Crues du Fleuve Sénégal : Que d’eau !

La saison des pluies tire vers sa fin. Les précipitations baissent d’intensité mais les eaux du fleuve continuent à sortir de son lit, via surtout ses affluents, pour inonder toutes les plaines du Walo et envahir les villages riverains, semant le désarroi chez leurs habitants. Maisons submergées ou carrément démolies, champs ravagés et engloutis, cheptel emporté… La Société d’Exploitation de MAnantali et Félou (SEMAF) appelle les personnes en aval du fleuve, en particulier ceux vivant près des rives et les pêcheurs, à faire preuve de vigilance et de prudence. L’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS) veille sur la situation ; elle ne cessait d’ailleurs de tirer sur la sonnette d’alarme depuis quelques temps – voir plus loin : Précisions de l’OMVS – et avertissait sur les risques de côte d’alerte dépassée au niveau des stations de Bakel, Matam et Podor… Et, au-delà des fortes précipitations enregistrées en Septembre qui redonnaient paradoxalement espoir aux agriculteurs, les lâchers d’eau au barrage de Manantali pour réguler le débit du fleuve sont venues accentuer les périls.

Dans le département de M’Bagne, par exemple, un jeune homme s’est noyé au pont de Dabé. Construit à l’embouchure du Lougué pour désenclaver la zone Sud de la commune de M’Bagne, cet ouvrage est immergé à chaque saison des pluies, obligeant les habitants de cette partie du département (Dabbé, Dabbaano, Windingue, Sorimalé…) à emprunter des pirogues à pagaie ou à moteur pour leurs déplacements. C’est dire que les concepteurs du pont de Dabbé ont manqué d’ingéniosité. Face à cette situation, les élus et les habitants du département ne cessent de réclamer la réhabilitation de l’édifice. Un autre pont situé à Sorimalé, à quelques kilomètres de là sur le même affluent, pour désenclaver ce village et les zones de production, est inaccessible depuis des mois, situé qu’il est en plein milieu des étendues d’eau.

Éviter les zones inondables

La situation est alarmante. Les photos et vidéos postées sur les réseaux sociaux montrent des habitants contraints à se déplacer à pirogue entre les concessions ; des pères et mères de famille exprimer leur désarroi ; leurs maisons submergées, leurs biens et cultures envahis : les dégâts sont énormes au Gorgol, au Guidimakha, au Brakna et au Trarza ; les populations appellent à l’aide les autorités qui semblent hélas traîner des pieds. Le ministère de l’Équipement et des transports vient certes de dépêcher une mission dans la Vallée mais elle n’a notamment pas pu accéder à certaines parties du département de M’Bagne. Des villages entiers sont isolés, coupés du reste du pays, et l’élan de solidarité tarde à se mettre en place. Il faut cependant noter le geste du député de M’Bagne, Baboye Kébé, qui a fait parvenir des vivres aux populations sinistrées de sa circonscription.

Si les crues du fleuve ou les précipitations ont occasionné d’énormes dégâts c’est aussi et surtout parce que les gens ont construit leur maison en des zones inondables. Avec les sécheresses récurrentes et l’absence de crues, certains ont en effet érigé leur demeure au bord des rivières, lacs, mares asséchées et autres zones de cultures de décrue ou sous pluie. À Kaédi, les habitants se rappellent bien que pendant l’hivernage, ils se déplaçaient naguère en pirogue entre les quartiers de Touldé et Ggataga (une ancienne importante voie d’eau transformée depuis des années en zone d’habitation ou de commerce). Un leitmotiv qui s’est un peu partout répété dans les villages riverains du fleuve : leur extension s’est faite de manière anarchique sur des zones inondables et cultivables. Une situation regrettable mais compréhensible : à en croire certaines personnes âgées, aucune inondation n’avait été enregistrée depuis 1966, certains parlent même de 1950… Cela dit, peut-on ici oser le célèbre proverbe : « à quelque chose malheur est bon » ? Que feront les populations de ces inondations ? Mettront-ils en valeur leurs vastes et riches plaines ? L’État qui vante notre souveraineté alimentaire les encouragera-t-il à les cultiver ? Des questions qui n’excluent évidemment l’impérative nécessité de faire respecter des limites strictes dans les autorisations de construction de maisons d’habitation…

Dalay Lam

 

Précisions de l’OMVS : Manantali n’est pas la cause des inondations

« Dans beaucoup de communications au sujet des crues actuelles », fait savoir Abdoulaye Dia, DG SEMAF/OMVS à Manantali (Mali), « il est dit que ce sont les lâchers du barrage de Manantali de l’OMVS qui sont à l’origine de la montée des eaux dans le bassin du fleuve. Il faut ici rappeler que ce barrage est installé sur le fleuve Bafing et retient onze milliards de mètres cubes. L’eau est ainsi stockée sur plusieurs années dans ce barrage pluriannuel et c’est cela qui a évité, depuis 1986, les crues récurrentes auparavant observées. Cette eau est turbinée pour produire de l’électricité livrée aux trois pays riverains. Mais, en cas de crues exceptionnelles, comme cette année, nous sommes obligés, pour des raisons de sécurité, aussi bien pour les ouvrages, notamment le barrage, que pour les populations, d’opérer des lâchers à travers des vannes disposées sur l’édifice.

Le fleuve sur lequel agit Manantali en rencontre un autre, le Bakoye, dans la ville de Bafoulabé au Mali. C’est à cet endroit que naît le fleuve Sénégal qui continue son chemin avant d’être rejoint par un autre affluent, la Falémé, et d’autres petits cours d’eau. Ainsi le débit total observé dans le bassin est la somme de ceux du Bafing, du Bakoye, de la Falémé et d’autres eaux de ruissellement issues des pluies observées en territoire mauritanien, malien ou sénégalais (bassin versant). Dire que les lâchers de Manantali sont à l’origine de la crue sur le fleuve Sénégal est donc un peu exagéré car l’action de ce barrage ne permet de contrôler qu’à peu près 40% de l’ensemble des eaux qui convergent vers le lit du fleuve.

L’OVMS est en train de mettre en œuvre d’autres projets de barrages à Gourbassy et ailleurs qui permettront de réguler les eaux, en plus du barrage de Diama qui se trouve, lui, non loin de Saint-Louis. D’après nos renseignements, ce genre de crues exceptionnelles n’avait pas été observé depuis 1961. Nous faisons tout pour assurer bien sûr la sécurité des populations mais aussi celle de l’ouvrage lui-même. Si les lâchers ne sont pas réalisés lorsque la cote d’alerte est atteinte, celui-ci qui a coûté très cher pourrait céder, provoquant alors une onde de crue considérable qui pourrait se propager très loin dans les terres. Nous avons vérifié que tous les organes de sécurité du barrage comme les vannes sont heureusement fonctionnels ; ils jouent pleinement leurs rôles et nous surveillons cela de très près.

L’OMVS de même que les ministères en charge de l’Hydraulique des quatre pays de l’OMVS sont à pied d’œuvre avec des cellules de crise qui suivent la situation avec attention. Il faut aussi rappeler que la même chose est observée en Guinée, au Mali, en Côte d’Ivoire et partout en Afrique de l’Ouest : tous les barrages ont ouvert des vannes. Cela dit, nous observons une baisse des lâchers à Manantali depuis 72 heures. Une même situation de détente est observée sur la Falémé et le Bakoye. Si elle se poursuit, s’il n’y a pas de nouvelles et fortes précipitations, les populations de la Vallée seront rapidement soulagées ».