Dans l’horizon du paysage présidentiel 2019 : Les missions nationales urgentes

Dans l’horizon du paysage présidentiel 2019 : Les missions nationales urgentesMalgré la nature charnière qui caractérise les prochaines échéances présidentielles en Mauritanie, prévues à la mi 2019, un halo de mystère voile les positions d’une large majorité de l’élite politique nationale aussi bien de la majorité que de l’opposition.

Les questions centrales devant interpeler l’élite politique nationale, dans la prochaine étape, se déclinent à notre avis en trois thèmes principaux : en premier lieu, le respect de la Constitution et la réalisation de l’alternance démocratique, en second lieu, l’élection d’un président civil qui met fin à l’ingérence de l’armée dans la politique, et enfin l’avènement d’un large consensus national qui procure un filet de sécurité pour le processus de transformation historique.

Telles sont les missions nationales urgentes qui exigent de tous des concessions réciproques jusqu’à ce que la Nation se tienne debout sur un socle ferme ; ce qui lui assure un laisser-passer pour l’avenir. Et ce indépendamment des scenarii et résultats -prévisibles ou non- des élections présidentielles à venir.

D’aucuns peuvent se demander pourquoi limiter les missions nationales urgentes à l’horizon des élections présidentielles 2019 au nombre de trois : (l’alternance démocratique, le consensus national, et l’élection d’un président civil) ? Cette interrogation légitime nous conduit à évoquer trois défis de l’expérience démocratique mauritanienne : l’immobilisme démocratique, la faiblesse de l’Etat, et l’absence du contrôle de l’institution militaire par les civils. Ce sont des défis qui s’interfèrent ; l’immobilisme démocratique est la conséquence imparable de l’intervention de l’armée dans la politique et de la faiblesse de l’Etat, tout comme l’ingérence de l’armée dans la politique est le résultat naturel de la fragilité politique et institutionnelle due à la faiblesse de l’Etat.

L’alternance démocratique :

L’alternance démocratique constitue l’objectif national numéro un ; elle tire sa priorité exceptionnelle de l’épreuve décisive à laquelle est affronté le processus démocratique en Mauritanie à la lumière du débat soulevé par le respect du principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels.

Les experts des processus démocratiques récents évoquent dans la littérature sur la transition démocratique l’influence du contexte de la rédaction de la Constitution sur l’avenir du processus démocratique. Et il est de notoriété publique que le contexte de la Constitution de juillet 1991 était très mauvais ; le pouvoir militaire de l’époque ayant évité tout débat public autour des articles de la constitution attendue. Par contre, il s’est limité à une commission secrète composée de ses fidèles, chargée de l’élaboration de la nouvelle constitution de manière à conserver l’essentiel du pouvoir dictatorial avec un vernis démocratique pour la forme. L’un des principaux aspects fut la non limitation des mandats présidentiels. Il a fallu attendre la révision constitutionnelle de 2006 -élaborée durant une période de réveil de la conscience nationale et à la suite de graves crises politiques- qui a consacré l’acquis constitutionnel important qui est la limitation du nombre des mandats présidentiels et ce par des articles verrouillés par le Constitution. Ce sont ces articles qui constituent le principal acquis démocratique en Mauritanie.

La démocratie mauritanienne reste encore classée dans le zone grise ; ce qu’il est convenu d’appeler les systèmes hybrides, c’est-à-dire qu’elle a dépassé la phase de pure dictature sans toutefois progresser clairement et avec confiance vers l’approfondissement de la démocratie. Le plus grand défi -comme dit Robert A. Dahl– consiste dans le renforcement des valeurs démocratiques… afin qu’elles puissent résister devant les épreuves du temps et de la lutte politique pour pouvoir approfondir la démocratie.

Et sans tenir compte des devoirs et obligations des différents protagonistes (partis, société civile, armée, forces extérieures) à l’alternance démocratique, la plus grande responsabilité repose sur le Président Mohamed Ould Abdel Aziz qui a contribué avec efficacité au sauvetage du pays le 3 août 2005. Il a sorti le pays de problèmes réels et non fictifs et créés de toutes pièces, et il est de son devoir de tenir ses promesses, de respecter ses promesses et de prendre conscience de l’importance de l’opportunité historique qui lui est offerte ; sa réussite dans la conduite d’une alternance démocratique apaisée le hissera au rang des dirigeants qui ont contribué positivement à l’histoire nationale de leurs pays…

Les forces de l’opposition doivent profiter des leçons apprises des transitions démocratiques réussies caractérisées par des solutions de compromis afin de faciliter la transition vers une démocratie qui offre à tous les responsables l’occasion de participer au processus de transition sans engager contre eux de poursuite judiciaire car ils détiennent toujours une part de pouvoir et peuvent gêner le processus s’ils n’ont pas des garanties de non-poursuite.

L’élection d’un Président civil :

La deuxième mission urgente – à notre avis- reste l’obligation d’élire un Président civil, fort et engagé démocratiquement afin de clore l’ingérence politique de l’armée dans les affaires du pouvoir. Tout en reconnaissant qu’« il n’y a pas d’armée éloignée de la politique du fait de l’exercice quotidien des affaires liées à la « sécurité nationale ». Ce qui est considéré ici, c’est l’aspiration de l’armée à la politique dans son acceptation restreinte à savoir l’exercice du pouvoir, sa prise et la participation dans sa gestion ».

Nous reconnaissons que les conditions du premier coup d’Etat militaire (juillet 1978) étaient des conditions d’exception à tous égards, du fait des conséquences dévastatrices de la guerre du Sahara sur l’ensemble des conditions économiques, sécuritaires et sociales du pays. Le gouvernement civil était en ce temps incapable de gagner la guerre et incapable d’en sortir ou de limiter ses conséquences néfastes. De plus, il avait réalisé que « la plus importante cause de l’ingérence militaire en politique -comme le dit Huntington- n’est pas militaire mais politique, elle reflète la structure politique et organisationnelle de la société ».

Dans la première ère civile (1960-1978), le régime politique a exercé un niveau idéal de l’autorité civile sur l’institution militaire et de sécurité mais -malheureusement- il manquait des principes et institutions démocratiques ce qui fait que l’armée n’a pas été élevée dans la démocratie qui ne pouvait être respectée car sans existence à l’époque.

Aujourd’hui, après quatre décennies de l’ingérence de l’institution militaire dans les affaires politiques en Mauritanie, cette ingérence constitue une menace inquiétante non seulement pour l’avenir de la démocratie en tant que système de pouvoir mais aussi pour l’avenir de l’Etat lui-même. L’armée, comme dit Zoltan Barany, « est non seulement l’institution la moins démocratique entre les institutions de l’Etat mais elle est la seule institution de l’Etat capable de le détruire ».

La stabilité politique est le préalable principal à tout développement et à toute renaissance et l’ingérence de l’armée dans la vie politique est un facteur de déstabilisation et un obstacle au décollage et au développement. Les constitutions dans les Etats démocratiques limitent « la fonction de l’armée à la sécurisation de l’Etat et de la patrie contre le danger extérieur, et ce pouvoir -comme dit Belkeziz– ne lui confère pas de déplacer ses lignes militaires vers l’intérieur ou de se mouvoir des frontières de l’Etat vers les frontières du pouvoir ».

Le consensus politique :

La troisième mission urgente à l’horizon des élections présidentielles 2019 est la réalisation d’un large consensus national dans la prochaine phase afin de faire du prochain mandat présidentiel une véritable période de transition durant laquelle s’engage un grand débat politique et de société pour définir les grandes lignes de la Mauritanie de demain.

Le premier mobile du consensus politique en cette période critique s’explique par les défis liés à la faiblesse de l’étatisme dont souffre l’Etat mauritanien. Et comme le dit Juan Linz : « la démocratie est un système de gestion de l’Etat et pour avoir une démocratie, il faut au préalable avoir un Etat ». Le principal aspect de la faiblesse de l’étatisme reste -selon Georg Sørensen– « l’absence d’une société intégrée ce qui pousse l’Etat dans ce modèle vers la consécration des relations générales basées sur le tribalisme, le régionalisme et les appartenances ethniques. Tout comme les institutions gouvernementales -dans ce modèle- ne sont pas gérées dans l’intérêt des principaux groupes de la société.

Ce qui fait que les premiers pas d’une bonne gouvernance et ses préalables restent « d’œuvrer pour rendre l’Etat à la société et l’intégration des composantes de la société dans l’Etat en procédant à un grand changement des fondements sur lesquels s’est basée, ou se base, la répartition des parts de force dans la société, afin que la citoyenneté devienne le principal déterminant. ». Et pour mettre fin aussi aux pratiques esclavagistes et d’exclusion qui a toujours été une source de déséquilibre dans la construction de l’Etat et une cause d’instabilité.

Le deuxième mobile du consensus politique dans la prochaine étape est relatif au devenir du processus démocratique qui fait changer -à cause de sa mobilité par nature- la structure du pouvoir établi « menaçant ainsi la position politique des élites établies ainsi que leurs avantages ; étant donné que les élites gouvernantes -en général- recourent aux divergences religieuses ou ethniques pour mobiliser le soutien ou pour créer une atmosphère de désordre et de violence rendant impossible tout changement dans l’intérêt de la préservation de l’ordre établi. ».

Quant au troisième mobile du consensus politique, il se justifie par l’urgence de la nécessité de réussir le projet de réalisation du contrôle civil de l’institution militaire. La réussite de cette mission à caractère stratégique exige la présence d’un gouvernement civil fort, formé par une large alliance politique, capable de négocier avec l’institution militaire d’une position de force. On trouve dans les cas où le contrôle civil échoue et où l’armée continue à exercer son influence, dans ces cas-là, la principale cause réside dans les divergences entre les élites et les forces politiques ainsi que dans l’absence d’un consensus national pour faire sortir l’armée et l’absence d’une alternative nationale acceptable pour l’armée. ».

En somme : les élections présidentielles en 2019 constituent un évènement charnière dans l’histoire du système politique mauritanien. Elles peuvent même être transformées en « élections fondatrices » qui réalisent l’alternance démocratique. Cette alternance est considérée comme un préalable principal à l’approfondissement de la démocratie qui constitue aujourd’hui une bouée de sauvetage pour l’Etat et la société. Elle rend de nouveau le pouvoir aux civils car le contrôle civil de l’institution militaire et de sécurité constitue une condition sine qua none de la démocratie. Et dans les pays les moins démocratiques -ayant souffert du pouvoir militaire comme en Mauritanie– ce contrôle civil est considéré comme la principale des garanties pour l’approfondissement de la démocratie.

Sans la réussite du pouvoir civil dans contrôle des forces armées et des appareils de sécurité, il ne convient guère de parler d’un véritable système démocratique. Et plus important que tout cela est le fait d’accompagner ce changement historique par un consensus politique national assez large dépassant la logique majorité/minorité et soutien/opposition.

Et comme le dit Adebayo Adedeji, -chercheur Nigérian et ancien responsable onusien- « les africains sont les maitres du passé dans la consultation, l’accord et le consensus. Nos traditions abhorrent l’exclusion des autres. C’est ainsi qu’il n’existe pas d’opposition reconnue à caractère institutionnel dans notre système traditionnel de pouvoir. Et pour nous, le domaine politique n’était pas considéré comme un jeu où il faut qu’une partie perde pour que l’autre partie gagne. ».

Par Dr. Sid Amar CHEIKHNA

Source : Alakhbar (Mauritanie)