Proposition de modification de la Loi criminalisant l’esclavage : La CNDH, le Barreau et la société civile interpellent les parlementaires

Proposition de modification de la Loi criminalisant l’esclavage : La CNDH, le Barreau et la société civile interpellent les parlementaires  La Loi 048-2007 criminalisant l’esclavage, adoptée le 3 septembre 2007, avait connu une première modification le 2 avril 2015, rallongeant le texte original de 17 article à 26. La nouvelle modification de 2015 apportait ainsi de profonds changements, en ce qu’elle rendait désormais imprescriptibles les infractions à l’esclavage, rendait plus sévère les sanctions, avec une terminologie plus claire et plus facile à appliquer pour les juges.
Cette loi instituait également des tribunaux régionaux spécialisés, sortes de collèges de magistrats dont chacun dispose de la latitude de prendre toute mesure conservatoire qu’il trouve nécessaire sous le sceau de l’urgence. Elle reconnaissait aussi enfin, dans ses articles 22 et 23, le droit des associations des droits de l’homme à se porter partie civile et à assister les victimes devant les tribunaux.

Aujourd’hui, une nouvelle proposition d’amendement de la Loi O48-2007 est introduite par la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), l’Ordre national des avocats de Mauritanie (ONA) et le Forum national des droits de l’homme (FONADH). Les concepteurs de cette proposition de loi, introduite auprès des parlementaires mauritaniens, justifient leur démarche par leur souci de rendre la loi conforme aux dispositions du droit international, notamment les conventions des droits de l’homme ratifiées par la Mauritanie.

La CNDH, l’ONA et le FONADH viennent de rendre public un document qui serait le résultat des contributions et des échanges de plusieurs personnes réunies au sein du Groupe de Travail technique (GTT) soutenu par ABAROLLI (une institution internationale de conseil juridique). Selon la note publiée en avant-propos du texte de loi modificatif de la Loi 048-2007 amendée le 2 avril 2015 portant criminalisant l’esclavage, l’objectif est d’apporter « des contributions constructives au débat parlementaire en appui au travail des députés et au travail important fait par le gouvernement sur les projets de loi ».

Ainsi, cette contribution à l’amélioration du Projet de loi abrogeant et remplaçant la Loi n°2007-048 du 3 septembre 2007 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes, propose l’introduction de la notion de réparation en instituant une journée nationale contre les pratiques esclavagistes ; cette disposition étoffe l’article 2 qui ne comptait dans l’ancienne loi que deux alinéas aussi courts qu’évasifs.

La modification à cet article le rallonge de plusieurs alinéas, dont celui cité plus haut sur le devoir de mémoire, de réparation et de repentir pour tous les actes esclavagistes commis.

Le troisième alinéa nouveau interdit toute forme de discrimination, exclusion ou restriction basée sur la race, la couleur, la religion, les opinions politiques ou autre, l’origine nationale, ethnique ou sociale, la fortune, la naissance qui faussent le principe d’égalité des citoyens. Cette disposition évite selon ses concepteurs d’ouvrir des espaces d’inpunité et permet au juge d’appliquer la loi sans difficulté.

L’article 3 ne comportait qu’un seul alinéa dans l’ancienne loi, celui qui « interdit toute discrimination sous quelque forme que ce soit, à l’encontre d’une personne prétendue esclave ». Les modifications proposées font de l’article 3 l’un des plus longs, en termes d’alinéas, du projet d’amendement proposé. 

Il définit l’esclavage d’une manière exhaustive et y intègre le servage, la servitude pour dettes, le travail forcé ou obligatoire, la traite des esclaves, le mariage sans consentement d’une femme. Il interdit au mari d’exploiter son épouse et à la femme d’être cédée par succession, l’exploitation des mineurs, la vente des enfants, la traite des personnes.

Le troisième alinéa de l’article 3 proposé comporte la définition du servage, la servitude pour dettes, le travail forcé, tout en excluant le service militaire obligatoire ou les travaux pour l’intérêt de la collectivité ou d’utilité publique en cas de catastrophes. Sont aussi définis, la traite des esclaves, la traite des personnes et donne une définition de l’esclave « toute personne sur laquelle s’exercent les attributs du droit de propriété », et limite l’âge de l’enfance à moins de 18 ans. 

L’article 3 se poursuit avec un autre alinéa pour offrir à l’autorité judiciaire, terme qui serait plus approprié que magistrat, le choix d’apprécier d’autres formes d’esclavages portées à sa connaissance. Autre alinéa, celui qui condamne toutes les formes d’esclavage, dont l’exploitation des personnes fragiles (émigrés, enfant, pauvre) sans lien d’employeur à employé. 

Un nouvel alinéa est proposé qui rend obligatoire l’offre d’informations juridiques complètes aux victimes d’esclavage ainsi qu’une assistance adaptée à leur situation ; si l’autorité saisie en premier lieu se juge incompétente, elle doit le transcrire par écrit et orienter la victime vers l’autorité compétente. Les concepteurs du projet de loi modifié trouvent que l’absence d’information ou la dessaisie par une autorité qui se juge incompétente sans orienter les victimes poussent à l’abandon des procès par ces dernières.

A l’article 4, il est proposé l’ajout d’un nouvel article au Chapitre sur les dispositions générales, un article sensé lutter contre l’impunité des auteurs présumés d’actes esclavagistes en ce qu’il rend le pourvoi de cassation suspensif de l’exécution de l’arrêt prononcé par la Chambre d’accusation accordant une liberté provisoire aux auteurs présumés.

L’article 4 nouveau proposé demande la condamnation des auteurs reconnus coupables d’actes esclavagistes à la triple peine assortie d’amende et de privation de droits civiques (éligibilité et droit de vote), plus une juste réparation pour les victimes. 

Les concepteurs trouvent anormales que des personnes condamnées pour esclavagisme puissent se retrouver à des postes électifs ou au premier plan dans des rencontres officielles, comme la célébration de la journée nationale contre l’esclavage, ce qui serait une insulte pour les victimes et un danger pour la cohésion sociale.

L’article 6 nouveau introduit la notion de circonstances aggravantes pour les auteurs reconnus coupables d’actes esclavagistes et à qui des peines doubles doivent être appliquées ainsi que la déchéance des droits civiques et l’annulation de toute autorité de tutelle sur la victime, surtout si ces personnes exercent des fonctions ou en complicité avec des fonctionnaires ou agents publics. 

Les initiateurs proposent la suppression des articles 8, 9 et 10 et le renforcement de l’article 7 par trois paragraphes. Ainsi, il est proposé qu’au lieu des condamnations allant de six mois à deux ans, et des amendes variant entre 50.000 et 200.000 UM, que les peines soient portées de 10 à 20 ans de prison, plus des amendes allant de 250.000 à 5 Millions d’UM. Cela avec déchéance des droits civiques et politiques ainsi que celle de l’autorité exercée sur la victime.

Autre article à modifier, l’article 16 où il est demandé l’annulation des liens matrimoniaux de types esclavagiste, l’indemnisation de la victime même si elle ne le demande pas, l’octroi aux enfants issus de cette union de la pension alimentaire et du droit à la filiation avec garde accordée à la mère ou à toute institution indiquée dans l’intérêt des enfants.

Article 17, modification du premier paragraphe avec condamnation de « toute personne qui véhicule des idées fondées sur la supériorité d’un groupe sur un autre, incite à la haine, au mépris ou à la discrimination envers des membres d’un groupe en raison de l’ascendance ou l’origine nationale, sociale ou ethnique » Un emprisonnement de six mois à deux ans d’emprisonnement sera prévu dans ce cas plus une amende de 200.000 à 2 Millions d’UM. 

Tous les supports enregistrant ces déclarations doivent être confisquées et détruites. Les concepteurs trouvent que l’expression « apologie de l’esclavage »est trop vague et que cette nouvelle définition réduit les marges d’interprétation et permet de définir ce qui doit être entendu par apologie.

Il est ainsi demandé l’ajout d’un nouvel article après l’article 19 qui stipule que « l’auteur d’acte esclavagiste condamné par une décision devenue définitive ne peut bénéficier d’une mesure de clémence qu’après avoir purgé au moins les trois quart de la peine prononcée contre lui » pour mieux lutter contre l’impunité et rendre la remise en liberté provisoire d’auteurs d’actes esclavagistes assortie de conditions plus rigoureuses.

L’article 20 est aussi proposé à la modification. Le nouveau article avancé stipule qu’il est « institué des juridictions de formation collégiale au niveau de chaque capitale de Wilaya, en attendant le décret d’application et son effectivité matérielle » pour rapprocher les services judiciaires des justiciables, éviter la paralysie complète des services concernés en cas de non promulgation rapide des décrets d’application.

Des améliorations sont réclamées pour l’article 21 qui incite l’autorité judiciaire informée de cas d’esclavage à agir sous le sceau de l’urgence pour prendre les mesures conservatoires appropriées à l’encontre des auteurs présumés pour garantir le droit des victimes. L’autorité doit, si elle se juge incompétente à connaître de cette affaire, à le faire savoir par écrit et en remettre une copie à l’autorité compétente auprès de laquelle elle est tenue d’orienter les plaignants.


L’article 22 donne droit aux associations d’ester en justice et d’assister les victimes. L’article 23 fait cependant sous-entendre que seules les associations jouissant de la personnalité juridique au moment des faits, pour ne pas dire reconnue, ont la latitude d’engager de tels actes. Aucune condition d’expérience, 5 ans dans l’ancienne loi, n’est plus opposable aux associations pour exercer ces droits. 

A l’article 25, il est stipulé que le juge doit définir chaque préjudice subi par la victime et susceptibles de réparation, préjudice moral, physique, matériel ou tout autre à motiver par le juge, s’il le faut avec l’aide d’experts. Cette disposition vise à éviter les évaluations excessives ou fantaisistes selon les justifications avancées par les initiateurs des modifications.

L’article 26 indique que seuls les faits encore pendantes devant les juridictions avant l’entrée en vigueur de la proposition de la loi seront concernées par ces dispositions au nom du sacré saint principe de la non rétroactivité des lois. 

Cheikh Aïdara
Source : L’Authentique (Mauritanie)