traverse cette zone que transiteront les marchandises Algériennes en direction de la Mauritanie et plus tard vers l’Afrique subsaharienne.

Moktar Ould Daddah, le premier président de la Mauritanie, décédé en 2003

Un peu d’histoire

En 1975; Hassan II, le prédécesseur du souverain marocain actuel, et Moktar Ould Daddah, le premier Président mauritanien, décidèrent de se « partager » le Sahara Occidental et ainsi  mettre « hors jeu » l’Algérie. Le premier cherchait à doubler la surface du Royaume chérifien et dans la foulée sa façade sur l’Atlantique. Le second tentait de faire de la moitié du territoire nouvellement acquis, un bouclier sécuritaire contre son nouvel « allié » le Maroc, qui quelques années plutôt, revendiquait les confins de Saint –louis au Sénégal comme la limite sud de ses frontières historiques…

L’Algérie voyait d’un mauvais œil le rêve du Maroc d’avoir une façade océanique. Façade qui aurait réduit la distance parcourue par les pétroliers du port d’Alger en Méditerranée et ainsi éviter le passage par le détroit stratégique de Gibraltar (rocher en territoire espagnol appartenant à l’Angleterre …). D’ailleurs ce fut l’une des raisons géostratégique de ce conflit qui dure depuis plus de 40 ans et qui constitue une « pierre d’achoppement » pour toute velléité de rapprochement entre les pays du Maghreb.

Dans la longue histoire des relations internationales depuis les traités de Westphalie[5], le contrôle des territoires des détroits, l’accès aux océans et aux mers ont été l’enjeu essentiel des conflits politico-militaires. La perte de territoires considérés, à tort ou à raison, comme « sacrés », suivi de l’exaltation du sentiment de fierté nationale, sont à l’origine de la plupart des guerres que l’humanité ait connues.

L’antagonisme des principaux acteurs 

La recherche d’une profondeur stratégique des deux voisins du Maghreb dans un contexte international où la « vieille » Europe menacée par un « tsunami » de populisme, se referme sur elle-même, les oblige à se tourner vers une Afrique sub-saharienne en plein boum démographique[6], qui peut bien constituer un précurseur à un boom économique.

En 2005[7], les échanges commerciaux entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne étaient insignifiants, car ils s’effectuaient uniquement par voie maritime, idoine pour les produits manufacturés et les hydrocarbures, mais beaucoup moins pour les produits agricoles périssables dont regorge le Maroc.

Entre 2014 et 2016 les échanges atteignaient 11 milliards $ dans des secteurs comme les banques, la téléphonie mobile, le transport aérien, les assurances et le BTP. Les fréquentes visites, ces dernières années du Roi Mohamed VI, en véritable VRP dans ces pays, a contribué à cet essor. De façon globale, les échanges commerciaux enregistrent une croissance annuelle moyenne de 9,1% sur la période 2008-2016 Quant à l’Algérie, ses échanges commerciaux avec cette région, demeurent aussi faibles et l’ouverture du point frontalier avec la Mauritanie vise à y remédier.

Ces deux pays se « livrent », depuis le milieu des années 70, une lutte diplomatique acharnée d’un autre ordre sur la question du Sahara Occidental.

L’Algérie, auréolée du prestigieux titre du pays « progressiste » soutenant les causes des peuples opprimés, réussit à isoler la diplomatie marocaine, au moins, au sein de l’OUA[8]. Un isolement ponctué en 1984 par la « sortie » du Maroc de l’institution panafricaine.

Le jeune Roi Mohamed VI (couronné à la place de son défunt père en 1999) choisit la « diplomatie économique », qui aboutit à la réintégration du Maroc au sein de l’UA en 2017 et sa très probable intégration à la CEDEAO[9], initialement prévue en 2018 mais retardée car elle suscite des craintes de « dumping économique » dans les milieux d’affaires de l’organisation régionale.

La Mauritanie, un « pivot » géopolitique !

Même si elle ne dispose d’aucun des quatre domaines clefs de la puissance géostratégique : une puissante armée, une économie florissante, une technologie développée et une culture dominante, néanmoins elle peut être considérée comme un « pivot » géopolitique  dans la sous région. Cela tient plus à sa situation géographique de « verrou » de l’accès à l’Afrique subsaharienne, à sa vulnérabilité potentielle plutôt qu’à sa puissance réelle économique ou militaire.

L’Algérie ayant décidé de fermer ses frontières avec la totalité des pays limitrophes (sauf avec la Tunisie), rajouté au manque d’infrastructures routières  modernes à sa frontière avec le Mali et le Niger, la Mauritanie devient son unique  moyen d’accès au sud du Sahara. Ainsi ce pays sera appelé a jouer le même rôle de « verrou » du sud pour ses deux grands voisins du Nord .

À ce titre, il devrait être capable d’influer sur le comportement de ses deux voisins, en jouant subtilement sur leurs antagonismes et sa nouvelle position géopolitique.

La Mauritanie et le Maroc sont reliés par un seul point frontalier : «  Al-gargaratat ». Depuis 2005, il est l’unique moyen terrestre pour les touristes et les travailleurs immigrés africains en Europe d’aller en Afrique subsaharienne. En plus il est le lieu d’un intense trafic de camions marocains chargés de marchandises en direction des marchés subsahariens. C’est aussi par cette frontière que passe une partie de la drogue légère en direction du Sud. Quelques saisies furent effectuées, ces dernières années, par la douane mauritanienne mais sans excès de zèle, car tout le monde profite de cette manne financière discrète..

Les trois pays du Maghreb sont  complémentaires: A l’Algérie, la suprématie diplomatique; au Maroc, le dynamisme économique; A la Mauritanie le rôle de « pivot » géopolitique.

La nouvelle route de « la soie » de l’Afrique subsaharienne devrait bénéficier à tous. les Etats parfois repliés sur un nationalisme frileux sauront-ils relever le défi? Espérons le…

 

[1] https://www.populationpyramid.net/niger/2100/

[2] https://www.populationpyramid.net/nigeria/2100/

[3] Membre du fameux groupe des six membres fondateurs du FLN, tué par l’armée française en 1956

[4] Fermeture de sa frontière avec le Maroc en 1994, la Libye et le Niger en 2014 et le Mali en 2015

[5] signé entre les grandes puissances européennes de l’époque en 1648. Ils sont à la base du « système westphalien » qui régit depuis lors les « relations internationales »

[6] Plus d’un milliard d’habitants en 2016, 2.5 milliards en 2050 et 4.4 milliards en 2100 selon la Fonds des Nations -unis pour la population- FNUAP

[7] Selon l’Office des Changes commerciaux du Maroc.

[8] Organisation de l’unité africaine, devenue l’union africaine

[9] Communauté des états d’Afrique de l’ouest regroupant le Bénin, Burkina-Fasso, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, GuinéeBissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo, Cap-Vert

Source: Mondafrique