Nouakchott – Rabat contre vents et marées


Si la Mauritanie, terre de la poésie, a souvent été décrite comme « le pays du  million de poètes », il existe, cependant, bel et bien, un autre moyen d’expression que les mauritaniens utilisent, au-delà de toute autre nation ; le langage du silence.

Rien ne vaut une querelle et on préfère taire les problèmes fermant la porte à toute forme de scandale, de tapage et autre désordre publique. Le silence revient toujours et se fait maître des lieux et des esprits.

Pourtant, ce silence renvoie étrangement un écho ; certes inaudible pour le commun des mortels mais combien perçu par le mauritanien de la rue.

Il ne s’agit pas là  de comprendre l’origine de ce phénomène d’expression, sans doute, peu commun ou de le remettre en cause, du moment qu’il garantit un ordre social et contribue au bien être général.

Toutefois, ce silence devient problématique lorsque cette forme de communication est adoptée pour répondre à des questions de politique étrangère voire de diplomatie ; forcément, l’autre en face ne comprend pas ; lui, ne percevant aucun écho. L’autre ici, c’est le Maroc.

Un silence qui, à titre d’exemple, se traduit, par une représentation diplomatique mauritanienne quasi muette, et de surcroit, marquée par l’absence d’ambassadeur, et ce, depuis plusieurs années.

Le décès récent de l’ambassadeur marocain en Mauritanie, Feu Abderrahmane Benomar – paix à son âme –, après de longues années de service, n’arrange guère les choses ; car le risque est que, par le jeu de la réciprocité, le silence s’installe de part et d’autre, s’enracine et devienne le terreau des divergences qui souvent précèdent la rupture.

Seulement,  rassurons-nous,  jamais  rupture il y en aura. Car tout simplement, les liens séculaires de sang et de fraternité qui unissent ces deux pays, viennent toujours à bout des forces du mal.

Toutefois, ce silence, cette gêne non avouée, cette crispation envers le Maroc qui se traduit par des positions tantôt fermes, tantôt provocatrices et parfois même hostiles, requiert une plongée dans l’histoire récente de ce jeune pays qu’est la Mauritanie, pour comprendre sa condition, tirer des enseignements et préparer l’avenir.

1955, le dossier du Grand Maroc.

S’il est une chose qui a marqué les esprits mauritaniens au point d’heurter leurs sensibilités c’est bien le dossier du Grand Maroc ; thèse ayant vu le jour en 1955 au parti de l’Istiqlal sous Allal El Fassi revendiquant, entre autres, la Mauritanie,  une partie du Mali et une partie de l’Algérie.

Cette thèse fut d’autant plus bouleversante pour les mauritaniens à l’époque avides d’indépendance, quand certaines grandes figures tribales décidèrent de rejoindre le Maroc ; à l’image de Mohamed Fall Ould Oumeir, à l’époque Emir du Trarza (région du Sud-ouest de la Mauritanie) ou encore Horma Ould Babana cadre du parti Istiqlal ; et qui fût avant, député de la Mauritanie sous l’ère coloniale française.

Aujourd’hui, plus de soixante après, le couac de Hamid Chabat, patron de l’Istiqlal nous montre à quel point les mauritaniens restent à fleur de peau vis-à-vis de ce dossier.

Nouakchott, Alger et le Polisario, une affaire qui remonte à 1975.

Le Polisario ne pardonnera jamais au président mauritanien Mokhtar Ould Daddah d’avoir passé un accord en 1975 avec Sa Majesté le roi Hassan II (Paix à leurs âmes) sur le territoire du Sahara. Ayant le sentiment d’avoir été vendu au Maroc, le Polisario appuyé par l’Algérie déclare la guerre à la Mauritanie.

En 1978, dans un contexte de guerre,  de divisions au sein de l’armée mauritanienne, de sensibilités tribales et d’une économie embryonnaire ; le premier président que la Mauritanie ait connu, Mokhtar Ould Daddah, en fît les frais.  Il est déposé par un coup d’Etat ; le premier d’un long feuilleton qui rythmera désormais la vie politique mauritanienne.

Entre 1979 et 1981, une série de putschs qui, à coup de machinations et de règlements de comptes, finissent par venir à bout de l’axe Nouakchott – Rabat. Ils  portent au pouvoir un régime allié au Polisario et à l’Algérie. Les jours qui suivirent verront la signature à Alger d’un accord de paix entre la Mauritanie et le Polisario ; l’axe Nouakchott – Alger est né.

Nouakchott – Rabat, la résistance…

La Mauritanie s’enlise de plus en plus dans les bras de l’Algérie et du Polisario ; et le risque imminent de la voir se transformer par l’entremise algérienne en « république sahraouie » dirigé par l’ancien Polisario devient une sérieuse inquiétude pour le Maroc mais également pour le mouvement d’opposition mauritanien l’AMD (Alliance pour une Mauritanie Démocratique).

Fondé en 1980, en France, autour du président Mokhtar Ould Daddah qui s’y trouvait en exil, le mouvement de l’AMD compte en son sein d’éminents politiques et officiers supérieurs qui s’étaient brillamment démarqués lors de la guerre contre le Polisario notamment  le Colonel Mohamed Ould Abdel Kader, célèbre sous le nom de Kader, chef de l’aviation militaire mauritanienne. Ce dernier, avait trouvé refuge au Maroc.

Le Maroc, où l’on pouvait déjà entendre Sa Majesté le roi Hassan II dire (traduction) : « Si la Mauritanie décidait de suivre l’une des voies qui s’offraient à elle, nous serions à ses côtés. A condition de que cette voie ne touche à aucun des deux points suivants : que le règlement de ses problèmes ne touche, ne serait-ce, qu’un brin de la terre marocaine et qu’elle ne place aucun territoire étranger entre nos deux territoires. »

Un an après la proclamation de l’AMD, Nouakchott se réveille le 16 mars 1981, sous le bruit d’un coup d’Etat dirigé par le Colonel Kader.  Cette tentative pourtant à deux doigts de la réussite se solde par un échec.

La sentence fut lourde. Certains participants à ce soulèvement sont exécutés, notamment son auteur principal, le Colonel Mohamed Ould Abdel Kader, son valeureux ami le Colonel Ahmed Salem Ould Sidi, ainsi que les courageux officiers Niang Moustapha et Doudou Seck.

Les choses vont désormais de mal en pis. La Mauritanie rompt  ses relations diplomatiques avec  le Maroc l’accusant d’être derrière cette tentative de coup d’Etat.

S’en suivra, évidement, côté mauritanien, une campagne de bruitage de l’opinion publique et de l’imaginaire collectif. Une campagne qui, à coup de diffamations et de calomnies, vise à créer un ennemi ailleurs, à détourner le regard, à imposer le silence à l’intérieur d’un pays déjà au bord de la ruine. Et qui mieux que le Maroc pour endosser ce mauvais rôle. Celui-là même qui, par le passé, avait tenté de nous annexer.

En réalité, l’emprise du Polisario sur les dirigeants mauritaniens en place, fût tellement forte que ces derniers préfèrent voir en cette action, une agression marocaine, plutôt qu’un sursaut de vaillants officiers mauritaniens opérant un sauvetage de la Mauritanie.

Plus tard, le président Mokhtar Ould Daddah dans ses mémoires « La Mauritanie conte vents et marées (page 639)»  rendra hommage aux auteurs de ce soulèvement le qualifiant de tentative de rétablissement de la légitimité.

Ce n’est  qu’en 2000, sous le régime du colonel Maaouya Ould Sid Ahmed Taya  arrivé au pouvoir  également par coup d’Etat en 1984, que les relations avec  le Maroc affichent un réchauffement voire un tournant.

En effet, lors de sa visite officielle au Maroc, le président mauritanien aura ces mots à l’adresse du roi Mohammed VI :  » Majesté et cher frère, notre rencontre aujourd’hui confirme notre volonté commune de poursuivre la concertation qui existe entre nous, en vue de consolider la coopération bilatérale entre nos deux pays qu’unissent les liens solides de fraternité et d’amitié, tissés à travers l’histoire.  »

Une  année plus tard, le souverain du Maroc le roi Mohammed VI  réplique par une visite historique en Mauritanie. L’axe Nouakchott – Rabat est enfin rétabli.

La Mauritanie affichera, tant bien que mal, la politique de la neutralité face à la question du Sahara qui oppose le Maroc au Polisario mais surtout à l’Algérie. Mais existe-t-il une neutralité en politique ? Une neutralité souvent mise à rude épreuve par des échauffourées à caractères politiques, sociales et parfois militaires entre les parties prenantes ; ce qui impose au pouvoir mauritanien une maniabilité extrême  et une diplomatie clairvoyante. A défaut de ces qualités, la prudence est de rigueur ; le feuilleton des coups d’Etat étant loin d’être terminé.

En effet, quelques années plus tard, deux autres putschs viendront s’ajouter à  la liste. Au total, la Mauritanie aura connu sept coups d’Etat dont deux ayant échoué.

Le pays vivant sous la frénésie des putschs, cette neutralité affichée oscillera continuellement entre objectivité mais aussi permissivité, souvent au profit du Polisario, et ce, au risque de froisser le Maroc.

Une attitude qui s’est sensiblement accentuée ces cinq dernières années, accompagnée du silence strident des autorités mauritaniennes et d’une crispation sur fond de tension.

Décryptage

Derrière cette crispation, se cache en réalité un pays qui, après avoir été frappé par la malédiction des coups d’Etat, tente de se refaire une santé, une image.

Un pays qui, par manque d’attractivité, dans une Afrique en plein développement, tente de rattraper le retard, et surtout, craint de voir les siens croire en un avenir ailleurs ; notamment au Maroc, où de plus en plus de mauritaniens achètent des maisons secondaires dans les grandes villes du royaume ou dans les provinces du sud –  pour les plus nostalgiques – à la recherche d’un climat familier.

Un royaume devenu très séduisant – il faut le dire – et où, vont et viennent de plus en plus les mauritaniens à la recherche de calme et de sérénité. Les mauritaniens qui, souvent, en aparté, aiment s’adonner à l’autocritique autour de longues discussions où ils font et refont l’histoire du pays décrivant avec désolation le gap qui désormais les sépare du Maroc.

Ainsi, à défaut de briller par le développement économique et infrastructurel, la Mauritanie tente de rayonner par la politique étrangère et adopte désormais la posture de la fermeté et de la présence.

Des dates récentes dénotent du degré de cette volonté, à savoir, la présidence du mandat de l’union Africaine en 2014, l’organisation du sommet de la ligue arabe en 2016 – suite au désistement du Maroc –, ou encore tout récemment, en jouant le rôle de médiateur dans l’épisode gambien.

A travers ces actions, la Mauritanie veut souligner son rôle d’acteur majeur de la sous-région ; comme pour dire : j’existe.

L’avenir…

Par rapport au dossier du Grand Maroc de 1955, une seule et unique phrase suffit pour couper court à tous les chahuts et autres débordements. Cette phrase permet de laver le Maroc de toutes les accusations malsaines et vicieuses de velléités expansionnistes que ses détracteurs veulent bien lui coller à la peau. En réalité, il ne s’agit pas d’une phrase mais encore mieux, d’un verset du Saint Coran ô combien vrai, concis et profond ; Un verset qui nous apprend une règle intemporelle du savoir-être et du savoir-vivre :

(البقرة 134)

« تِلْكَ أُمَّةٌ قَدْ خَلَتْ ۖ لَهَا مَا كَسَبَتْ وَلَكُم مَّا كَسَبْتُمْ ۖ وَلَا تُسْأَلُونَ عَمَّا كَانُوا يَعْمَلُونَ »

(Al-Baqarah/134)

« Voilà une génération bel et bien révolue. A elle ce qu’elle a acquis, et à vous ce que vous avez acquis. Et on ne vous demandera pas compte de ce qu’ils faisaient. »

Une règle divine qui vient, tout bonnement, nous rappeler qu’il faut cesser de remuer et vivre dans le passé, et de se tourner vers son temps ; et c’est, nul doute, le message qui a été  porté au président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, par les émissaires de Sa Majesté le roi Mohammed VI suite à la bourde « Chabatesque » sur la Mauritanie. Le roi qui est intervenu personnellement pour remettre les pendules à l’heure et déclencher avec élégance et grandeur un dialogue chaleureux entre deux pays jusque-là en froid.

C’est ce geste qui a permis au Maroc d’avoir le soutien de la Mauritanie pour son retour à l’union Africaine. Un soutien qui, tout de même, reste timide et silencieux pour les raisons que désormais nous connaissons.

Mais la Mauritanie a le droit d’afficher, haut et fort, son soutien au Maroc ; non pas, par un simple écrit comme ce fut le cas à l’union africaine.

Le président mauritanien a le droit de répondre présent lorsqu’il est, entre autres chefs d’Etats, l’invité du roi Mohammed VI à Addis Abeba ; et pas uniquement envoyer son ministre des affaires étrangères alors qu’une quarantaine de présidents, eux, sont là, dont Mahmoud Abbas.

Il n’en demeure pas moins que la position du régime mauritanien n’est guère aisée face au conflit du Sahara ; mais, de là, à agir comme s’il avait le couteau sous la gorge, donne un sérieux coup à l’image du pays ; car, il faut le dire, cela devient de plus en plus flagrant.

Oui, la Mauritanie, son peuple et son président ont le droit d’envisager un avenir avec le Maroc, n’en déplaise aux détracteurs qui ferait mieux d’œuvrer pour un Maghreb uni.

En effet, dans un moment de l’Histoire où le Maghreb se doit de conjuguer ses efforts, son potentiel et ses richesses divinement complémentaires, toutes les parties sont appelées, plus que jamais, à engager des dialogues sincères et courageux afin de mettre terme à cette prise d’otage de tous ces peuples frères qui ne demandent qu’à s’unir.

Le 28ème sommet de l’Union Africaine a été agréablement marqué par le retour du Maroc au sein de sa famille naturelle, mais plus que cela, il a été l’occasion de montrer à qui veut voir, le soutien franc et majoritaire dont bénéficie le royaume au sein de cette organisation.

La Mauritanie devrait tirer conclusion de cet évènement historique et s’appuyer sur un Maroc stable, porteur de projets concrets et premier investisseur d’Afrique. Ainsi, elle aura rompu avec ce  silence qui n’a que trop duré, mais surtout tirera pleinement profit de sa situation géographique de trait d’union entre l’Afrique du nord et l’Afrique subsaharienne.

Le Maroc devrait, quant à lui, rompre avec une diplomatie réactive vis-à-vis de la Mauritanie et s’inscrire désormais dans une diplomatie proactive, dont le principal objectif est de briser ce silence, de renforcer les liens et surtout d’établir un substratum sur lequel le régime mauritanien pourrait s’engager sereinement sans crainte de représailles ni de coups bas venus d’ailleurs ; le terrorisme étant devenu la nouvelle forme de guerre, et surtout une arme de dissuasion massive.

Par Sidi Boubacar ABDEL KADER