Le conseil des ministres du le 2 avril 2015 a adopté un projet de loi abrogeant et remplaçant la Loi 2007-048 du 3 septembre 2007 qui criminalisait l’esclavage et réprimait ses pratiques en Mauritanie. Cette loi, qui a été vivement contestée à l’époque par les associations des droits de l’homme actives sur le terrain de l’abolition qui lui reprochaient une définition non précise et non exhaustive de l’esclavage entre autres, avait pêché dans l’exécution.
Elle n’a jamais été appliquée sauf une fois, dans le cas du jeune Yarg et de son frère au Brakna. Le maître reconnu coupable à l’époque avait été condamné à 2 ans de prison fermes, mais sortira de prison au bout de trois mois. Tous les autres cas portés devant la justice, n’ont jamais été jugés.
Les auteurs d’actes esclavagistes malgré la protestation des organisations des droits de l’homme passaient entre les mailles de la justice, et ce fut toujours sur les militants des droits de l’homme que s’abattaient la répression et les exactions de l’appareil d’Etat.
Cette loi est sans conteste, le fruit d’un combat acharné mené par ces organisations des droits de l’homme, aussi bien sur le plan national qu’international. SOS Esclaves et IRA en premiers lieux, mais aussi, El Hor, AHME en France et d’autres organisations, comme l’AFCF ont mené ce combat qui fera de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie, le point de mire de toute la communauté internationale.
En 2014, sous l’égide des Nations Unies, la Mauritanie signa une Feuille de route pour l’éradication de l’esclavage en 29 points. Il était évident que le caractère flou, incomplet et laxiste de la loi 2007-048 ne pouvait continuer à servir d’outil de lutte efficace.
Conscient de l’obligation à laquelle il était tenu de se débarrasser d’une tare, l’esclavage, qui le marquait au niveau international, et sous la pression de plus en plus forte des militants de la cause, l’Etat mauritanien était contraint de remodeler l’ancienne loi pour produire un nouveau texte plus acceptable aux yeux des organisations militantes et de la communauté internationale.
Ainsi, par rapport à l’ancienne loi qui ne comptait que 17 articles, le nouveau texte en comporte 26. Il introduit des changements majeurs. Il prend en compte la nature imprescriptible des infractions liées à l’esclavage, conformément aux conventions internationales en la matière.
Il aggrave les sanctions, dérisoires dans l’ancienne loi, mais corsées dans les nouvelles dispositions. Ensuite, le nouveaux texte est plus clair et plus précis dans sa terminologie et en facilitera très certainement l’application par les juges.
Autres nouveautés, le projet de loi abrogeant et remplaçant l’ancienne loi, institue des tribunaux régionaux spécialisés dans les crimes et infractions de type esclavagiste. Il s’agit de formations collégiales qui donnent le droit à tout magistrat membre du collège de prendre, sous le sceau de l’urgence, toute mesure conservatoire nécessaire à l’encontre des auteurs présumés chaque fois qu’il est informé d’un cas d’esclavage et ce, pour garantir le droit des victimes.
Le nouveau texte introduit surtout en son article 22, une disposition qui satisferait à moitié les associations des droits de l’homme, à savoir le droit de dénoncer et de porter à la connaissance des autorités tout cas avéré d’esclavage et d’assister les victimes.
Seulement, les associations réclament toujours leur droit à se porter partie civile dans pareilles occasions. Ce que les autorités mauritaniennes semblent encore leur refuser, d’où des difficultés persistantes à cueillir les retombées attendues de ces nouvelles dispositions.
Le projet de loi en question prévoit cependant, et ce serait l’un des rares cas, une assistance judiciaire complète à l’égard des victimes d’esclavage qui seront dispensés de tout frais judiciaire. Cette contrepartie sera payée par l’auteur incriminé si sa culpabilité est établie.
Le rôle du juge est aussi clarifié dans le traitement des dossiers relatifs à l’esclavage, dans la mesure où la loi l’oblige à préserver les droits des victimes, lesquels deviennent exécutoires, même en cas d’opposition au jugement ou d’appel.
L’ancienne loi 2007-048 promulguée par le président Sidi Ould Cheikh Abdallahiet le gouvernement de Zeine Ould Zeidane, s’articulait autour de quatre chapitres, les dispositions générales, crime et délits d’esclavage scindés en deux sections, les dispositions communes et les dispositions finales.
L’avant-dernier article de la loi 2007-048 abrogeait toutes les dispositions antérieures, en particulier l’article 2 de la Loi 81-234 du 9 novembre 1981 qui stipulait l’indemnisation des maîtres. Pourtant, c’est à la base de cette loi de 1981 que les Ulémas fondent la Fatwa des qu’ils viennent récemment d’émettre.
Dans l’ancienne loi, les peines allaient rarement au-delà de 2 ans d’emprisonnement, pour des amendes dérisoires, qui allaient de 5.000 UM, 50.000 UM dans la plupart des cas, et dépassaient rarement 1 million d’UM, sauf dans un seul cas, l’apologie de l’esclavage par une personne morale où l’amende allait jusqu’à 5 millions. Dans la nouvelle loi, la peine minimale encourue est de 5 ans de prison et la peine maximale 20 ans, avec des amendes se situant entre 250.000 et 5 Millions d’UM.
Si l’article 2 de l’ancienne loi donnait une définition succincte de l’esclavage, ne prenant en compte que la possession physique, l’article 3 de la nouvelle loi donne une définition plus exhaustive, en ce qu’il ajoute à la possession physique, toute capture, acquisition, cession d’un individu pour le réduire en esclavage, le vendre ou l’échanger, toute forme de travaux forcés, tout acte de transport d’esclaves, tout placement en vertu duquel une femme, sans qu’elle ait le droit de refuser, est promise, donnée en mariage moyennant une contrepartie en espèce ou en nature versée à ses parents, tuteur, famille ou toute autre personne ou groupe de personnes, le cas du mari d’une femme ou de sa famille qui la cède ou tente de la céder, à titre onéreux ou autrement, à une tierce personne.
La nouvelle loi interdit le Sororat, le Lévirat, l’exploitation des enfants par qui que ce soit, y compris leurs parents, mais aussi le sevrage si fréquent dans les zones rurales, ainsi que la servitude pour dettes. Il punit les agressions sexuelles pour motif esclavagiste et donne le droit à la femme mariée de force de dissoudre le mariage, les enfants issus de cette union porteront le nom du mari.
Cheikh Aïdara
Source : L’Authentique (Mauritanie)