Lutte contre l’esclavage en Mauritanie, « entre parodie de justice et politique extérieure »

Lutte contre l’esclavage en Mauritanie, « entre parodie de justice et politique extérieure »« Entre déni officiel et procès sans présence des accusés ni des victimes, la loi contre l’esclavage en Mauritanie est faite uniquement pour la politique extérieure, malgré la batterie juridique et institutionnelle qui l’accompagne ».

Ce sentiment de frustration et de colère a marqué la conférence de presse des avocats de SOS Esclaves, animée vendredi 27 novembre 2020 à Nouakchott C’est un ras-le-bol face à la gestion hypocrite et peu sincère de la question de l’esclavage par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 60 ans à la tête de la Mauritanie.

Celui ressenti par SOS Esclaves, une organisation non gouvernementale qui lutte contre l’esclavage depuis plus de vingt ans en Mauritanie, et réitéré par son emblématique président, Boubacar Messaoud, ingénieur architecte de formation.

Des « parodies de justice » sans la présence des parties prenantes

Lors d’une conférence de presse animée vendredi 27 novembre 2020 au siège de SOS Esclaves, à la Socogim PS de Nouakchott, les avocats de l’organisation, notamment Me Id Ould Mohameden et ses confrères, Me Bah Ould MBareck et Me Idoumou Ould Sedigh, sont revenus sur les procès qui viennent de se dérouler à Néma et à Kiffa. Ils les définissent comme « des parodies de justice qui n’ont rien de justes ni d’équitables face à la non convocation des victimes et des présumés accusés pour assister aux audiences. » C’est le sentiment général qu’ils ont partagé face à un parterre de journalistes et quelques unes des victimes dont les dossiers ont été évacués par les juridictions citées.

« Devant la Cour spéciale chargée des crimes esclavagistes de Néma, nous avions exigé la présence des victimes. Le procès qui s’est tenu le 12 novembre dernier a été renvoyé. Les membres de la Cour ont décidé eux-mêmes d’aller contacter ces dernières, mais sans accepter d’être accompagnés par les avocats. Le lendemain, ils sont revenus pour déclarer que les victimes ne portaient plus plainte. C’est une assertion qu’on ne pouvait pas vérifier, car elles habitent dans une zone non sécurisée et dangereuse à la frontière avec le Mali« , a témoigné Me Idoumou Ould Sedigh. Devant un tel dilemme, les avocats de la défense se sont retirés et l’audience s’est poursuivie, sans défenseurs, sans victimes et sans accusés, a-t-il conclu en substance.

Ainsi, sont expédiés à la va-vite et sans respect d’aucune procédure légale, des dizaines de dossiers d’esclavage dont les verdicts rendus par la Cour spéciale de Néma étaient tous défavorables aux victimes, selon les avocats. Devant la Cour d’Appel de Kiffa, c’était comme si les magistrats s’étaient donné le mot, ont-ils poursuivi, soutenant qu’en une seule journée, neuf dossiers, qui étaient en instance devant les juridictions mauritaniennes depuis plus d’une dizaine d’années, seront évacués sur le même modus operandi. « Sur les neuf présumés auteurs d’actes esclavagistes, un seul était présent à l’audience, mais aucune victime n’a été convoquée, malgré notre insistance« , a poursuivi Me Idoumou Ould Sedigh. « Là aussi, nous nous sommes retirés, car la Cour a souscrit à la demande du Parquet quand nous avons demandé de suspendre l’audience jusqu’à ce que toutes les parties soient présentes, contre sa volonté« , a-t-il ajouté.

« Crime contre l’Humanité, mon œil !»

Pour Me Bah Ould MBareck, il est étonnant qu’un crime aussi grave que l’esclavage, érigé dans la Constitution comme crime contre l’Humanité, soit l’objet d’une si grande légèreté. Par cette attitude, ce sont des droits qui sont spoliés et des crimes blanchis, a-t-il noté. « En tant qu’avocats et simples citoyens, nous sommes atterrés par le traitement judiciaire réservé aux affaires liées à l’esclavage. On sait que 90 % des dossiers dorment depuis plus de dix ans dans les tiroirs des tribunaux, des crimes contre l’Humanité que la justice refuse de traiter car l’objectif est d’assurer l’impunité à ces auteurs« , a-t-il fustigé.

Plus loin, il ajoute d’un ton grave : « cela ne peut pas continuer. Les droits violés sont ceux de femmes, d’enfants et de personnes âgées, soumis aux pires conditions de servitude« . Me Bah Ould MBareck met en cause l’Etat mauritanien, mettant lui-même en place des institutions comme le Commissariat aux droits de l’Homme et la Commission nationale des droits de l’homme. Il vote aussi des lois, la loi 2015-031 réprimant les crimes esclavagistes, créé trois cours spéciales et continue à se cramponner au déni de l’existence de l’esclavage. « Tant que nous sommes encore dans le déni officiel, ni les officiers de la police judiciaire ni les magistrats ne peuvent aller à l’encontre de la volonté de l’Etat« , a-t-il fait remarquer.

Selon Me Id Ould Mohameden, « il existe une entente tacite entre les acteurs chargés des affaires d’esclavage (la police judiciaire et les magistrats) pour bloquer toute plainte. Ainsi, toutes les plaintes des victimes se heurtent à l’indifférence ; ni elles, ni les présumés maîtres esclavagistes ne sont convoqués ou auditionnés par les instances judiciaires. Il s’agit de tout faire pour montrer au monde extérieur qu’il n’y a pas d’esclavage en Mauritanie. Tel est le mot d’ordre. »

Mais des failles, il en existe

Ainsi, selon les avocats, toutes les panoplies de la dissuasion sont utilisées par les autorités mauritaniennes pour faire table-rase sur la question de l’esclavage. Et ce, malgré la centaine de dossiers qui croupissent dans différentes juridictions en Mauritanie, et dont certains remontent à 2007.

Mais des failles dans le système, il en existe. Comme l’affaire Moulkheïry, une membre de longue date de SOS Esclaves, qui avait porté plainte contre le défunt colonel Viyah Ould Maayouf, son dernier maître. Ce n’est qu’après le décès de ce dernier qu’elle se verra offrir il y a juste une année, la bagatelle de 5 millions d’anciennes ouguiyas par ces anciens maîtres. Selon Boubacar Ould Messaoud, cette offre a fait l’objet d’un arrangement à l’amiable supervisé par les autorités pour acheter son silence et la pousser au retrait de la plainte. Un aveu qui vaut, selon lui, son pesant d’or, car ce geste prouve à ses yeux l’échec des gouvernants mauritaniens à vendre l’idée qu’il n’y a plus d’esclaves en Mauritanie.

Par la pression, les arrangements financiers, les parodies de justice et les refus de traitement des affaires esclavagistes, le dossier de l’esclavage en Mauritanie continuera ainsi, selon SOS Esclaves et ses avocats, de tanguer entre striptease international et mépris des victimes au niveau local.

Ainsi, Mahfoudha Mint Saleck et Salma Mint Messaoud, parmi d’autres victimes, ne verront peut-être pas de si tôt leurs enfants et leurs proches, encore aux mains de leurs maîtres dans les confins de Bassiknou. « Certains de ses enfants sont placés en location comme « boys » dans des maisons et le maître passe récupérer leurs salaires », s’écrie Salma. Quant à Idoumou Ould Abeid de SOS Esclaves, il risque encore de verser beaucoup plus de larmes face à une injustice qui semble vouloir perdurer. La Mauritanie officielle a déjà choisi son camp, celui des maîtres esclavagistes.

Cheikh Aïdara