Le gaz: aubaine ou malédiction? Par Moussa Fall, président du MCD

Le gaz: aubaine ou malédiction? Par Moussa Fall, président du MCD Etat des découvertes de gaz

Le bassin mauritano-sénégalais a révélé, ces toutes dernières années, l’existence d’un très grand potentiel en hydrocarbures liquides mais surtout gazeux. Les principales découvertes sont essentiellement l’œuvre de Kosmos Energie qui a eu la main heureuse et qui s’est, par la suite, associée au géant pétrolier British Petrolium (BP).

Kosmos Energy avait découvert en 2015 un important gisement de gaz au large de la Mauritanie. Ce gisement dénommé Marsoin est situé exclusivement en territoire mauritanien. Sa capacité est estimée à 6,5 TCF environ (1 TCF équivaut à 28 milliards de m3 soit environ 170 millions de barils de brut équivalent pétrole.)

Kosmos Energie a fait en 2016 une autre découverte située entièrement en territoire sénégalais portant le nom de Guembel et possédant un potentiel équivalent à celui de Marsoin en Mauritanie soit 6 à 7 TCF.

Le troisième champ gazier, le plus important, est celui qui se situe à cheval sur la frontière mauritano-sénégalaise. Il porte le nom de Tortue/Ahmeyim et il est considéré comme une immense découverte avec des réserves estimées entre 16 et 25 TCF.

Tout dernièrement, en mai dernier, la société Kosmos Energy a trouvé un nouveau gisement de gaz dans le puits Yakar-1 en territoire exclusivement sénégalais avec une taille considérable, estimée à 15 TCF.

Les recherches sont toujours en cours en dépit des deux derniers forages secs de Kosmos Energiy en Mauritanie, et ce potentiel peut augmenter avec de nouvelles découvertes. Kosmos Energy et BP poursuivent leurs recherches et de nouvelles compagnies sont à l’œuvre dans cette même zone : Total programme deux nouveaux forages dont l’un en Mauritanie et l’autre au Sénégal et Exxon- Mobil vient d’acquérir trois blocs en territoire mauritanien.

La découverte de tous ces réservoirs dans une courte période de moins de trois ans, sur une même aire géographique, et par le même consortium fait du bassin off-shore mauritano-sénégalais une zone gazière se classant à un rang international élevé.

Stratégies de maximalisation des retombées du gaz

L’expérience acquise dans la mise en valeur des richesses pétrolières et gazières a permis de concevoir de nouvelles stratégies visant à maximaliser les avantages que peuvent en tirer les économies des pays producteurs.

Certaines catégories de recettes sont clairement déterminées par le Contrat de Partage de Production signé entre l’Etat et les opérateurs. L‘optimisation de cette catégorie de recettes demande un suivi et un contrôle permanents des coûts pétroliers en relation avec l’exploitant. Le budget de l’Etat pourra, en outre, tirer profit de l’ITS sur les salariés et de l’impôt sur la sous-traitance.

Les rentrées budgétaires au titre du Contrat de Partage de Production sont à effet progressif, non immédiat. Faibles au départ, elles augmentent au fur et à mesure de la régression des coûts recouvrables.

En plus de ces ressources, acquises en aval, le défi majeur est, aujourd’hui, de mieux tirer profit, en amont, de l’activité productive pour maximaliser les effets pouvant impulser le développement économique du pays.

L’industrie de l’extraction du gaz nécessite une logistique colossale et fait appel à d’innombrables services. L’Etat, en relation avec les opérateurs, devra encourager l’émergence de nombreuses entreprises nationales pour répondre, avec le savoir faire exigé, à cette nouvelle demande. L’Etat doit aussi mettre en œuvre une politique accélérée de formation pour satisfaire les besoins en personnel exprimés aussi bien par les exploitants que par leurs sous-traitants.

L’offre locale, outre son effet bénéfique sur l’économie dans son ensemble, permettra, en particulier, de réduire les coûts de l’opérateur et d’augmenter par la même occasion la part de la production partagée.

Les nombreux avantages induits en amont par l’industrie pétrolière sont aussi importants que les recettes budgétaires tirées directement du CPP. Toute stratégie d’ensemble doit, en conséquence, agir sur les deux leviers pour optimiser les effets de ces richesses dans l’intérêt des économies nationales et du bien être des populations.

A cet effet le Contrat de Partage de Production doit être associé à une « Stratégie de Contenu Local » comprenant des dispositions institutionnelles, législatives et fiscales permettant aux entreprises locales de répondre, autant que possible, aux besoins des grandes compagnies internationales et à ces dernières d’être satisfaites par les services rendus.

La stratégie de contenu local accorde, par ailleurs, une place de choix à la formation pour satisfaire la demande en ingénieurs et en techniciens spécialisés dans l’industrie pétrolière.

Sur ce front la Mauritanie, malgré l’expérience acquise dans l’exploitation de Chinguity, expérience qui n’a pas laissé beaucoup de traces, accuse un retard considérable par rapport au Sénégal.

Dans ce pays, les autorités ont pris les devants en créant un Comité d’Orientation Stratégique du pétrole et du gaz directement rattaché au président de la république qui est, lui même, un pétrolier. Ce comité d’orientation est chargé de mettre en œuvre une stratégie de contenu local pour « l’émergence de PME spécialisées, et favoriser un environnement des affaires propice à l’investissement privé dans les secteurs de l’industriel et des services».

Dans le domaine de la formation, le Sénégal a engagé une politique dans l’enseignement supérieur dédiée aux études spécialisées dans l’industrie pétrolière avec la création de masters pétroliers dans les universités et d’un Institut Supérieur Sénégalais du Pétrole.

Conjurer la malédiction

Avant la récente découverte du gisement de Yakkar au Sénégal, la stratégie du consortium accordait la priorité à la mise en valeur du réservoir transfrontalier de Tortue/Ahmeyim. Le plan de développement prévoyait la signature d’une convention entre les gouvernement mauritanien et sénégalais, la prise par le consortium de la décision finale d’investissement en 2018 et le commencement des travaux pour construire les installations. Les premières exportations devant être expédiées vers la fin de 2021.

La découverte de Yakkar est-elle de nature à réviser les priorités dans la mise en production des champs découverts ? La question mérite d’être posée car la proximité géographique de ces réservoirs et leur appartenance au même consortium donne à ce dernier une position déterminante dans la fixation des priorités. Et on sait, par ailleurs, que les critères de priorisation des opérateurs ne coïncident pas toujours avec ceux des Etats.

Suivant la logique de la stricte rentabilité financière, l’exploitation de Yakkar, dans un premier temps, pourrait s’avérer plus avantageuse. C’est un gisement à fort potentiel estimé, en attendant confirmation par de nouvelles explorations, à 15 TCF. Il se situe exclusivement en territoire sénégalais avec comme unique interlocuteur le gouvernement de ce pays, les gisements transfrontaliers étant toujours plus problématiques à exploiter surtout quand les relations entre les états impliqués ne sont pas fluides.

La production du gaz exige une grande stabilité et une grande sérénité car il se commercialise sur la base de contrats fermes et à longs termes. Les coûts des installations et les coûts de production de Yakkar seront probablement inférieurs à ceux de Tortue/Ahmeyim car les installations pourraient être construites sur un site onshore librement choisi sur le territoire sénégalais alors que pour Tortue/Ahmeyim elles doivent impérativement être à cheval sur la frontière, à 8 kms au large et avec une digue de 1.6 kms de long pour un investissement de 800 millions de $ environ.

Une nonchalance perceptible dans le respect du calendrier du développement de Tortue/Ahmyim laisse craindre une telle inversion des priorités.

Jusqu’à ce jour la convention entre la Mauritanie et le Sénégal pour le développement de Tortue/Ahmeyin n’est pas signée. Cet accord détermine la clef de répartition des quantités produites entre les deux Etats. La négociation des termes de cet accord, qui s’éternise, n’a pas encore abouti. Et c’est un document fondamental qui conditionne la prise de la décision de mise en exploitation du gisement. A qui la faute ? On sait que les relations entre les deux gouvernements sont loin d’être chaleureuses. Mais peut-on hypothéquer les intérêts majeurs des deux pays pour des motifs subalternes ? En tout état de cause, l’exploitation du gaz ne peut démarrer que dans un environnement pacifié sur le long terme.

On parle souvent de la malédiction du pétrole. La manne pétrolière que recèle le bassin mauritano-sénégalais doit être un atout déterminant pour le développement, la concorde et le bien être des populations des deux pays. Elle ne doit en aucun cas être une pomme de discorde et un facteur de déstabilisation et de conflits entre les deux pays et dans la région. C’est pour cette raison que les critères établis pour définir les priorités de développement des champs gaziers du bassin mauritano-sénégalais ne doivent pas être strictement financiers ou étroitement nationalistes. Ils doivent tenir compte de la géopolitique, de ses équilibres et de son harmonie.

Pour éviter un nouvel engrenage il faut nécessairement développer une nouvelle politique de relations de coopération et de coordination forte entre les deux pays pour gérer dans l’entente, avec un esprit de responsabilité, leurs négociations avec leurs partenaires pétroliers pour le développement de ces nouvelles richesses.

Sera-t-il possible, abstraction faite des vœux pieux, que la Mauritanie et le Sénégal, saisissent l’opportunité de la découverte de ces immenses richesses, à cheval et de part et d’autre de leurs frontière, pour ériger un modèle d’entente et de coopération que leur dictent les liens historiques, et les intérêts fondamentaux des populations, des pays et des états. Un modèle de coopération qui ne doit, naturellement pas, se limiter aux hydrocarbures. De nombreux autres domaines d’activités pourraient connaître un puissant essor dans le cadre d’une meilleure intégration des économies et d’une meilleure fluidité des relations bilatérales. De nombreuses entraves au développement des échanges entre les deux pays doivent être levées en priorité, en particulier la construction du pont de Rosso et de la route Nouakchott-Rosso.

C’est un pari difficile mais pas impossible. Une telle entente mettra les deux pays dans une bonne position de négociation et de défense de leurs intérêts. Et c’est à ces conditions que la manne gazière partagée sera une aubaine pour les deux peuples.

Nous devons comprendre que les politiques à courte vue, les querelles subjectives et les incompatibilités d’humeur risquent de plonger une région déjà fortement vulnérable dans une grave instabilité. Il appartient à présent aux intellectuels, aux sociétés civiles et aux responsables politiques des deux pays à tous les niveaux de conjuguer leurs efforts pour éviter que la malédiction du pétrole trouve toute son expression, une nouvelle fois, dans cette région du monde et pour que le Sénégal et la Mauritanie inaugurent enfin une ère de coopération et d’alliance conforme à la nature des liens humains, de sang et de proximité des deux peuples.

MOUSSA FALL

Président du Mouvement pour le Changement Démocratique (M.C.D.)