Entretien avec Yarba Ould Nava, président du Manifeste des Haratines pour les droits politiques, économiques et sociaux

Entretien avec Yarba Ould Nava, président du Manifeste des Haratines pour les droits politiques, économiques et sociaux  Des concertations politiques pourraient avoir lieu sous peu entre la majorité et l’opposition. Pourquoi y aller maintenant, selon votre Mouvement ?

Yarba Ould Nava : Merci pour l’occasion et l’attention que votre journal accorde au Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux et à ma modeste personne. Pour en venir à votre question, je tiens d’abord à rappeler à tous ceux qui l’ignorent que le Manifeste est un vaste mouvement qui intègre les partis politiques de toute obédience, de l’opposition et de la majorité, syndicats, Société civile et personnalités indépendantes…

C’est un cadre de concertations et d’échanges d’idées autour de la question haratine. Tous ces courants ont adhéré et approuvé le contenu du Manifeste publié lors de sa fondation et lu au cours de sa première marche.

Le consensus autour de cette déclaration, la volonté et la solidarité exprimées au cours de notre première manifestation forment l’une de ses plus fondamentales forces. Je vous renvoie pour être complet sur la question, à lire la déclaration que nous avons publiée le 10 Septembre dernier où nous évaluions les deux années de Ghazwani à la tête du pays. Elle actualise et renforce nos convictions, préconisant des solutions aux problèmes auxquels la composante haratine est confrontée.

Ce qui importe pour le Manifeste, c’est que les acteurs politiques du pays acceptent de débattre avec sérieux des préoccupations du pays ; notamment l’unité nationale, la marginalisation dont sont victimes une partie de la population mauritanienne, la flambée continue des prix, la gabegie, le clientélisme…

– Il y eut des dialogues politiques sous le règne d’Ould Abdel Aziz. Que pourraient apporter les concertations en gestation ?

– Nous ne pouvons pas présager du futur mais si l’on juge les faits, les dialogues d’Ould Abdel Aziz n’ont pas apporté grand-chose au pays. Leurs recommandations sont rangées dans les tiroirs. Aujourd’hui, dialogue ou concertations – les vocables importent peu –l’important, c’est le contenu consensuel qu’on y accepte.

Pour sa part, le Manifeste souhaite que les assises à venir soient l’occasion de débattre des questions qui fassent avancer le pays, bouger les lignes, et non des conciliabules de bon aloi. Le pays traverse une crise politique, économique et sociale, il faut oser en parler pour trouver des solutions idoines.

– Le Manifeste ira-t-il au ces concertations-dialogue ? Quels thèmes voudrait-il voir figurer à l’ordre du jour de ces assises ?

– À l’heure où je vous parle, je ne saurais vous dire. Mais ce dont je suis sûr, c’est qu’une fois invité, le Manifeste viendra avec les propositions concrètes déjà consignées dans notre déclaration du 10 Septembre :dix-sept propositions pour la refondation de la Mauritanie sur des bases démocratiques, justice, égalité, équité et transparence dans la gestion et la répartition des ressources du pays entre ses citoyens…

– Au cours d’une conférence de presse, il y a quelques semaines, huit partis de l’opposition, ont décrit une Mauritanie malade de son unité nationale. Une Mauritanie où des composantes noires (Haratines et Négro-mauritaniens) sont marginalisées à tous les niveaux. Comment notre pays en est-il arrivé là ? Comment se manifeste cette marginalisation au quotidien ? Comment faire pour sortir de cette situation ?

– Personne dans ce pays n’ignore que les populations noires sont marginalisées à tous les niveaux. Tous les mauritaniens sérieux et honnêtes connaissent les problèmes d’exclusion que cette composante vit. La responsabilité incombe au système qui régente le pays depuis l’Indépendance…

Ceux qui l’ont dirigé n’ont jamais voulu en faire un État de droit, uni, mais un système où sévit les injustices et les inégalités, exposant ainsi le pays aux escalades et à tous les risques. L’actuel État favorise certains pour en faire les « maîtres » des autres.

La marginalisation des populations noires se manifeste par des nominations ou recrutements monocolores, favoritisme et éducation sélective. Nous avons connu un système éducatif à deux fois deux vitesses. Une école pour les francophones, une école pour les arabophones, puis une école de riches et une école de pauvres.

Dans cette dernière, vous retrouvez principalement des haratines et des négro-africains. Or, pour construire un État de droit, il faut dépasser ces considérations, instituer la justice, la transparence, assurer la citoyenneté à tous, leur garantir les mêmes droits…Le dialogue en préparation pourrait nous donner l’occasion de mettre tous ces problèmes sur la table, en débattre sans passion, proposer des solutions consensuelles et en sortir donc avec un État refondé basé sur l’unité, la justice, l’égalité entre tous les citoyens mauritaniens.

– Le Manifeste réclame plus de justice et d’égalité entre tous les citoyens du pays. Y-a-t-il des acquis depuis sa fondation ? Le soutien des autres composantes du pays et l’absence de certains des leaders de la composante haratine ont-ils été des atouts ou des faiblesses ?

– Le Manifeste fut fondé il y a quelques petites années dans un contexte politique difficile. Malgré cela, on peut affirmer sans risque de se tromper qu’il a des acquis, si l’on mesure le défi qu’il entendait relever. Dénoncer l’esclavage qui sévit depuis des lustres, former un large consensus autour de la problématique haratine, aussi bien autour de cette composante mais également au sein des autres segments de la population, c’était un sacré challenge.

Le Manifeste tire sa force dans la légitimité et la justesse de son combat. C’est pourquoi de nombreux mauritaniens l’ont accompagné, convaincus ou non. Tout le monde sait aujourd’hui que la question haratine est spécifique.

Si certains leaders haratines choisirent de rester en dehors du mouvement, il n’en demeure pas moins qu’ils ont tous apporté leur caution au contenu de sa déclaration. On n’est pas obligé d’entrer dans les organes du Manifeste, pour diverses raisons : idéologique, économique et ignorance.

– La discrimination positive signifie-t-elle quelque chose pour le Manifeste ?

– La discrimination positive peut être un des moyens de régler le problème de l’exclusion. Après deux cents ans de soumission, les Haratines ont continué à en souffrir soixante après l’indépendance du pays. Il est donc très difficile de rattraper les autres pour lesquels on a travaillé durant tout ce temps-là. La discrimination positive pourrait, si elle est bien étudiée, constituer un premier pas.

– Que pensez-vous de la gestion du dossier Aziz ? La Mauritanie pourra-t-elle, selon vous, recouvrer ses biens spoliés ?

– La mise en place d’une commission d’enquête parlementaire par l’Assemblée nationale est un effort à saluer et encourager, comme tout le travail abattu depuis. Mais il faut reconnaître que c’est un dossier complexe qui fait appel à des considérations et sentiments de plusieurs ordres. Il faut les mettre de côté si l’on veut le mener à bon port.

Cela dit, je pense qu’on ne peut plus reculer : nos partenaires au développement nous suivent, la crédibilité du pays est en jeu. On doit par conséquent montrer que nos présidents ne sont pas à l’abri de poursuites judiciaires quand ils ont fauté. J’ose espérer que les biens spoliés seront restitués au peuple mauritanien.

– Lors de leur conférence de presse, les partis de l’opposition ont affirmé que rien n’a changé depuis l’arrivée de Ghazwani, par rapport à la gouvernance de l’ex-Président. Le Manifeste partage-t-il cette affirmation ?

– Comme je l’ai dit tantôt, nous avons procédé, dans notre déclaration du 10 Septembre, à une évaluation sans complaisance des deux années de règne d’Ould Ghazwani. Elle est beaucoup plus exhaustive que celle réalisée par les huit partis politiques auxquels vous avez fait allusion. Le Manifeste relève des insuffisances d’ordre politique, économique, social, etc. Le moins qu’on puisse dire que la Mauritanie n’a pas connu d’avancées significatives.

On a noté le refus de reconnaître divers partis politiques ;l’État continue à refuser ou réprimer des manifestations populaires ; les prix des denrées de base ne cessent de grimper, tout comme le chômage des jeunes ; la gabegie continue de plus belle, ainsi que l’esclavage et ses séquelles, l’exclusion… Permettez-moi donc d’inviter à nouveau vos lecteurs à lire notre déclaration pour connaître la position du Manifeste vis-à-vis du pouvoir en place.

– L’agence Taazour a été mise en place pour lutter contre la pauvreté. Que pensez-vous de son travail ?

– Elle est loin d’atteindre son objectif, transformée qu’elle a été en vache à lait pour certains. Les patrons de cette boîte sont désignés pour enrichir leurs proches ou ceux de qui les ont nommés. Les voilà donc à distribuer de juteux marchés à la tête du proche ou du client.

Sans concurrence, sans transparence. L’opacité dans la gestion n’a pas changé depuis Ould Taya. On entend parler de programmes et projets mais sans aucun impact réel sur les populations pour laquelle cette agence a été montée.

– Que pensez-vous des mesures prises récemment par le gouvernement pour faire face à la flambée des prix ?

– Ce ne sont que de belles intentions. Tenez : avant la fin dudit Conseil des ministres, j’avais acheté du sucre et du blé. Quelques minutes après la publication du fameux communiqué, ces prix ont aussitôt augmenté. Que dire alors ? Si le gouvernement veut arrêter les spéculations, il doit supprimer certaines barrières douanières et subventionner les produits vitaux.

– Êtes-vous de ceux qui pensent que « l’École républicaine » dont parle le président Ghazwani pourrait régler la question de l’unité nationale ?

– Oui, elle peut bien contribuer à renforcer et à consolider l’unité nationale du pays… pourvu qu’on y mette du contenu. Vous vous souvenez certainement qu’avant 1980, les enfants mauritaniens se frottaient les uns les autres dans les mêmes écoles. À partir de 1984, on a vu émerger une école à deux vitesses.

Celle des arabophones et celle des francophones, c’est-à-dire, une école pour les Maures et une école pour les Négro-africains. Et le fossé s’est élargi depuis 1990. Désormais une école des riches (maures essentiellement, plus quelques haratines et négro-africains) et une école des pauvres. Nous n’avons plus d’école de la République mais des écoles ethniques. Comment bâtir dans ces conditions une citoyenneté et une unité du pays ?

Aujourd’hui, la question qu’on est en droit de se poser est de savoir où se trouve cette fameuse école républicaine dont on parle depuis plus de deux ans ? Pour qu’elle se matérialise, il faut une réelle volonté politique, des concertations sérieuses entre de tous les acteurs, non pas des décrets et circulaires pris entre quatre murs. Bref et pour l’instant, on ne voit rien venir. Simplement des vœux pieux…

Propos recueillis par Dalay Lam

Source : Le Calame (Mauritanie)